Les Ontariens derrière un recours collectif contre la province déplorent les délais

Les 4000 Ontariens qui intentent un recours collectif contre le gouvernement Ford, pour avoir éliminé en 2018 un projet pilote visant à garantir un revenu de base aux personnes vivant dans la pauvreté, exhortent la province à cesser de leur mettre des bâtons dans les roues.
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Émilie Gougeon-Pelletier

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Quand le gouvernement libéral de Kathleen Wynne a lancé, en 2017, le plus grand projet pilote de revenu de base que l’Amérique du Nord avait connu depuis 50 ans, Jessie Golem, qui retenait son souffle quotidiennement face à la menace de la pauvreté, a pu expirer pour la première fois depuis longtemps.

Cette initiative prévoyait un budget de 150 millions de dollars pour un programme de trois ans qui allait verser 16 989 $ par année aux participants célibataires, et 24 027 $ aux couples.

Le montant diminuait de 50 cents pour chaque dollar récolté au travail.

Les candidats admissibles étaient des gens vivant avec moins de 34 000 $ par an, ou moins de 48 000 $ pour les couples.

Trois municipalités avaient été choisies pour le projet pilote : Hamilton, Thunder Bay et Lindsay.

Se sortir du fossé

Jessie Golem, une résidente de Hamilton, tentait depuis des années de lancer son entreprise de vidéographie, mais les exigences financières liées à ses besoins essentiels, comme le loyer, la nourriture et le transport, l’en empêchaient.

Elle avait quatre emplois, elle tentait de se sortir d’un fossé creusé par une relation «financièrement abusive», et elle manquait de temps.

«En participant au projet pilote de revenu de base, j’ai pu réduire le nombre d’emplois que j’avais et me concentrer sur la création de mon entreprise, parce que ce revenu me permettait de me sentir suffisamment en sécurité pour prendre le risque en sachant que mes besoins fondamentaux étaient couverts», se souvient-elle.

Promesse brisée

En campagne électorale, Doug Ford avait promis qu’il n’éliminerait pas ce projet pilote.

Un mois après son arrivée au pouvoir, en 2018, le gouvernement Ford y a finalement mis fin.

L’ex-ministre des Services sociaux, Lisa MacLeod, avait admis quelques semaines plus tard que son gouvernement avait brisé sa promesse électorale, imputant la décision aux «réalités» auxquelles la province faisait face, une fois l’élection terminée.

Les progressistes-conservateurs disaient aussi que le programme décourageait les participants à trouver du travail.

Importants changements

N’empêche, Jessie Golem n’était pas la seule qui était en voie de reprendre sa vie en main grâce à ce programme.

Une enquête menée auprès de 424 bénéficiaires du projet pilote, menée par le groupe activiste Réseau canadien pour le revenu garanti, avait révélé que bon nombre d’entre eux avaient apporté d’importants changements dans leur vie dans les mois suivant leur inscription au programme.

Un tiers des répondants ont déclaré avoir assez d’argent pour poursuivre des études, un cinquième ont dit qu’ils pouvaient financer leur transport pour se rendre au travail, et près des trois quarts ont déclaré qu’ils avaient commencé à mieux manger.

Lorsque le programme a pris fin, ils ont «été forcés de vivre à nouveau dans la pauvreté», souligne Jessie Golem, qui a décidé de monter un projet de photographie pour montrer les différents visages de ce projet pilote.

«Les effets dévastateurs de l’annulation ont été ressentis par chaque personne que j’ai rencontrée. [...] Les gens ont annulé leurs projets, ils ont mis des opportunités de côté, ils ne pouvaient plus s’offrir de bien manger ou de vivre dans un logement sécuritaire.»

—  Jessie Golem

Rupture de contrat

L’avocat principal qui représente les 4000 plaignants, Me Stephen Moreau, argue que le gouvernement Ford a commis une rupture de contrat en abandonnant le projet pilote, en juillet 2018, soit environ un an après sa mise sur pied.

«C’est aussi simple que ça», mentionne-t-il.

«Les plaignants et tous les participants ont conclu un accord contractuel juridiquement contraignant avec l’Ontario selon lequel, quel que soit le parti au pouvoir, ils participeraient au projet pilote pendant trois ans. Ils ont pris des engagements et des obligations financières, en lançant de petites entreprises, en retournant à l’école, présumant que le projet pilote se déroulerait pendant ces trois ans, comme indiqué dans leur contrat avec l’Ontario», insiste l’avocat.

Me Moreau était à Queen’s Park, lundi, accompagné de Jessie Golem, notamment, pour demander au gouvernement Ford «de cesser de gaspiller l’argent des contribuables en frais d’avocats» et de dédommager ses clients.

Le recours collectif, certifié le mois dernier par la Cour supérieure de l’Ontario, cherche à obtenir des dommages et intérêts allant jusqu’à 200 millions de dollars pour les 4000 participants au programme.

Le gouvernement s’était battu pour empêcher le recours collectif d’aller de l’avant et a été sommé de débourser 320 000 $ pour les frais juridiques dépensés au cours des cinq dernières années.

«Le premier ministre Ford et le gouvernement de l’Ontario doivent être tenus responsables du mépris flagrant pour un accord contractuel, et des impacts négatifs que cela a eus sur plus de 4000 Ontariens vulnérables, dont plusieurs n’ont pas pu se rétablir», martèle l’avocat.

Investissements

«Comme cette affaire est devant les tribunaux, il serait inapproprié de commenter», a fait savoir un porte-parole du ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires, dans un courriel envoyé au Droit.

La province affirme avoir procédé à des augmentations «historiques» des taux du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, et qu’elle investit plus d’un milliard de dollars dans son Fonds de développement des compétences afin d’accroître la main-d’œuvre ontarienne.

Jessie Golem dit qu’elle n’est actuellement bénéficiaire d’aucun programme ontarien existant. Son projet de fonder sa propre petite entreprise est sur la glace.

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Photos 

 

  • Jessie Golem, une résidente de Hamilton, était parmi les 4000 participants au projet pilote de revenu de base garanti créé par le gouvernement libéral de Kathleen Wynne. Elle était à Queen's Park, lundi, accompagnée notamment de la membre fondatrice du Réseau canadien pour le revenu garanti Sheila Regher (à gauche) et de l'avocat principal du recours collectif, Me Stephen Moreau (à droite). Ils accusent le gouvernement Ford de bris de contrat. (Émilie Gougeon-Pelletier)
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  • Date de création 23 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 23 avril, 2024
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