Les femmes ont encore besoin de faire leur place dans certains domaines de recherche

Il y a encore du travail à faire pour que les femmes soient vues sur le même pied d’égalité avec les hommes dans tous les domaines de recherches scientifiques. Si elles se sentent qu’elles ont leur place en humanité ou en éducation, dans d’autres domaines comme la biologie ou la chimie, c’est plus difficile. Pourtant, de plus en plus d’exemples démontrent que leur pleine participation est essentielle.

_______________________

Julien Cayouette

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

«On ne peut pas se priver de l’intelligence, des idées et du talent de la moitié de la population», lance la présidente de l’ACFAS-Sudbury, Valérie Gauthier-Fortin. 

Pendant longtemps, les recherches dans le domaine de la santé se faisaient seulement ou principalement sur les hommes. Les chercheurs disaient vouloir regarder le corps humain de façon neutre, supposant que toute réaction physiologique s’appliquerait aussi bien aux hommes qu’aux femmes. 

Mais ce n’est pas le cas. Les recherches récentes démontrent, par exemple, que les symptômes d’une crise cardiaque sont différents pour les hommes et les femmes. Ce genre de généralisation a engendré bien des problèmes chez les femmes au cours des années.

Malgré ces données de plus en plus connues, il reste du chemin à faire. «Il y a encore aujourd’hui, de façon surprenante peut-être, des préjugés qui entrainent des réflexes discriminatoires dans le monde de la recherche.On a parfois le réflexe de mettre les [chercheuses] de côté ou de leur donner un rôle de secrétaire ou de réviseure. Ce n’est peut-être pas fait de façon consciente ou pour mal faire, mais c’est encore la réalité», élabore Mme Gauthier-Fortin.

«Il a été démontré qu’il y a une plus grande richesse dans la diversité des équipes de travail, ça fait des travaux de meilleure qualité et les travaux sont mieux adaptés à la population», poursuit-elle.

Les préjugés sont tenaces et peuvent aller plus loin que les capacités mentales. 

La professeur de biologie de l’Université Laurentienne, Mery Martinez-Garcia, donne son domaine en exemple. «Lorsque je dis à mes étudiants qu’on s’en va en Afrique ou au Panama, qu’il faut être en forme parce qu’on aura une vingtaine de cages attachée à notre dos, qu’il faut marcher dans les swamps et qu’on va tomber et se relever, qu’on mange juste une fois par jour, sans frigo, sans électricité, pas de toilette en porcelaine… Certaines femmes ne se voient pas faire ça. Mais on est toutes capables!»

Selon les domaines

La présence des chercheuses n’est pas uniforme dans tous les domaines. Ceux où les femmes occupent la majorité des emplois leurs font aussi plus de place en recherche. Langues, éducation, orthophonie et sciences infirmières en sont des exemples.

La professeure de langue française et de langue seconde à la retraite, Renée Corbeil, n’a jamais sentie qu’elle subissait de la discrimination dans son domaine de recherche. 

Mery Martinez-Garcia voit une différence en biologie. À l’Université Laurentienne, elles ne sont que deux femmes qui font de la recherche dans son département. La situation est similaire en chimie. 

Elle croit que la Laurentienne devrait suivre l’exemple d’autres universités pour ses prochaines embauches afin d’assurer une plus grande présence féminine dans les domaines où elles sont sous-représentées. 

Des exigences supplémentaires

Valérie Gauthier-Fortin, chercheuse en langue, voit qu’il y a encore des idées préconçues sur les rôles des femmes en société, comme la maternité et de l’éducation des enfants. «Plutôt que de voir ces rôles-là comme des enjeux, ces expériences de vie-là diversifiés offrent des nouvelles perspectives, des pistes d’exploration différentes, un différent niveau d’interprétation. Je trouve que c’est vraiment une grande richesse.»

