Logement en Ontario: l'impact humain des retards

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

La Commission de la location immobilière (CLI) de l’Ontario peine à régler les litiges qui touchent les locataires et les locateurs dans des délais raisonnables.

Lorsque Denise, qui a demandé que l’on garde son identité secrète, a décidé d’entamer des démarches auprès de la CLI, c’est parce qu’elle n’en pouvait plus des agissements du propriétaire de son logis.

Âgée de 66 ans, Denise était la plus jeune parmi trois dames locataires d’un bungalow situé dans le quartier Nepean, à Ottawa. 

En entrevue avec Le Droit, elle raconte les péripéties ayant mené à son déménagement.

«Juste d’en parler, j’ai les mains qui tremblent», avoue la dame.

Elle se souvient que le propriétaire avait scellé les fenêtres des chambres de ses voisines pour des rénovations à l'extérieur du logement, et que ce n’est qu’après des demandes répétées qu’il avait enfin fait l’achat d’un ventilateur pour compenser l’absence d’air climatisé. En plein mois d’août.

En novembre, après une importante chute de neige, il avait refusé d’enlever le manteau blanc de l’allée, insistant que c’était à Denise de le faire, s’insurge-t-elle.

Il aurait aussi demandé à l’une de ses voisines un paiement de 400$ pour avoir invité une amie à dormir chez elle parce qu’elle ne s’y sentait pas en sécurité.

Durant les mois où elle a habité dans ce logement, en 2021, Denise s’est liée d’amitié avec ses voisines, au grand dam du propriétaire de la place, dit-elle.

À l’Action de grâce, les trois voisines avaient décidé de partager un repas et du vin entre amies, mais la soirée a vite dégénéré lorsque le proprio a appelé la police, disant qu’elles étaient en état d’ébriété et qu’elles infligeaient du dommage à son bungalow. C’était faux, assure Denise.

Les textos et les appels incessants provenant du propriétaire se sont transformés en harcèlement, déplore Denise, et ça lui a rappelé une ancienne relation avec un conjoint abusif, confie-t-elle. 

Les dames ont été victimes de sexisme et d’âgisme, accuse Denise.

Processus ardu

Aujourd’hui, elle et ses amies ont déménagé. 

N’empêche, Denise attend toujours une date d’audience à la CLI, près d’un an plus tard.

Elle dit que naviguer à travers le processus de la CLI est si pénible et que les temps d’attente au téléphone sont si longs que c’est «presque devenu comme un emploi à temps plein».

Avocat d’expérience

L'avocat d'Ottawa Michael Thiele, qui représente à la fois les propriétaires et les locataires dans les différends, n’est pas surpris par le récit de Denise.

Oeuvrant dans ce domaine depuis 25 ans, il dit qu’il serait faux d’affirmer que l’arriéré observé à la CLI a été causé par la pandémie de COVID-19.

L’Ombudsman Paul Dubé avait même enquêté, en janvier 2020, après avoir reçu près de 200 plaintes de propriétaires et de locataires, l’année précédente.

«Ce que nous constatons dans certaines de ces plaintes, c'est que les retards ont un impact humain très réel», avait-il déclaré, tant pour les locataires que pour les propriétaires.

Tribunaux Ontario avait également constaté une augmentation du nombre de plaintes concernant les retards à la CLI, notant que la Commission n’avait pas respecté ses propres normes de service depuis 2017.

L’organisme, qui chapeaute 13 tribunaux décisionnels relevant du Procureur général de l’Ontario, avait attribué les retards principalement à une pénurie d’arbitres.

En avril 2022, le Procureur général avait annoncé un plan de 19 millions sur trois ans pour accélérer les décisions de la CLI en embauchant plus d’arbitres.

L’avocat Michael Thiele craignait alors que la province allait déplacer les audiences en mode virtuel de façon permanente.

Lui-même équipé de trois écrans lorsqu’il participe à une audience, il soutient que plusieurs propriétaires et locataires n’ont pas la technologie ou les compétences nécessaires pour défendre leur cause sur une plateforme virtuelle.

Celui-ci juge que le virage numérique imposé par la pandémie a fait bien des heureux à la CLI. 

«Avant la COVID-19, les arbitres devaient louer des véhicules, des chambres d’hôtel et coordonner les audiences en personne, alors le mode virtuel a permis des économies.»

Mais c’est aussi ce virage numérique qui a exacerbé les arriérés à la CLI, soutient-il. «Zoom est une plateforme qui présume que les gens vont coopérer et accomplir des choses ensemble. Mais quand il est question de la CLI, il y a des participants qui ont toutes les raisons du monde de ne pas vouloir coopérer. Si le site tombe en panne, ou si l’audience devient ingérable, il y a souvent des gens qui en bénéficient.»

Par ailleurs, l’avocat explique qu’auparavant, les litiges étaient souvent réglés avant d’arriver en salle d’audience. «Dans les couloirs, les parajuristes pouvaient se parler et s’accorder pour que le processus d’audience prenne moins de temps.»

Sa solution? «Si vous vous souciez réellement de l’équité procédurale, de la justice et du droit des gens à pouvoir être entendus, il faut revenir aux audiences en personne.»

Michael Thiele croit qu’il faudrait rouvrir les cendres d’audiences et offrir l’option de la technologie à ceux qui la préfèrent.

La députée libérale d’Ottawa-Vanier Lucille Collard implore le gouvernement Ford d’agir.

Elle juge elle aussi qu’il faut reprendre «immédiatement» les audiences en personne «avec des options pour audiences virtuelles».

Lucille Collard demande à la province de fournir un soutien aux locataires qui ont des défis technologiques et de créer «une ligne d'assistance téléphonique dotée d'un personnel compétent pour pouvoir assister les personnes qui ont des difficultés techniques en temps réel lors d'une audience».

La députée demande également au gouvernement Ford d’embaucher une équipe d'anciens adjudicateurs expérimentés pour s'attaquer à l'arriéré des dossiers. 

L’avocat Michael Thiele croit aussi que la CLI pourrait bénéficier de l’expérience de ces ex-arbitres.

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  • Date de création 28 septembre, 2022
  • Dernière mise à jour 28 septembre, 2022
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