Les travailleurs de l’éducation manifestent à Sturgeon Falls

Les négociations et le travail reprennent après deux jours de grève

Christian Gammon-Roy

IJL – Réseau.Presse

Tribune : la voix du Nipissing Ouest

Le centre-ville de Sturgeon Falls était l’une des scènes du drame entre le gouvernement provincial et les travailleurs de soutien des écoles de l’Ontario les vendredi 4 et lundi 7 novembre. Les travailleurs membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont manifesté le long de la rue King pour décrier la décision du gouvernement Ford de leur imposer de force un contrat de quatre ans et de leur enlever leur droit de grève, au lieu de négocier de bonne foi un nouveau contrat de travail. Une cinquantaine de manifestants ont participé, défiant la province et forçant certains conseils scolaires à fermer des écoles.

La province accusait le syndicat de demander une hausse de salaire déraisonnable, à 11%, alors que le SCFP précisait qu’il s’agissait de 3,25$ de l’heure pour des employés qui n’avaient pas touché de hausse importante depuis des années, alors que le salaire minimum a grimpé de 44% en 10 ans et l’inflation, de 24% durant la même période. Le salaire des travailleurs de l’éducation, dont le revenu moyen s’élève à 39 000$, serait monté de seulement 11% au cours des mêmes dix ans. Un gréviste à Sturgeon Falls, qui n'a pas voulu donner son nom, a qualifié cela de recul. «On a moins de pouvoir d’achat qu’il y a dix ans!»

Le SCFP représente les travailleurs de soutien en éducation, distincts des enseignants qui sont représentés par un syndicat séparé. Les membres sont des aides-enseignants, des concierges, des bibliothécaires, des secrétaires et autres, jugés si essentiels au bon fonctionnement des écoles que certains conseils scolaires ont choisi de fermer les portes en leur absence.

«Vu l’étendu de cette grève et l’impact qui en découle au sein des écoles du CSPNE, il nous sera impossible d’accueillir les élèves et d’assurer leur santé, leur supervision et sécurité de façon adéquate ainsi que de livrer l’enseignement de façon équitable. Les écoles du CSPNE sont fermées aux élèves dès le vendredi 4 novembre 2022 et ce, jusqu’au retour de ces employés,» indiquait le Conseil scolaire public du Nord-est de l’Ontario le 3 novembre. L’école secondaire publique Nipissing Ouest et l’école élémentaire Jeunesse Active étaient donc fermées vendredi et lundi.

Selon le président de la section 4865 du SCFP, Michel Gagnon, le public s’est montré favorable aux revendications des grévistes. Une table installée le long de la rue King, devant le bureau du député provincial John Vanthof, regorgeait de dons de café et beignes. Ils ont même reçu une carte-cadeau de 200$. Tout au cours des deux jours de manifestation, les automobilistes klaxonnaient pour signaler leur soutien. Cette réaction locale confirmait la tendance provinciale : un sondage de la firme Abacus Data révélait lundi que 62% des Ontariens blâmaient le gouvernement Ford d’avoir provoqué cette grève et la fermeture d’écoles.

Julie Ann Bertram, résidente de Field récemment élue comme conseillère scolaire auprès du Near North District School Board (conseil public anglais), a été invitée à parler aux grévistes. Elle a émis une déclaration écrite. «En tant que conseillère nouvellement élue, je n’ai pas encore été assermentée et je ne peux pas parler au nom du conseil de toute façon, et je n’ai aucun lien avec un syndicat quel qu’il soit. Cependant, comme parent élue à ce poste, c’est essentiel d’exprimer mon plein soutien aux travailleurs de l’éducation. À tous nos aides-enseignants, éducateurs de la petite enfance, concierges, bibliothécaires, personnel administratif et tous ceux et celles qui travaillent au profit de l’éducation de nos enfants, vous faites partie intégrante de ce village qui aide à élever chaque enfant de cette province. Vous méritez plus qu’un salaire de misère et vous avez tout à fait droit de faire grève.»