Quand vient le temps de superviser des étudiants et des jeunes chercheurs·ses, Mme Martinez-Garcia voit la féminité comme un avantage. Une femme peut être tout aussi exigente qu’un homme quant aux besoins et aux résultats d’une recherche, mais leur plus grande empathie — ce côté «maternaliste» —, peut permettre de mieux comprendre et accepter les aléats de la vie des étudiants. «Si ça va mal [dans leur vie], tu ne peux pas prétendre qu’ils vont fournir la même chose au labo. La vie sentimentale ou familiale, elle ne disparait pas en traversant la porte du laboratoire.»

Dans les milieux universitaires, être une femme veut aussi souvent dire travailler plus. La chercheuse en biologie animale n’a pas seulement une étiquette de «femme», elle a aussi celle d’«immigrante» et de «francophone» — malgré que ce soit sa troisième langue. Quand un groupe ou un comité a besoin de quelqu’un pour représenter les francophones, ou les femmes ou les immigrants… on l’appelle presque automatiquement. 

Avant d’apprendre à dire «non», elle a souvent été surchargée de travail. «La distribution de notre temps diminue pour certaines choses. Mais personne ne va reconnaitre ça quand vient le temps de faire une demande d’avancement ou de subvention», dit Mme Martinez-Garcia. La motivation d’être remarquée par les supérieurs est quand même là.

Des cercles parfois plus sécuritaire

L’ACFAS-Sudbury est un outil qui peut permettre aux chercheuses de prendre la place qui leur revient.

Le rôle de l’ACFAS est de faire la promotion de la recherche en français, mais les femmes jouent souvent un rôle important à l’ACFAS-Sudbury. En ce moment, des dix membres du conseil d’administration, sept sont des femmes — dont la présidente, les deux vice-présidentes et la secrétaire. 

À l’époque de sa présidence, de 2006 à 2009, Mme Martinez-Garcia se souvient que 80 % des personnes impliquées étaient des femmes.

L’ACFAS est un endroit propice pour que les femmes francophones présentent leur recherche, peu importe le domaine, note Renée Corbeil, qui a fait partie du conseil d’administration et qui  a travaillé à la publication de la revue scientifique Actes de l’Acfas-Sudbury. Dans les rencontres nationales, il y a des volets qui se concentrent sur les femmes. Certains groupes se forment et créent un espace pour elles.

Mme Martinez-Garcia sentait que l’ACFAS-Sudbury donnait la chance aux femmes de prendre leur place. Avant elle, c’était aussi une femme qui était présidente.

Elle a apprécié son passage à la tête de l’ACFAS-Sudbury et tout ce qu’elle y a accompli, mais elle a, ironiquement, décidé de partir parce qu’elle sentait que des hommes rejetaient son leadeurship et voulaient prendre le contrôle. «Je n’avais pas d’énergie à perdre avec un mâle alpha qui veut me dire ce que je dois faire.»

Encourager la prochaine génération

«Pour être une femme dans le monde de la recherche, il faut avoir le dos large et être déterminée. Il faut chercher et se battre pour l’égalité», prévient Mme Gauthier-Fortin.  Les nouvelles venues doivent être prêtes à relever leurs manches et ne pas baisser les bras.

Les changements n’arriveront pas sans que l’on se batte, ajoute Mery Martinez-Garcia. Leur présence peut surtout encourager plus de jeunes filles à rejoindre des métiers non-traditionnnels. 

«Je pense que ça commence dès le primaire et le secondaire, dit Renée Corbeil. Pousser la curiosité. Enseigner avec la pensée critique. [On a besoin de la pensée critique] à l’université pour émettre des hypothèses, les tester, questionner, etc.»

 

— 30 —

 

Julien/ACFAS et sciences au féminin/Mery Martinez-Garcia.JPG

Mery Martinez Garcia — Photos : Archives Voyageur

 

Julien/ACFAS et sciences au féminin/Valérie Gauthier-Fortin 2017.jpg

Valérie Gauthier-Fortin — Photos : Archives Voyageur

  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 9 mars, 2023
  • Dernière mise à jour 9 mars, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article