Les problèmes d'eau brune persistent à Verner et des résidents s’impatientent

Isabel Mosseler

IJL – Réseau.Presse

Tribune : la Voix du Nipissing Ouest

On dirait une tasse de café, mais ce n’est en réalité que l’eau du robinet. Ce genre d’image choc apparait à nouveau sur les réseaux sociaux, où certains habitants de Verner dénoncent l'état de leur eau potable, qui sort marron du robinet. C’est un problème récurrent depuis des années, et dernièrement il semble plus persistant. Après des années de promesses d’une solution, il y a une méfiance générale et plusieurs pensent que leurs préoccupations ne sont pas prises au sérieux par la ville; certains menacent même de cesser de payer leurs factures d'eau. Curieusement, la situation n'est pas uniforme : l'eau brune peut apparaître dans une maison et, deux portes plus loin, l’eau est tout à fait claire.

Reg Boutin et Gilles Piquette, deux propriétaires de Verner touchés par le problème, s'inquiètent des effets à long terme, même si la ville assure que l'eau est sans danger. Ils craignent non seulement des effets sur la santé, mais aussi l'impact sur leurs appareils électroménagers. Ils contestent également certaines déclarations faites par les autorités municipales, selon lesquelles la couleur brune, due au manganèse présent dans l'eau prélevée de la rivière Veuve, se produit plus tard dans la saison, lorsque le niveau d'eau est bas. Or, l'eau brune est déjà apparue cette année et persiste depuis le printemps, alors que le niveau d'eau est encore élevé.

Reg Boutin dit que le problème va et vient, mais qu'il dure depuis déjà quatre ans. «La municipalité nous a dit qu'elle allait régler le problème et qu'elle allait faire venir de l'eau de Cache Bay. Je leur ai dit que je ne pensais pas que le problème venait uniquement de l'eau, parce qu'on la laisse couler pendant 5 à 10 minutes, puis elle s'éclaircit et deux jours plus tard, nous avons à nouveau de l'eau brune. Je pense donc que ce n'est pas seulement l'eau de la rivière qui a trop de manganèse... Je n'y crois pas du tout. Pour moi, c'est leur système qui ne peut pas filtrer l'eau correctement.»

Selon M. Boutin, les résidents ont été informés par l'AOE (Agence ontarienne des eaux) et Peter Ming, directeur du service des eaux et des eaux usées de Nipissing Ouest, que le produit chimique utilisé auparavant pour éliminer le manganèse ne peut plus être utilisé de la même manière. Exprimant son mécontentement, il déplore : «C'est une histoire sans fin.»

Gilles Piquette renchérit. «Je voulais remplir des carafes d’eau... Cela ressemblait à une cafetière... et ça goûtait le savon Palmolive,» raconte-t-il. Il dit que son eau n’a jamais été aussi brune que le mois dernier, donc quelque chose a dû se passer pour donner ce résultat.

M. Boutin dit qu'il fait couler l’eau pendant 2 à 10 minutes avant d'obtenir une clarté raisonnable. M. Piquette confirme que l’eau s’éclaircit lorsqu’on la laisse couler. Pour ce qui est de la cause, le premier pense qu'il y a des sédiments dans les tuyaux souterrains, mais le rinçage des canalisations n’offre qu’un répit de courte durée. «Nous leur avons rappelé que l'ensemble du système date de 1974, lorsqu'ils l'ont installé. Je pense donc que nous avons dépassé l'espérance de vie de ce système,» estime M. Boutin.

Suite à une étude du problème, la ville avait proposé de relier Verner au système d’eau de Cache Bay pour y acheminer de l’eau sans manganèse, ce qui devait résoudre les problèmes de manière permanente. Or, le coût estimé était de 10 millions de dollars, donc jusqu'à présent, le projet n'a pas été mis en œuvre. Ainsi, les habitants de Verner attendent toujours et leur patience s'épuise.

Malgré l'assurance que la ville y travaille, M. Boutin veut savoir «combien de temps va-t-il falloir attendre? Est-ce qu'il faut que quelqu'un tombe malade, comme à Walkerton, ou quoi ?» Même si l'eau est potable, personne ne veut l’utiliser pour la lessive. «Nos machines à laver sont foutues. Nos toilettes sont foutues. Elles sont tachées, et nous avons déposé une plainte. ...Qui va payer ma machine à laver quand elle sera abimée? Qui va payer mon réservoir d'eau quand il sera fini? Parce que les sédiments ne cessent de s'accumuler, n'est-ce pas ? Et ils ont répondu : «Oh, non, non, non, ce n'est pas si grave.» Lors de la dernière réunion, nous allions apporter un verre d'eau à M. Barbeau (directeur général de la municipalité de Nipissing Ouest) et lui dire «Êtes-vous prêt à le boire? Vous continuez à nous dire que l'eau est saine. Eh bien, pourquoi ne pas en boire pendant que nous sommes ici?»»

L'une des voisines de M. Boutin, à huit portes de chez-lui, n'a jamais eu d'eau brune. «Est-ce parce qu'elle ne l'utilise pas comme nous? Je ne sais pas, et c'est ce qui me préoccupe. ...Nous payons une agence pour avoir de l'eau propre... Si celle-ci ne nous fournit pas de l'eau propre, pourquoi ne pas aller la voir et lui dire «hé, tant que vous n'aurez pas fait le nécessaire pour nous fournir cette eau, nous ne paierons pas.»»

