Les épiceries zéro déchet reprennent vie

Leurs ventes ont peut-être coulé durant la pandémie, mais les épiceries zéro déchet se sortent tranquillement la tête de l'eau — même si elles ne surfent pas sur la même vague qu’en 2019.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

La succursale de Nu Grocery sur la rue Wellington — la première épicerie zéro déchet à Ottawa — à dû fermer à la fin 2022 par manque de clientèle. «On était tellement éloigné des chiffres de ventes prépandémie qu’on ne pouvait plus se permettre d’avoir deux succursales», dit la propriétaire Valérie Leloup. Elle se concentre maintenant sur la deuxième épicerie qu’elle a inaugurée en 2019 sur la rue Main.

Avec la déclaration de l’urgence sanitaire et les nombreux conseils de sécurité publique, les épiceries zéro déchet ont été largement ignorées ces trois dernières années. Puisque les produits ne sont pas emballés, que chacun apporte son contenant et que la clientèle se sert elle-même, les risques de propagation du virus paraissent plus élevés.

Nu Grocery avait le vent dans les voiles depuis 2017. Avec les nombreuses manifestations en lien avec l’environnement, la venue de Greta Thunberg à Montréal et l’attention médiatique sur ce sujet, le mouvement écologique prenait de l’ampleur.

«Quand on a lancé, ça a dépassé mes attentes, se rappelle Mme Leloup. En quelques mois, on est rentrés dans nos frais.»

La fondatrice de Nu Grocery a observé que les gens étaient craintifs avec l’hygiène de fonctionnement de son épicerie et que l’effort d’apporter ses contenants a fait déborder le sac. «Ça a été tellement dur pour les gens de faire face au confinement et aux ajustements de la pandémie qu’ils ne pouvaient pas se compliquer la vie plus que ça. Il fallait se simplifier la vie, alors les gens achetaient dans les grandes chaînes et non les petits commerces. Les grandes surfaces offrent tout, alors c’est plus simple.»

Renouveau

Depuis peu de temps, Mme Leloup accueille plus de visages dans son magasin, qu’elle avait perdu de vue durant près de trois ans.

«L’année 2022 a été très difficile. Depuis la fin de l’année dernière, on sent qu’il y a un renouveau, les gens sont plus conscients de la réduction des déchets. Durant la pandémie, ce n’était pas la priorité, mais là ça revient un petit peu dans la conscience collective.»

Il reste que ses chiffres de ventes sont loin de ceux de 2017, quand elle a ouvert sa première épicerie.

À Gatineau, La Boite à Grains a décidé de complètement fermer l’accès aux produits en vrac au début de la pandémie. Le reste de l’épicerie a connu un grand succès avec les ventes de produits d’alimentation biologiques qui ont doublé. La section du vrac a rouvert il y a un an et l’achalandage remonte tranquillement la pente, sans atteindre le sommet d’avant pandémie.

Selon le gérant de la succursale du Plateau, Marcel Loyer, l’emballage reste indispensable dans un commerce alimentaire. «Le sac ne disparaîtra jamais, tranche-t-il. Je n’aurais plus rien dans le magasin s’il n’avait plus de sac, on n’existerait pas. Mon chiffre d’affaires en vrac est de 2%. Si je mettais les laitues sans emballages dans les comptoirs, le monde n’y toucherait même pas. Il y aurait tellement de nourriture qu’on jetterait à la poubelle que ce ne serait même plus payant.»

L’Association québécoise Zéro Déchet (AQZD) a noté une baisse de 30% des ventes durant la pandémie à travers la province. Sans avoir de chiffres, elle soutient que plusieurs épiceries vouées à la réduction des déchets ont dû mettre leur entreprise à la poubelle. Par contre, la clientèle est de moins en moins emballée et reprend ses habitudes écologiques.

«Le zéro déchet était en train d’exploser avant pandémie, c’était une offre qui était à son apogée, souligne la co-fondatrice de l’AQZD, Laure Mabuleau. Au moment de la pandémie, il y a eu un retour vers cette volonté que les aliments soient emballés, qui est une fausse sensation de propreté. On a un effet de régulation maintenant entre l’offre et la demande. Il y a un travail à faire pour l’éducation et amener toujours plus de gens vers les épiceries zéro déchet. Il y a maintenant une croissance plus normale et non exponentielle. Mais c’est en train de revenir, il faut encourager les gens à reprendre de bonnes habitudes environnementales.»

Problème de système

Les épiceries zéro déchet ont pour but de réduire l’empreinte environnementale du secteur de la consommation alimentaire. Sauf que ce ne sont pas ces quelques commerces qui vont changer les habitudes de la population, selon leurs propriétaires.

«Évidemment que tout le monde veut une belle planète. Par contre, dès qu’il s’agit de changer son comportement, c’est beaucoup plus délicat, souligne Valérie Leloup. Si on veut vraiment avoir un changement de comportement durable, il faut changer les systèmes. Ce n’est pas par l’objet du comportement individuel, ce n’est pas assez pérenne. Ce n’est pas avec les épiceries zéro déchet qu’on va améliorer la situation. On avait fait un pas en avant avec les épiceries zéro déchet et maintenant on a fait deux pas en arrière. Il faut qu’on se retrouve où l’on était en 2017 et on en est encore loin.»

«Ce sont les gouvernements qui doivent changer le système en place pour inciter les compagnies à changer leurs habitudes», ajoute M. Loyer.

Succès dans une petite communauté

Dans la petite ville de Cornwall dans l’Est ontarien, Julie Dennis connaît un certain succès avec son épicerie zéro déchet The Local Fill. Elle n’a pas observé une ignorance de la clientèle envers son commerce durant la pandémie. Elle a ajouté un commerce en ligne et livrait elle-même.

«Il y a eu une baisse des ventes durant la pandémie, mais nous étions quand même en bonne posture, dit la propriétaire. Les gens reviennent à leurs habitudes d’avant. Il y a une hausse de l’achalandage dans les derniers mois.»

«Mon message est positif, tient à clarifier Laure Mabuleau de l'AQZD. Il peut y avoir une certaine fatigue chez les gens de voir qu’ils sont seuls à faire ces gestes. On a besoin de sentir que la société avance dans le même sens.»

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Photos

Nu Grocery avait le vent dans les voiles depuis 2017, mais la pandémie a forcé l’entreprise a fermé une succursale. (Simon Séguin-Bertrand, Le Droit)

Valérie Leloup, propriétaire de Nu Grocery (Simon Séguin-Bertrand, Le Droit)

Julie Dennis, propriétaire de The Local Fill (Charles Fontaine, Le Droit)

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 10 mars, 2023
  • Dernière mise à jour 10 mars, 2023
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