Les études francophones universitaires battent de l’aile au Canada
Manque de financement au Campus Saint-Jean, réduction de programmes aux universités Saint-Paul et Laurentienne en Ontario, diminution d’étudiants étrangers à cause de la COVID-19 à l’Université de Saint-Boniface et ailleurs. Décidément, les études universitaires francophones en situation minoritaire filent un mauvais coton. D’où pourrait provenir la solution ?
André Magny
Initiative de journalisme local – APF - Ouest
L’Université d’Ottawa (UO) a exprimé son appui au Campus Saint-Jean par le biais d’une déclaration le 1er septembre dernier. On pouvait y lire que l’UO « appuie l’Université de l’Alberta dans ses efforts afin de trouver une alternative viable afin d’assurer la pérennité de cette institution réputée qui contribue activement à la diversité de la société albertaine et canadienne ». Mais concrètement, cela va-t-il aller plus loin ? La porte-parole de l’Université d’Ottawa, Isabelle Mailloux-Pulkinghorn affirme que « pour l’instant, c’est tout ce que nous avons à dire sur le sujet. »

Pour éviter les coupes dans les programmes comme à l’Université Laurentienne, les institutions postsecondaires peuvent tenter d’aller séduire les étudiants à l’étranger quand la COVID-19 ne fera plus des siennes. C’est un peu le souhait que faisait l’an dernier le recteur de l’UO, Jacques Frémont, lors d’un discours dans lequel il déclarait que « tout établissement universitaire francophone ou bilingue au Canada doit faire le pari du XXIe siècle, celui du renouvellement de son espace francophone, celui de son ouverture sur la richesse et la diversité francophones de tous les pays et de tous les continents. »
À l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), on mise sur certaines initiatives qui assureraient le rayonnement de l’éducation postsecondaire en français et l’augmentation de l’offre de programmes. C’est le cas notamment avec un plan mis de l’avant par l’ACUFC pour travailler sur la promotion de ses membres. Elle a, entre autres, collaboré avec ÉduCanada concernant une campagne numérique internationale qui visait à attirer des étudiants étrangers provenant de différents marchés. Sa priorité, selon son site et ses communiqués, c’est de s’assurer que l’éducation postsecondaire dans la Francophonie canadienne demeure une priorité pour le gouvernement fédéral.
Pour le vice-recteur à l’enseignement et à la recherche à l’Université Saint-Paul, Jean-Marc Barrette, les problèmes auxquels fait face son établissement « sont essentiellement d’ordre financier. » Il mentionne le fait que depuis 2017, la subvention de base a été gelée, les droits de scolarité ont été baissés de 10 % à la demande du gouvernement ontarien et qu’il n’y a pas eu de compensation. Aucune compensation non plus pour la rentrée de 2020 avec un nouveau gel demandé. Selon le vice-recteur, « il est normal de fermer des programmes tombés en désuétude et d’en créer d’autres pour se renouveler ».
Fédérer le système ?
Membre du conseil d'administration de l’ACFAS, professeur adjoint et codirecteur de l’axe Francophonies minoritaires, histoire et politiques des langues à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, François Charbonneau en a gros à dire sur la situation actuelle. Alors que la demande d’admission est en hausse, le Campus Saint-Jean est en difficulté. Pour l’universitaire, c’est là la preuve que, même si les francophones contrôlent leurs institutions, « s’ils ne contrôlent pas les politiques publiques dans l’attribution du financement, ils sont pris dans une situation où ils sont à la merci des décisions de la majorité. Dans l’histoire du Canada, les membres de la majorité ont rarement été sensibles aux défis des minorités. »
Est-ce que ce serait envisageable de fédérer le système postsecondaire francophone ? François Charbonneau le verrait très bien. Un peu comme l’a fait le Québec avec son réseau des universités du Québec. Selon lui, pour assurer un plus grand pourcentage de programmes en français, les Franco-Ontariens auraient dû penser à fédérer l’ensemble des institutions francophones ontariennes afin d’obtenir « un système postsecondaire en français complet. Ce qu’on a fait à la place, c’est de lancer une université à Toronto. À mon avis, ç’a été du grand n’importe quoi! », affirme-t-il.
De son côté, le directeur du Bureau des Affaires francophones et francophiles de l’Université Simon Fraser, Gino LeBlanc, n’est pas nécessairement contre l’idée de fédérer en Ontario, compte tenu du nombre de francophones, « mais au-delà des frontières de l’Ontario, c’est non. » Dans l’Ouest, « on essaie plutôt de développer des stratégies communes. » Par exemple, la reconnaissance mutuelle des crédits réalisés dans chaque antenne francophone postsecondaire de l’Ouest va dans ce sens.
Des états généraux sur l’éducation postsecondaire ?
Que reste-t-il face à ces problèmes ? Une envie de brasser la cage pour François Charbonneau. Très conscient que l’éducation est une chasse gardée des provinces, il reprend le cas de la nouvelle université francophone de Toronto. Que s’est-il passé quand l’Ontario se faisait tirer l’oreille pour le financement de cette nouvelle institution francophone ? Ottawa est accouru. Le professeur de l’UO parle de « prise d’otage ». Selon lui, les autres provinces pourraient faire la même chose sachant que le fédéral arrivera à la course pour protéger le bilinguisme au Canada.
L’UO va presque dans le même sens dans sa lettre de soutien au Campus Saint-Jean : « L’Université d’Ottawa lance également un appel au gouvernement fédéral afin d’évaluer un possible soutien financier au Campus Saint-Jean, comme il l’a fait pour la création de l’Université de l’Ontario français. »
Même si les relations sont bonnes en ce moment avec le ministre de l’Éducation en Colombie-Britannique, Gino Leblanc est aussi conscient de la limite de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit à l'instruction dans la langue de la minorité.
Pour François Charbonneau, on pourrait même penser à créer un réseau pancanadien qui pourrait « avoir des antennes, des liens de collaboration avec les universités du Québec ». Il se réfère notamment à l’Université de Sherbrooke qui forme des étudiants en médecine pour l’Université de Moncton. Mais selon lui, les recteurs des petites universités ne veulent pas trop bouleverser les choses. « Des états généraux de l’éducation, oui, mais on n’en est pas là. L’éducation n’a pas la cote dans les réseaux sociaux », constate-t-il.
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Bas de vignette : Le directeur du Bureau des Affaires francophones et francophiles au sein de l’Université Simon-Fraser, Gino Leblanc. Crédit : Sandie Lafleur
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- Date de création 25 septembre, 2020
- Dernière mise à jour 1 octobre, 2020