Littérature autochtone à l’école: la révolution d’Isaiah Shafqat

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Récemment, Isaiah Shafqat, un jeune Autochtone Mi’kmaq du clan Loon, a entamé une petite révolution au sein de son conseil scolaire de Toronto.

On avait rendez-vous dans un petit café situé à deux pas de Kâpapâmahchakwêw - Wandering Spirit School, l’école de l’esprit errant, peu après la sortie des classes.

Il n’a pas le temps de s’adresser à la barista qu’une jeune femme, accompagnée de son enfant, l’interpelle: «Isaiah, c’est bien toi? Merci, merci, merci!»

Quand le petit de cette dame atteindra la 11e année, il recevra, dans le cadre de son cours d’anglais obligatoire, des apprentissages axés sur les écrivains autochtones plutôt que sur les classiques comme Shakespeare.

Et la mère de famille remercie Isaiah Shafqat parce que c’est lui qui est derrière cette décision historique récemment adoptée par le conseil scolaire du district de Toronto (TDSB).

Le nouveau cours obligatoire intitulé Comprendre les voix contemporaines des Premières Nations, des Métis et des Inuits (NBE3) sera progressivement intégré dans les 110 écoles secondaires de ce conseil scolaire.

« C’est important de noter que nous ne remplaçons pas Shakespeare, et les enseignants ne se verront pas empêchés de l’enseigner. Ce n’est pas fou ou révolutionnaire, on ne fait que reconnaître l’importance d’étudier la littérature autochtone. »

Isaiah Shafqat

Actuellement, 29 écoles du TDSB offrent déjà le cours, qui peut être utilisé pour satisfaire à l’exigence de crédits obligatoires en anglais de 11e année, selon le ministère de l’Éducation.

Âgé de 18 ans, le conseiller scolaire Isaiah Shafqat dit avoir voulu déposer une motion en ce sens parce que «c’est un élément essentiel de la vérité et de la réconciliation, et nous ne pouvons pas avoir de réconciliation avant qu’il y ait la vérité».

Dans son école, le cours existait déjà depuis un certain temps. «Ça m’a permis de reconnaître l’importance d’apprendre ce genre de choses, la littérature, l’histoire et les perspectives et je pense que chaque élève devrait avoir l’opportunité d’apprendre cela.»

À Ottawa

L’accomplissement d’Isaiah a une portée provinciale qui rejoint notamment les contrées d’Ottawa.

Conseiller pédagogique en perspectives et éducation autochtone du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO), Jonathan Cyr affirme avoir eu «l’honneur» de rencontrer Isaiah, récemment.

«J’en ai des frissons d’en parler parce que de voir un jeune si passionné, qui a les deux pieds dans des causes qui font avancer les choses pour que son identité puisse rayonner dans son conseil scolaire, c’est très louable, et je dois aussi dire que c’est très brave», lance-t-il.

L’Ottawa-Carleton District School Board (OCDSB) soutient avoir commencé à mettre en œuvre le cours obligatoire de littérature autochtone à la 11e année en 2018. Depuis, plus de 5000 élèves du conseil scolaire reçoivent ces apprentissages, selon le conseil scolaire.

L’Ottawa Catholic School Board (OCSB) a quant à lui commencé son processus pour offrir ce cours en 2020. Aujourd’hui, c’est devenu la «norme» dans les écoles secondaires du conseil scolaire catholique, indique-t-on.

Et les francos?

Nous avons demandé aux conseils scolaires francophones d’Ottawa pourquoi ils n’ont pas encore pris une décision comme celle récemment prise par le TDSB et celle de plusieurs autres conseils scolaires anglophones.

«C’est complexe», admet Jonathan Roy.

« Ce n’est pas seulement de donner une ressource et de demander à l’enseignant de transmettre la matière. Il y a vraiment une composante personnelle, une prise de conscience individuelle qui doit d’abord être prise par l’enseignant. [...] »

Jonathan Roy

Il existe aussi certains enjeux liés à la validité et à la légitimité des contenus, « et ce travail-là ne se fait pas du jour au lendemain, et dans le monde autochtone, ça doit toujours se faire avec une perspective locale», mentionne le conseiller pédagogique en perspectives et éducation autochtone.

La directrice du service de l’éducation du CEPEO, Dominique Vielleuse, remarque qu’il y a aussi une réflexion à avoir par rapport à l’accès aux ressources en français. «On sait qu’au niveau des anglophones, il y a beaucoup plus de ressources, c’est beaucoup plus large, il y a une accessibilité qui est présente. Et l’accès aux ressources varie aussi selon les régions. On a un travail en amont qui est beaucoup plus lourd à faire que chez les anglophones, et on veut bien le faire, on veut que le terrain soit prêt.»

Le CEPEO révèle travailler sur une initiative visant à financer les organismes autochtones «légitimes et authentiques» anglophones pour permettre la traduction des ressources vers le français. «Au-delà de faire la demande auprès de ces organismes, on veut faciliter le processus et éliminer des embûches pour qu’ultimement, on ait accès à des ressources de qualité. Le besoin était hier et nos enseignants ont besoin de ces ressources-là», estime Jonathan Roy.

«Hausse d’intérêt»

Quant au Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE), l’administration dit avoir «remarqué une hausse d’intérêt pour l’éducation autochtone et offre actuellement des cours à cet effet et élargi son offre».

Dans un courriel, le CECCE spécifie avoir «considéré un rendre ces cours obligatoires avant l’annonce du Toronto District School Board, mais l’administration a décidé d’offrir le choix aux élèves, plutôt que d’imposer un cours».

Or, c’est justement l’aspect obligatoire qui était important pour Isaiah Shafqat et qui l’a poussé à demander une décision de la part de son conseil scolaire. «Je pense que la réconciliation ne peut plus être facultative, elle doit être obligatoire. Il faut s’engager.»

«Dans un avenir rapproché, à mesure que les relations avec les partenaires autochtones se tissent et se solidifient, le CECCE offre certainement de plus en plus de cours qui répondent aux besoins des élèves pour comprendre et valoriser l’éducation autochtone.

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  • Date de création 21 février, 2023
  • Dernière mise à jour 21 février, 2023
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