Les députés néo-démocrates soutenaient aussi les grévistes et 16 d’entre eux ont été expulsés de l’Assemblée législative à Toronto le 2 novembre lorsqu’ils se sont opposés à la Loi 28, qui imposait un contrat aux travailleurs et leur interdisait de faire grève, puis à l’invocation de la disposition dérogatoire qui empêcherait le syndicat d’avoir recours aux tribunaux pour contester ces mesures. Le député provincial John Vanthof était présent au moment de l’adoption de cette loi, et il est venu à son bureau de Sturgeon Falls pour soutenir les grévistes vendredi.

«Jamais la disposition dérogatoire n’a été invoquée» de manière aussi abusive,» a-t-il déploré, en ajoutant que le NPD tentait de convaincre le gouvernement de reculer. «Aujourd’hui, c’est le SCFP, et ça sera qui demain? Nous sommes sur une pente dangereuse et il faut lutter contre cette dérive.»

M. Vanthof a répondu aux parents touchés par la fermeture des écoles, affirmant que les travailleurs de l’éducation sont aussi des parents qui préféreraient être au travail. Selon lui, si la rémunération de ces travailleurs n’augmente pas, ceux-ci quitteront la profession et les écoles se trouveront à court de personnel, tout comme elles le sont pendant la grève, mais en permanence. «Toutes ces personnes, ces bons travailleurs, trouveront d’autres emplois. Qu’arrivera-t-il à nos école alors?» Il a comparé cela à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la santé, où bien des travailleurs ont quitté le milieu faute de bonnes conditions de travail.

Même si l’adoption de la Loi 28 rendait la grève illégale, le syndicat refusait de reculer. Dans un courriel aux membres jeudi, il a même fourni des conseils à suivre en cas d’arrestations ou d’amendes. «C’est une situation sans précédent et nous ne savons pas à quoi nous attendre. Nous nous préparons à toute éventualité et le SCFP sera là sans faille pour soutenir ses membres.»

Il n’y a pas eu d’amende ou d’arrestation au cours des deux jours, et lundi le gouvernement Ford a tendu une main au syndicat, offrant de retirer la Loi 28 si les travailleurs, de leur côté, reprenaient leurs fonctions. Les deux camps ont reculé et le ton s’est adouci, puis les employés ont repris le travail mardi en sachant que les négociations reprenaient.

Les deux partis ont crié victoire.  «Ces membres du SCFP qui travaillent en première ligne, dont 70 pour cent sont des femmes, ont tenu tête au gouvernement Ford. Et le gouvernement a flanché. Nous avons démontré que notre mouvement est puissant et que nous nous défendons les uns les autres lorsqu’on s’en prend à nos droits,» a déclaré Mark Hancock, président national du SCFP lundi.

Le premier ministre ontarien et son ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, ont tenu une conférence de presse lundi pour annoncer qu’ils allaient proposer le retrait de la Loi 28. «Avec la coopération de l’Opposition, nous nous attendons à ce que cela soit adopté assez vite.» M. Ford a aussi annoncé la reprise des négociations en ajoutant que la province projetait déjà «une meilleure offre, particulièrement pour les travailleurs à plus faible revenu.» Il a insisté que son seul objectif, c’était de voir les enfants en salle de classe.

Les détails de cette nouvelle offre ne sont pas connus et le SCFP s’est réservé le droit de retourner en grève si les négociations stagnent à nouveau. M. Vanthof est optimiste mais il garde une certaine réserve. «Nous serions bien plus rassurés si le gouvernement rappelait les députés pour une session extraordinaire pour éliminer tout de suite la Loi 28,» dit-il, ajoutant que le Premier ministre a toujours «une épée de Damoclès au-dessus de la tête du syndicat.»

Néanmoins, il garde l’espoir d’une négociation fructueuse. «Toutes les associations de travailleurs se sont unies et elles ont dit «non!» [à la Loi 28] (…) J’espère qu’ils en arriveront à une entente (…) que tout le monde pourra accepter,» de conclure M. Vanthof.

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  • Date de création 14 novembre, 2022
  • Dernière mise à jour 14 novembre, 2022
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