Les provinces de l’Atlantique font-elle le poids?

Avec un nombre limité de députés à la Chambre des communes, le poids politique de l’Atlantique dépend avant tout de l’influence des ministres fédéraux originaires de la région. Le Cabinet libéral de Justin Trudeau, plus que jamais fragilisé, pourrait davantage prêter une oreille attentive aux griefs régionaux alors que les gouvernements provinciaux tentent de paraître plus forts via le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique.

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Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – Acadie Nouvelle - Atl

«Les provinces de l’Atlantique n’ont pas de poids démographique et économique suffisant pour faire la différence sur la scène politique fédérale», affirme sans détour Mario Levesque, professeur de sciences politiques à l’Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick.

«Elles n’ont pas de siège à la table des adultes, elles ont un siège à la petite table, juste à côté, celle des petits cousins», tranche-t-il.

L’Ontario, le Québec, l’Alberta et la Colombie-Britannique, poids lourds démographiques, occupent le devant de la scène à Ottawa.

À l’autre bout du spectre, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard, qui représentent à peine 6,5% de la population canadienne, tentent de se faire une place sur l’échiquier politique fédéral.

Chaque province se voit attribuer un nombre de sièges à la Chambre des communes en fonction des estimations de la population fournies par Statistique Canada. Ainsi, seuls 32 députés représentent la région Atlantique sur les 336 que compte la Chambre des communes, soit un peu moins de 10%.

Le nombre de députés sera porté à 343 lors de la prochaine législature, avec l’ajout de nouvelles circonscriptions en Ontario et au Québec. Le poids électoral des régions à l’est du Saint-Laurent s’en trouvera encore plus affaibli.

Provinces surreprésentées   

«Mathématiquement, le poids politique de l’Atlantique n’est pas là et restera faible», appuie Roger J. Ouellette, professeur à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.

Les quatre provinces sont déjà surreprésentées par rapport à leur démographie. Grâce à des dispositions protectrices de la Constitution, les Canadiens de l’Atlantique envoient plus d’élus à la Chambre des communes qu’ils ne le devraient.

Le principe, c’est un député pour 111 000 habitants. Mais, la clause sénatoriale, inscrite dans la Constitution, garantit qu’une province ne peut pas avoir moins de députés que de sénateurs.

Résultat, alors que les Néo-Brunswickois devraient voter pour sept ou huit députés tout au plus, ils en élisent dix. Même situation à l’Île-du-Prince-Édouard qui compte quatre députés alors qu’elle ne devrait en avoir qu’un ou deux.

J.P. Lewis, professeur de sciences politiques à l’Université du Nouveau-Brunswick, estime néanmoins que «le poids politique de l’Atlantique pourrait être plus important que la représentation réelle au sein de la Chambre des communes».

«C’est une partie du pays où le soutien aux libéraux et aux conservateurs va et vient, où les deux partis sont en concurrence pour se prendre des sièges», analyse le spécialiste.

Il prend l’exemple du gouvernement libéral de Jean Chrétien, qui avait mis en place une réforme du programme d’assurance-chômage lors de son premier mandat.

À l’élection de 1997, le Parti libéral a payé chèrement cette réforme. De 31 sièges qu’il détenait dans les quatre provinces de l’Est, il n’en a conservé que onze.

Forum de discussions inefficace?

Pour s’assurer d’être entendus sur la Colline du Parlement, les responsables politiques régionaux ont créé le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique (CPMA) en mai 2000.

L’objectif est clair: rassembler les chefs des gouvernements provinciaux autour de la table pour promouvoir et défendre les intérêts des habitants dans les grands dossiers nationaux.

«C’est l’idée de parler d’une voix commune et amplifiée par rapport au reste du pays afin d’obtenir plus d’argent du fédéral, de faire passer ses positions et ses messages», confirme Roger J. Ouellette.

Mario Levesque salue également «un bon moyen pour les premiers ministres de s’engager ensemble, de s’échanger des idées, de se comprendre au-delà des différentes réalités locales».

L’universitaire porte cependant un regard critique sur l’action du CPMA: «Ils parlent beaucoup, mais ils ne sont pas toujours très écoutés».

«Leur travail n’a pas vraiment mené à des mesures concrètes qui ont changé la vie des gens, résolu la crise du système de santé ou du logement», ajoute Mario Levesque.

