Logement: une crise sans précédent dans les Maritimes

Tous les voyants sont au rouge, le marché de la location est grippé comme jamais. Face à une offre qui se réduit comme peau de chagrin, la recherche d’un logement est devenue un parcours du combattant pour de nombreux habitants des Maritimes. Les habitations abordables sont rares, et les nouvelles tardent à sortir de terre.

______________________

Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – Acadie Nouvelle - Atl

Quiconque a déjà cherché un appartement ou une maison à louer dans nos provinces sait qu’il s’agit d’une chasse au trésor. Les taux d’inoccupation sont au plus bas: 0,8% à l’Île-du-Prince-Édouard, 1% en Nouvelle-Écosse et 1,9% au Nouveau-Brunswick. Dit autrement, les logements disponibles sont quasi inexistants.

«La pénurie concernait auparavant les grandes villes comme Halifax, mais à l’heure actuelle, toutes les zones rurales sont touchées», alerte Julia Woodhall-Melnik, directrice du laboratoire de recherche sur le logement de l’Université du Nouveau-Brunswick, à Saint John.
Cette raréfaction des locations favorise la hausse des loyers. À tel point que le logement devient une charge insoutenable pour de nombreux ménages.

«L’escalade des prix impacte en premier lieu les foyers à faible revenu, les plus fragiles comme les aînés, les autochtones ou les personnes racisées, détaille Catherine Leviten-Reid, professeure agrégée au programme de développement économique communautaire de l’Université du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Mais c’est aussi de plus en plus pénalisant pour la classe moyenne dont les finances sont déjà affectées par l’inflation.»

Effondrement du logement social

De fait, les foyers consacrent une part importante de leur budget au logement par rapport à d’autres postes de dépenses. Selon les normes canadiennes, au-delà de 30% du revenu brut mensuel, le coût du logement devient inabordable.

Au Nouveau-Brunswick, 28% des locataires sont dans cette situation. Ils sont 30,2% à l’Île-du-Prince-Édouard et 34,7% en Nouvelle-Écosse. Les Néo-Écossais sont d’ailleurs ceux qui déboursent le plus pour avoir un toit au-dessus de leur tête: ils payent en moyenne 1355$ par mois pour louer un appartement de deux chambres.

«Depuis 2011, les trois provinces perdent un grand nombre de logements locatifs abordables», confirme Julia Woodhall-Melnik.

Le déclin massif depuis les années 1990 des investissements publics dans la construction de nouveaux logements participe à cette pénurie d’habitations abordables. Rien qu’au Nouveau-Brunswick, 9000 unités bon marché ont disparu du parc immobilier entre 2011 et 2016.

«En quarante ans, aucun gouvernement provincial néo-brunswickois n’a jamais acheté ou construit de logement abordable. Il a fallu attendre 2022 pour que de nouvelles constructions soient enfin annoncées», relève Julia Woodhall-Melnik.

En octobre 2022, une enveloppe de 102,2 millions $ a en effet été débloquée afin de bâtir 380 nouveaux logements sociaux. Une paille sachant que 11 000 ménages sont en attente dans la province.

Du côté de la Nouvelle-Écosse, la province a aidé à financer 954 logements locatifs abordables au cours des cinq dernières années. Elle a également annoncé un investissement de près de 35 millions $ pour soutenir l’édification de 1100 unités accessibles aux plus modestes. Le gouvernement insulaire a, quant à lui, promis de construire 465 unités d’ici cinq ans.

Des gouvernements trop timides

Aux yeux des experts, ces chiffres ne sont pas à la hauteur. Un rapport, publié cette année, estime qu’il faudrait investir un milliard de dollars pour sortir de terre 10 000 habitations abordables au Nouveau-Brunswick durant les cinq ans à venir. Soit 26 fois plus que ceux annoncés l’an passé.

D’après une autre étude de 2021, co-dirigée par Catherine Leviten-Reid, la Nouvelle-Écosse devrait, elle, construire ou acquérir 33 490 habitations abordables pendant les dix prochaines années afin de répondre à la demande.

L’Île-du-Prince-Édouard a besoin de 2000 nouveaux logements annuellement, soit vingt fois plus que ce qui est prévu à l’horizon 2028.

«Les gouvernements sont trop timides par rapport à l’énorme retard à rattraper, mais ce sont des pas dans la bonne direction, considère Pierre-Marcel Desjardins, professeur à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton. Surtout que l’exceptionnelle croissance démographique que connaissent les Maritimes accentue les tensions sur le marché.»

L’économiste suggère des politiques beaucoup plus agressives à court terme, quitte à diminuer les programmes par la suite.

«Il y a un manque de volonté politique. Les autorités n’investissent pas assez rapidement et massivement, renchérit Catherine Leviten-Reid. Résultat, de plus en plus de gens se retrouvent à la rue et l’itinérance ne cesse de progresser, y compris dans des régions rurales.»

Diversifier le secteur

Certains acteurs reprochent en outre aux gouvernements provinciaux de délaisser la construction au profit du secteur privé.

Julia Woodhall-Melnick affirme qu’il s’agit d’une logique prévalant depuis plus de trente ans.

«Les pouvoirs publics subventionnent le secteur privé à travers des incitatifs et des réductions d’impôts. L’histoire a montré que c’est inefficace.»

«Cela conduit à une hausse du coût des loyers et à une financiarisation du logement. Des investisseurs construisent ou rénovent des édifices et les louent à prix d’or», poursuit Matthew Hayes, porte-parole de la Coalition pour les droits des locataires du Nouveau-Brunswick.

Julia Woodhall-Melnick propose de diversifier le secteur et de miser sur les organismes sans but lucratif comme les coopératives de logements. «Ce sont les mieux placés pour gérer des habitations qui resteront abordables, indépendamment de l’inflation», assure la spécialiste.

Pierre-Marcel Desjardins estime pour sa part que tous les «types de joueurs» doivent être sollicités et tous les outils mis à disposition.
«Les gouvernements doivent donner des fonds substantiels aux organismes sans but lucratif, aux municipalités ou aux établissements post-secondaires pour qu’ils construisent et gèrent leur parc, mais ça reste insuffisant. Il faut aider les développeurs et les promoteurs privés», souligne l’économiste.

Il salue à cet égard l’élimination par Ottawa de la TPS sur la construction de nouveaux logements locatifs: «Les provinces devraient faire de même et pourquoi ne pas offrir des rabais sur les taxes foncières les premières années.»

 

-30-

 

Photos

Légende : - Catherine Leviten-Reid

Crédit : - Gracieuseté

 

  • Nombre de fichiers 2
  • Date de création 2 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 2 octobre, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article