L'existence de la Coopérative de Rogersville est mise en péril

Coup dur à Nouvelle-Arcadie : la Coopérative de Rogersville ne pourra plus vendre d’alcool à partir du 1erjuillet. L’octroi du contrat à une autre entité commerciale fait réagir la communauté. La décision d’Alcool Nouveau-Brunswick menace la pérennité de la Coop.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

Le magasin d’alimentation de Rogersville est aussi le distributeur de la plupart des produits commercialisés par Alcool Nouveau-Brunswick (ANBL). À plus petite échelle, on y trouve ce qui se vend dans les succursales de la Société de la Couronne. Non loin des caisses, il y a des rayons présentant des vins, des liqueurs et des alcools forts. Bières et « coolers » sont un peu plus loin, dans une pièce réfrigérée. Or, tous ces articles constituent les produits d’appel de la Coop.

Bières, spiritueux et vins représentent en effet 25% des ventes de la Coopérative ! L’année dernière, la vente de produits alcoolisés a totalisé 1,8 million $. Les ventes annuelles, tous produits confondus, se chiffrent bon an mal an entre 6 et 7 millions de dollars. Ne plus vendre d’alcool représente un énorme manque à gagner. C’est précisément ce qui va se produire à la fin du semestre. En décembre 2022, la Coopérative a appris qu’ANBL ne lui renouvelait pas sa licence de vente.

Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de vente d’alcool à Nouvelle-Arcadie. ANBL a octroyé une extension de six mois à la Coopérative. Celle-ci pourra vendre les produits jusqu’au 30 juin prochain. Dès le lendemain, c’est Rogersville Plaza Ltd. qui prendra officiellement le relai. Cette entité, propriété de personnes extérieures à la communauté, gère une station-service Shell et un café Tim Hortons le long de la rue Principale, à quelques dizaines de mètres de la Coop. Suite au processus d’appel d’offres, c’est elle qui a remporté la mise.

« Dans le cadre de son processus commercial normal, lorsque les contrats d'agence approchent de la fin de leur durée contractuelle, ANBL lance un appel d'offres pour ses magasins d'agence, comme le prévoit la loi sur les marchés publics. (…) Afin d'être équitable pour tous les soumissionnaires, une fois l'évaluation commencée, tous les soumissionnaires sont évalués selon les mêmes critères », indique par courriel Émile Dow, spécialiste des communications chez ANBL.

La relationniste précise le processus d’appel d’offres est créé pour « garantir l’équité et la cohérence ». Parmi les critères évalués, il y a les heures d’ouvertures, l’espace de rangement, celui de la chambre froide, la sélection d’alcool et le stationnement disponible. Selon ce qu’a constaté Le Moniteur Acadien le 25 février, la Coopérative ne peut être prise en défaut sur ces points. Parmi les autres critères, la visibilité de la circulation semble avoir donné un avantage concurrentiel à Rogersville Plaza, situé le long de la route 126. De l’avis du président du conseil d’administration de la Coop, Fernand Gaudet, cet argument est spécieux.

« Ils (ANBL) sont venus mesurer l’achalandage sur la route 126 pendant 24 heures, une journée dans l’année. Ils n’ont pas pris en considération que notre circulation à nous, elle est faite par nos 1500 membres. »

Malaise des clients

Une rencontre d’information a eu lieu jeudi 16 février pour expliquer le problème à la population. Environ 200 personnes s’y sont présentées. Un possible boycottage de Rogersville Plaza y fut évoqué. Parmi celles-ci, il y avait des clients que Le Moniteur Acadien a rencontrés à la Coopérative samedi midi. Signe évident que l’affaire provoque un certain malaise dans la communauté, ils étaient peu nombreux à oser s’exprimer à ce sujet dans le cadre d’un micro-trottoir. Deux hommes dans la soixantaine ont commencé à le faire avant de se raviser et de couper court à l’entretien.

Seule une femme dans la trentaine a bien voulu le faire, mais sous couvert de l’anonymat. Nous l’appellerons Diane pour les besoins de cet article. À une vingtaine de minutes de Rogersville, à Harcourt, il y a un dépanneur qui est une petite agence d’ANBL. Pour Diane, pas question d’aller là-bas. Quitte à faire 20 minutes de trajet, elle ira à Miramichi et en profitera pour y faire son épicerie au détriment de la Coopérative de Rogersville.

« C’est de valeur que la Coopérative perd la licence, dit-elle. Rogersville est un peu isolé et les produits coûtent plus cher ici. On ira faire l’épicerie à Miramichi où il y a Walmart, Sobeys et Superstore. C’est à 20 minutes en voiture. C’est plus loin mais on trouvera une façon de sauver de l’argent autrement. »

C’est donc bien une menace de fermeture qui planera sur la Coop lorsque celle-ci perdra le quart de ses revenus et qu’elle verra une partie de sa clientèle magasiner ailleurs que dans le village. Le conseil municipal de Nouvelle-Arcadie ne l’entend pas de cette oreille et compte faire tout ce qui est en son pouvoir pour renverser la vapeur. Les élus estiment qu’ANBL n’a pas pris en considération un élément important, soit la dimension sociale de la Coopérative qui redistribue une partie de ses bénéfices à la collectivité.

Impact social

« La Coopérative de Rogersville, par l’entremise de sa loto communautaire, s’est engagée à verser 25 000 $ par an, pour une période de dix ans, afin d’aider la bibliothèque publique à payer son loyer. Celle-ci est située dans l’édifice de la Coop. Chaque année, la loto Coop remet au-delà de 40 000 $ en dons à diverses organisations », indique le maire de Nouvelle-Arcadie.

Jimmy Bourque croit que la décision peut être renversée de deux manières. La première serait qu’ANBL réalise qu’elle a failli dans son évaluation en n’y incluant pas l’impact communautaire. La deuxième ferait appel à la bonne volonté de Rogersville Plaza si cette société décidait, volontairement, de retirer sa soumission afin de soutenir les citoyens de la communauté en garantissant la survie de l’unique magasin d’épicerie de la région. En attendant, les élus n’entendent pas rester les bras croisés.

« La situation est certainement inquiétante, déclare le maire Bourque, non seulement pour notre municipalité et la survie de la Coopérative, mais pour les autres communautés dans la même situation. Comme conseil municipal, nous allons mettre des pressions envers Alcool NB et le gouvernement pour renverser cette décision. Une lettre sera envoyée sous peu. »

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Photos

Titre : Coop (photo pour la une)

Légende : La Coopérative de Rogersville compte 1500 membres actifs. Si rien ne change, elle vendra sa dernière bouteille d’alcool le 30 juin 2023.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Plaza

Légende : Rogersville Plaza, qui s’est vu octroyer la licence, est situé à quelques dizaines de mètres seulement de la Coopérative.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Rayons

Légende : Bières, vins et spiritueux représentent le quart des recettes de la Coopérative de Rogersville. La perte de la licence d’alcool menace directement l’existence de la seule épicerie de la région de Nouvelle-Arcadie.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 1 mars, 2023
  • Dernière mise à jour 1 mars, 2023
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