Il juge par ailleurs que le CPMA dispose d’une capacité d’action limitée et que la critique du fédéral se heurte à la réalité budgétaire.

«À la fin de la journée, les premiers ministres se mettent en ligne pour prendre l’argent d’Ottawa dont les transferts représentent plus de 30% de leurs budgets.»

Besoin de poids lourds au Cabinet 

J.P. Lewis considère au contraire qu’un «front uni» des quatre provinces pour s’adresser au fédéral peut faire bouger les lignes et changer les calculs politiques d’Ottawa.

«À l’approche d’une année électorale avec des libéraux en position de faiblesse, en difficulté sur le plan des revenus, le poids des questions régionales peut fortement s’accroître», assure l’expert.

En réalité, aux yeux de tous les politologues interrogés, la réelle influence des provinces de l’Atlantique dépend des ministres présents au sein du gouvernement fédéral.

Aujourd’hui, six personnalités de l’Atlantique, dont les Néo-Brunswickois Dominic LeBlanc et Ginette Petitpas-Taylor ou encore le Néo-Écossais Sean Fraser, font partie du Cabinet libéral de Justin Trudeau. L’insulaire Lawrence MacAulay, député depuis 1988, y figure aussi.

«Six, c’est un record. C’est une bonne chose d’avoir des ministres qui sont considérés comme des vétérans de la politique à des postes clés, ils connaissent les arcanes du pouvoir», observe J.P. Lewis.

«Dominic LeBlanc est très influent. C’est un ami d’enfance de Justin Trudeau, ils ont un lien très fort et il a une voix qui porte dans le Cabinet», poursuit Roger J. Ouellette.

Incertitudes des conservateurs

Qu’en sera-t-il après les prochaines élections fédérales qui doivent avoir lieu au plus tard en octobre 2025?

Les derniers sondages prédisent une large avance pour les conservateurs. Selon les projections, le parti de Pierre Poilievre réaliserait également des gains importants en Atlantique.

«Historiquement, les libéraux ont une assise forte dans la région, mais le parti de Justin Trudeau risque de perdre beaucoup lors du prochain scrutin», prévient Roger J. Ouellette.

La victoire des conservateurs dépendra des sièges qu’ils remporteront au Québec et en Ontario, en particulier dans la grande région de Toronto.

«En Atlantique, nous pouvons aider à gagner un gouvernement majoritaire, mais nous n’avons pas assez de sièges pour faire la différence», précise Mario Levesque.

Le professeur à l’Université Mount Allison s’interroge sur les futurs «gros ministres conservateurs» de l’Atlantique si Pierre Poilievre devient premier ministre: «Pour l’instant, je n’en vois pas. Ça pose la question de notre future influence».

De son côté, J.P. Lewis regrette que les quatre provinces soient trop souvent mises dans le même panier : «Les premiers ministres doivent travailler deux fois plus fort pour distinguer les défis qui leur sont propres.»

Front commun contre la taxe carbone 

Depuis l’été 2023, le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique fait bloc contre la taxe carbone décidée par Ottawa.

«Cela répond à un grand mécontentement dans les zones rurales», analyse Roger J. Ouellette de l’Université de Moncton.

Lors des élections fédérales de 2015, le parti libéral a pourtant gagné tous les sièges en Atlantique, une première historique, alors que Justin Trudeau promettait haut et fort qu’il allait instituer une taxe carbone.

À l’automne dernier, les quatre provinces ont réussi à obtenir la suspension pour trois ans de la tarification du carbone pour les foyers chauffés au mazout.

«Cette victoire est quand même extraordinaire considérant que de bien plus grosses provinces comme l’Ontario et l’Alberta avaient déployé des efforts politiques et judiciaires bien plus considérables, sans connaître un tel succès», souligne Gabriel Arsenault, professeur à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.

Ce mois-ci, la région Atlantique fait à nouveau bloc contre la hausse de la taxe prévue le 1er avril. L’opposition transcende les clivages politiques.

Des politiciens comme Susan Holt, la cheffe du parti libéral du Nouveau-Brunswick, ou Andrew Furey, premier ministre libéral de Terre-Neuve-et-Labrador, n’hésitent pas à monter au créneau contre cet outil de taxation de la pollution.

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Photo : Roger Ouellette – Gracieuseté

Photo : Gabriel Arsenault - Gracieuseté

 

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  • Date de création 3 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 3 avril, 2024
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