Ni le directeur municipal Jean-Pierre Barbeau, ni le directeur du service des eaux Peter Ming n'étaient disponibles pour répondre à ces préoccupations, mais le conseiller municipal Fern Pellerin, qui représente Verner, affirme qu'il s'est penché sur la question et qu'il ne s'agit pas des canalisations, selon lui. M. Pellerin préside également le comité des eaux et des eaux usées. «J'ai passé environ trois heures à l'usine [de traitement des eaux de Verner] avec lui [Peter Ming] et avec le responsable d'Aquatech, et il m'a expliqué le problème du manganèse» et du produit chimique qu’on ne peut plus utiliser pour le manganèse.

D’après lui, la présence de l’eau brune à certains endroits et non d’autres peut s’expliquer par des variations dans la pression et le débit d’eau. «Lorsque vous faites couler l'eau, s'il y a plus de pression d'un côté, il y aura plus de turbulence qui entrainera des sédiments et c'est là que vous aurez de l'eau brune.» Pour illustrer, il prend une bouteille d'eau brune qui s'était reposée et éclaircie, puis l'agite pour qu'elle redevienne brune. Il précise également que toutes les canalisations souterraines de Verner sont en PVC, même si certains raccords sont probablement en acier. «Lorsqu'il y a un débit d’eau faible vers une maison, les sédiments se déposent dans le tuyau... Lorsque vous utilisez beaucoup d'eau, le débit plus fort remue le fond du tuyau... ce qui est tout à fait logique. C'est ce que Peter [Ming] m'a expliqué ; c'est pour cela qu'il y a une maison où l'eau est brune et une autre où l'eau est claire.»

Néanmoins, M. Pellerin assure que toute l'eau qui sort de l'usine est propre et saine, même si elle est jaunâtre. Malgré les explications, il reconnaît que ses électeurs ont un fardeau additionnel en raison de ce problème. Il fait écho aux préoccupations de Reg Boutin concernant l'usure des appareils électroménagers et la réduction de leur durée de vie à cause des particules.

M. Pellerin pense avoir trouvé une solution temporaire, qui consiste à installer un système de filtration dans les foyers concernés jusqu'à ce que la solution permanente soit finalisée. «La solution, c'est un filtre.» Il donne l’exemple d’un propriétaire de bâtiment multirésidentiel à Verner, qui a installé un système de filtration et «l'eau est claire depuis un an. Le filtre fait son travail.» Il a l'intention de proposé cette idée au conseil municipal.

Mais cela soulève la question à savoir qui assumera les coûts. Les services d'eau et d'égouts sont financés par les usagers et ne peuvent pas être subventionnés à même les impôts fonciers. M. Pellerin souligne que les habitants de Verner paient les mêmes tarifs que les autres résidents de la municipalité, mais reçoivent une eau de moins bonne qualité; ainsi, ils ne devraient pas être seuls à assumer le coût de la filtration à domicile, selon lui.

Il ajoute que la station d'épuration de Verner est essentiellement un système de filtration, mais qu'elle est apparemment inefficace, en raison de son âge. «La station de Sturgeon est beaucoup plus récente... et à Verner, il n'y a qu'une seule station; celle de Sturgeon est un système en deux parties, dont on peut fermer la moitié si l'on veut faire de l’entretien. À Verner, c'est impossible, et ça commence à être vieux.»

Il répète que l'eau qui sort de l'usine est claire «parce qu'elle sort sous pression, mais au fur et à mesure qu'elle coule... elle se dépose dans les tuyaux, et lorsqu'il y a un haut débit, elle devient brune.» Même les foyers qui n'ont pas d'eau brune seront touchés, affirme M. Pellerin, qui s'est également entretenu avec des ménages qui n'ont pas de problème d'eau brune. «L'eau est toujours un peu jaune. … Ce n’est pas remarquable dans l’immédiat, vous ne le voyez pas, mais au bout du compte, votre machine à laver, au lieu de durer 20 ans, durera peut-être 10 ou 15 ans.» M. Pellerin estime que l'installation d'un système de filtration résidentiel coûterait entre 300$ et 500$ par foyer. «Les propriétaires paient 360$ tous les trois mois, alors je ne pense pas qu'ils devraient en absorber le coût.»

Les habitants de Verner attendent de Fern Pellerin qu'il fasse pression en leur faveur, et il a l'intention d'inscrire la question à l'ordre du jour d’une prochaine réunion municipale. «Pour être honnête, je voulais être sûr d’avoir tous les faits en main avant.» Il reconnaît que certains habitants de Verner ne font pas confiance à la municipalité; ils sont contrariés et pensent que leurs préoccupations ne sont pas prises au sérieux. De plus, tout le monde n'est pas convaincu du bien-fondé du projet de pipeline de Cache Bay et surtout de son coût de 10 millions de dollars, montant sûrement plus élevé aujourd'hui en raison de l'inflation. Selon M. Pellerin, le filtre local, «c'est une alternative vraiment bon marché, une solution bon marché, à court terme et peut-être même à long terme.»

Reg Boutin insiste sur le besoin d’appliquer rapidement des mesures correctives, sans attendre la construction d'une éventuelle canalisation. «Je suis convaincu que la solution n'est pas d'installer un système de 10 millions de dollars, et maintenant probablement un système de 15 millions de dollars... Vous avez maintenant trois villes qui sont reliées au même système d'approvisionnement en eau. Que se passera-t-il si un jour, ce système tombe en panne? Il y aurait alors trois communautés sans eau. Qu'allez-vous mettre en place comme plan de secours?»

Peter Ming n'était pas disponible pour répondre à ces questions avant que ce journal ne passe sous presse. Or, Reg Boutin est à bout de patience. Il continue à faire couler l'eau parfois pendant 10 à 15 minutes, en attendant qu'elle s'éclaircisse. «Je me fiche de savoir quelle est la solution. Apportez-nous simplement de l'eau propre!»

Photo : Des bouteilles d’eau remplies du robinet de Gilles Piquette à Verner.

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  • Date de création 25 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 25 juin, 2023
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