Les fruits d’un travail de collaboration

Dans une longue série de plaidoyers pour les droits linguistiques devant les tribunaux, l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM) en collaboration avec la Société du Barreau du Manitoba continue de faire avancer des dossiers pour la dualité linguistique.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Dans une lettre adressée au ministre de la Justice et Procureur général du Manitoba, Kelvin Goertzen, au début du mois de juillet, la Société du Barreau du Manitoba et l’AJEFM souhaitent changer la dénomination de la Société du Barreau du Manitoba.

En effet, comme l’explique Me Guy Jourdain, ancien directeur général de l’AJEFM, cette dénomination est désuète. « Au début des années 1980, le Manitoba a recommencé à adopter ses lois dans les deux langues officielles. Il y avait peu de Provinces et de Territoires à l’époque qui adoptaient ses lois dans les deux langues officielles.

« Il y avait le Québec, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario. Le Manitoba s’est donc inspiré du modèle ontarien, avec la Société du Barreau du Haut-Canada ce qui a donné la Société du Barreau du Manitoba. »

Une précision

Pour le traducteur de formation, le mot Société ne vient pas ajouter du poids au mot Barreau. « Barreau du Manitoba convient très bien pour désigner l’ordre professionnel des avocats et des avocates. Société n’est pas idiomatique, partout dans le monde francophone, on dit Barreau de quelque part. »

De plus, le Manitoba est la seule province à garder le mot Société dans sa dénomination. « Après le Manitoba, d’autres Provinces et Territoires se sont mis à adopter leurs lois dans les deux langues officielles et ils ont gardé l’appellation de Barreau. »

La Société du Barreau du Manitoba a donc approché l’AJEFM pour envoyer une lettre co-signée au ministre de la Justice afin de changer cette dénomination. Si le gouvernement provincial accepte, la Société du Barreau du Manitoba aura un peu de travail. « Dans la traduction française, il faudra écrire Barreau du Manitoba au lieu de Société du Barreau du Manitoba. C’est un peu de travail de leur part. Mais ce n’est pas énorme, les coûts ne sont pas importants. Je ne vois pas de raison que le gouvernement refuse. »

Pour Me Guy Jourdain, cette demande fait partie d’une plus grande stratégie de sensibilisation à la dualité linguistique dans les tribunaux. « Cette lettre fait partie d’une collaboration de plus en plus étroite avec la Société du Barreau du Manitoba. Il y a une sensibilisation croissante à la dualité linguistique. C’est une très bonne chose. Pensons notamment au Code de déontologie qui a été modifié pour être plus au clair avec les obligations des avocats. »

Dualité linguistique

En effet, dans le courant du mois de mai, la Société du Barreau du Manitoba a accepté des modifications aux commentaires visant les règles 3.2-2A et 3.2-2B du Code de déontologie.

Ces règles s’intéressent aux droits linguistiques d’un client ainsi que les obligations des avocats manitobains envers leurs clients.

Pour bien comprendre le fonctionnement du Code de déontologie, Me Tarik Daoudi, directeur général de l’AJEFM, tient à poser le contexte. « Le Code de déontologie encadre la profession avec toutes sortes de règles. En dessous des règles, il y a des commentaires pour interpréter, nuancer ou ajouter un peu plus de détails sur ces règles. »

Ce Code de déontologie rappelait, jusqu’à présent, que des dispositions linguistiques existaient dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans le Code criminel. Cependant, les droits linguistiques ont évolué comme le souligne Me Tarik Daoudi. « Les nouveaux commentaires donnent beaucoup plus de précisions. La règle dit : L’avocat doit aviser son client, lorsque c’est approprié, de ses droits linguistiques. Sauf qu’il manquait beaucoup de contexte à cette phrase.

« Désormais, les commentaires font référence aux dispositions linguistiques dans La Charte canadienne des droits et libertés, dans le Code criminel, ainsi que dans la Loi sur le divorce et dans la Loi de 1870 sur le Manitoba. Ces précisions viennent aussi renforcer la deuxième règle qui explique qu’un avocat ne doit pas se charger de l’affaire s’il n’est pas compétent pour fournir les services requis dans cette langue de choix du client. »

Tribunaux bilingues

L’acceptation par la Société du Barreau du Manitoba est une preuve que l’ordre professionnel reconnaît la dualité linguistique qui existe dans les tribunaux manitobains comme l’explique Me Tarik Daoudi. « Les avocats doivent savoir qu’il est possible de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix devant les tribunaux. Le Manitoba a ainsi été formé.

« De plus, il y a de plus en plus de services en français qui sont demandés dans la province. Les nouveaux arrivants francophones vont très souvent se tourner vers le français pour des questions juridiques, il faut donc que l’on soit en mesure de leur offrir ces services. »

Me Tarik Daoudi n’a pas de chiffres à partager sur le nombre de demandes faites en français, ni sur le nombre de procès en français qui ont été entendus au Manitoba. L’adjointe exécutive des juges en chef, Aimee Fortier confirme ne pas avoir de données sur les demandes faites en français. Cependant, dans une entrevue réalisée en juin 2022, l’ancien juge en chef Richard Chartier expliquait que « depuis 2006 que je suis juge à la Cour d’appel, je n’ai entendu qu’un seul appel en français mais on a eu plusieurs requêtes en français. On doit en entendre peut-être deux à trois par année. »

Pour Me Tarik Daoudi il faut prendre ces chiffres avec des pincettes. « J’assume que beaucoup de justiciables, qui sont à l’aise en anglais, font leur affaire en anglais. Plutôt qu’en français. Tout simplement parce que les services offerts ne sont pas suffisants pour les francophones. »

Pour continuer leur travail de sensibilisation, l’AJEFM, toujours en partenariat avec la Société du Barreau du Manitoba, a déjà créé des outils en ce qui concerne l’accès à la justice en français. Me Tarik Daoudi explique : « Nous continuerons de pousser pour des changements pour les droits linguistiques. Nous avons proposé une directive de pratique qui consiste à envoyer une note à tous les avocats pratiquant au Manitoba afin de les mettre au courant de ce changement avec des détails pratiques.

« Ensuite, nous allons rappeler qu’il existe une formation de sensibilisation aux droits linguistiques, dispensée par l’AJEFM, destinée aux avocats qui entrent dans la profession ou qui arrivent au Manitoba. »

 

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Photos : 

  • Me Tarik Daoudi est directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba. + Photo : Marta Guerrero
  • Me Guy Jourdain est l’ancien directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba. + Photo : Archives La Liberté
  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 28 juillet, 2023
  • Dernière mise à jour 28 juillet, 2023
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