L’inuktitut au cœur des recherches universitaires

Deux étudiants à la maîtrise en linguistique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) reviennent tout juste d’un séjour à Iqaluit. À travers des rencontres avec des gens de la communauté parlant l’inuktitut, ils ont pu collecter de précieuses données qui serviront à leur projet de recherche respectif.
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Karine Lavoie
IJL – Réseau.Presse – Le Nunavoix

Yoann Léveillé et Nora Villeneuve sont étudiants à la maîtrise en linguistique à l’UQAM et travaillent actuellement sur leurs mémoires respectifs, qui sont deux projets de recherche complètement différents.

Installés à l’Institut de recherche du Nunavut (IRN), les étudiants ont récemment multiplié les rencontres avec des locuteurs de l'inuktitut qui souhaitaient partager leur langue avec eux.

En juin dernier, ils ont d’ailleurs tous deux donné une présentation en lien avec leurs recherches lors du Congrès d’Études Inuit à Winnipeg.

Un travail exigeant

Nora Villeneuve explique d’entrée de jeu qu’en linguistique, ce sont les langues autochtones en général qui l’interpellent davantage puisqu’elle a l’impression de pouvoir apporter son aide concernant ces langues qui sont un peu moins décrites.

Ses recherches actuelles se concentrent sur le temps grammatical de l’inuktitut du sud de l’île de Baffin. Plus spécifiquement, elles portent sur la catégorisation primaire et secondaire des morphèmes de temps; un morphème étant le plus petit élément significatif grammatical dans un mot.

Elle s’intéresse notamment aux morphèmes rataaq et kainnaq, qui sont associés au temps de verbe du passé récent, c’est-à-dire qu’ils désignent un événement qui vient juste de se passer. Alors qu’à première vue, ces éléments semblent avoir le même sens, Nora Villeneuve tente de déterminer quel est le contexte d’utilisation de chacun ainsi que ce qui les distingue.

De son côté, Yoann Léveillé s’intéresse dans son projet de recherche aux démonstratifs. Ces mots utilisés pour faire référence aux éléments/entités dans l’espace, dans le temps et dans le discours peuvent également servir comme pronom à la troisième personne en inuktitut.

À l’aide des données qu’il collecte, l’étudiant tente d’avoir une meilleure compréhension du contexte d’utilisation, du sens et de la structure interne de ces mots.

Bien que la méthode de collecte de données soit similaire pour les deux étudiants, ils travaillent la plupart du temps séparément dans le but de mettre les participants confortables et à l’aise.

Les séances de travail avec un locuteur actif durent généralement entre une ou deux heures et comportent, par exemple, des questions de traduction ou des jugements de grammaticalité sur des phrases.

« Admettons, on va leur donner une phrase en inuktitut puis on va dire, est-ce que c’est grammatical? Est-ce que tu peux dire cette phrase-là dans tel ou tel contexte? », résume Nora Villeneuve.

Utilisant l’anglais comme langue de communication lors des rencontres, Yoann Léveillé raconte avoir également souhaité organiser des échanges un peu plus spontanés lors de son séjour. « Je vais essayer de faire en sorte que je puisse rencontrer deux personnes à la fois puis leur donner un cadre d’interaction. Comme ça, ces deux personnes-là interagissent juste en inuktitut. Moi j’enregistre et ensuite, je traite les données », explique-t-il lors d’un entretien téléphonique.

De retour à Montréal, les étudiants écoutent les enregistrements et procèdent à la transcription; tâche à laquelle ils n’ont pas eu le temps de s’adonner à Iqaluit. Une fois ce travail colossal terminé, ils pourront procéder à l’analyse des données.

Chaque rencontre a sa richesse

Bien qu’elle en soit à sa quatrième visite à Iqaluit, Nora Villeneuve se dit toujours surprise et étonnée par ses rencontres autant au niveau linguistique qu’extralinguistique. « Évidemment, au travers de toutes ces rencontres, on parle de plein de sujets. Ça me fait toujours plaisir les petits morceaux d’anecdotes », raconte-t-elle.

Au niveau de la langue, elle ajoute avoir appris assez rapidement l’importance de n’avoir aucun à priori parce qu’il existe, par exemple, de la variation dialectale. « Tu penses que tu vas avoir un certain type de données et tu te rends compte que c’est vraiment plus compliqué, que tu ne comprends pas trop dans quel contexte un morphème ressort et dans quel contexte il peut être utilisé », souligne-t-elle.

Yoann Léveillé, qui se rendait à Iqaluit pour la première fois, explique quant à lui que le jugement de chaque personne doit être considéré, ce qui rend le processus complexe. Pour expliquer ses dires, il soulève qu’une phrase peut faire surface durant une séance alors que le lendemain, une autre personne rencontrée dira que, selon son point de vue, cette même phrase ne fonctionne pas.

« Tous ces jugements-là, ils valent quelque chose. C’est jusqu’après, il faut trouver une boîte qui les regroupe tous ensemble », soulève Yoann Léveillé.

Lors de leurs rencontres, lorsque les étudiants prennent connaissance que le matériel utilisé n’est pas adapté, soit au niveau linguistique ou au niveau culturel, ils doivent se remettre au boulot et en développer une nouvelle version.

L’inuinnaqtun sous la loupe d’une équipe de recherche

De façon connexe, les deux étudiants travaillent sur la langue inuite en général. À Montréal, ils font partie d’une équipe de recherche supervisée par Richard Compton qui s’intéresse depuis un an et demi à un projet de corpus d’inuinnaqtun. Ce dialecte inuit est parlé par environ 1300 personnes dans l’arctique canadien.

Dans le cadre de ce projet, l’équipe effectue la transcription de vidéos d’aînés qui parlent en inuinnaqtun. « L’intérêt, c’est de ramasser des données, d’analyser tout ça puis éventuellement avoir du matériel pour faire une grammaire qui soit utilisable par la communauté et par les linguistes pour la recherche », explique Yoann Léveillé.

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Crédit : Courtoisie
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Yoann Léveillé et Nora Villeneuve sont étudiants à la maîtrise en linguistique à l’UQAM et étaient à Iqaluit tout récemment pour rencontrer des locuteurs de l’inuktitut.

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  • Date de création 10 novembre, 2022
  • Dernière mise à jour 10 novembre, 2022
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