Les entrepreneures ontariennes ont besoin d’aide

Les voix féminines se lèvent face au manque de ressources pour les femmes dans le monde entrepreneurial. En plus de l’iniquité des sexes qui persiste, le plus gros enjeu est le manque de ressources en santé mentale, surtout en région rurale, affirme un organisme d’aide pour les femmes entrepreneures en Ontario.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

«La tête a besoin de bien fonctionner pour être performante au travail et gagner de l’argent pour faire vivre la famille», explique Rosalind Lockyer, cheffe de direction et fondatrice du centre PARO qui a mené un sondage auprès de 147 entrepreneures.

On ressent encore les effets de la pandémie, dit-elle, qui a beaucoup taxé les entrepreneures. «La femme est celle qui s’occupe le plus de la famille et des enfants en général. En plus de cette responsabilité, elle devait travailler de la maison en même temps. Les femmes me disent que ça a eu un grand effet sur leur santé mentale.»

Le sondage de PARO est mené depuis de nombreuses années et vise à exposer les préoccupations des entrepreneures.

Il révèle cette année que les femmes en affaires ont beaucoup souffert de la pandémie et que les répercussions sont toujours visibles.

Partout au Canada, et surtout dans les secteurs ruraux comme l’Est ontarien, les services de santé mentale se font rares. «Il manque énormément de ressources en santé mentale dans notre région, surtout en français, martèle le directeur général du Centre de santé communautaire de l’Estrie, Marc Bisson. Ça fait des années qu’on a ce problème-là, je ne sais pas ce que ça prend aux gouvernements pour comprendre et s’organiser pour remédier au problème. L’attente moyenne ici pour consulter un spécialiste est d’un an.»

Mme Locker du PARO a observé de nombreuses crises professionnelles durant la pandémie et relève qu’une augmentation des services en santé mentale améliorerait la situation. «Si nous ne créons pas d’environnement pour qu’elle s’épanouisse, ça n’aide pas l’économie», dit-elle.

Au bout du rouleau

Chantal Brisson est une de ces femmes dont l’entreprise a perdu beaucoup de gallons suite à la pandémie et elle a dû se tourner vers le soutien psychologique. La propriétaire du petit commerce mobile Jonick offre des vêtements adaptés aux personnes avec un handicap. La résidente d’Embrun se déplace dans les résidences pour personnes âgées de Gatineau à Toronto, en passant par Montréal, pour vendre ses vêtements. Elle débarque avec son camion rempli de vêtements et de chaussures dans une résidence et une couturière l’accompagne pour adapter des pièces de vêtements sur le pouce. Si une personne désire un morceau qu’elle ne possède pas, elle le commande et le livre pas la poste. L’entrepreneure fait affaire avec une compagnie de Montréal pour obtenir ces vêtements spécialisés.

La pandémie est venue complètement chavirer son concept. L’entrepreneure fréquentait certaines résidences sur une base régulière, mais plusieurs n’acceptent plus de journée de magasinage.

«J’ai perdu 50% de mes revenus, affirme-t-elle. Je n’ai aucune stabilité. Avant la pandémie, je fréquentais une résidence tous les jours.»

Lorsque la pandémie est survenue, son entreprise a dû être mise sur pause pendant plusieurs mois. Elle n’a pas reçu d’autre aide outre la Prestation canadienne d’urgence.

Pour que son entreprise survive, elle a besoin de 10 000$ par saison, ce qui n’est pas le cas en ce moment.

Vu ses difficultés financières, Mme Brisson a dû avoir recours à des soins de santé mentale, qui se font rares dans l’Est ontarien, mentionne-t-elle. «Je suis une personne assez forte, mais on a besoin de service pour nous aider. On n’a pas beaucoup de services en milieu rural, on est délaissé. Mais je suis une personne positive, alors quand je suis dans mon down, je vais chercher de l’aide.»

Elle vit maintenant au jour le jour, confie-t-elle. «Quand tu ne réussis pas et que tu ne fais pas d’argent, tu te demandes comment tu vas manger. Je n’ai pas d’argent qui rentre, mais les factures continuent à rentrer. J’ai beau faire de beaux yeux à mon mari, mais lui aussi il a des factures à payer. [...] Ça me coûte plus cher parce que j’achète en petites quantités, mais je n’ai pas le choix. J’essaie de maximiser le plus de revenus.»

Sexisme encore au rendez-vous

Rosalind Lockyer a eu aussi écho de nombreux épisodes de sexisme chez les femmes qui ont contribué à son enquête. «Les femmes voient leurs collègues masculins réussir à obtenir du financement pour leur entreprise. Quand elles vont à la banque, on traite leur entreprise comme un passe-temps. Beaucoup de gens ne veulent pas reconnaître que ça existe toujours, il y a de l’éducation à faire.»

La propriétaire de la boucherie L’Orignal Packing Ltée, Christine Bonneau-O’Neill, en sait quelque chose. Elle doit constamment réitérer que c’est bien une femme qui est à la tête de l’entreprise familiale établie depuis 51 ans. «Maintenant, ça arrive moins souvent, mais au début, certains ne croyaient pas que j’étais la propriétaire», se remémore-t-elle.

«Les femmes doivent souvent faire trois fois plus d’efforts pour prouver qu’elles sont à leur place. La nouvelle génération est plus ouverte, mais cette mentalité voulant que les affaires ça soit réservé aux hommes est toujours présente», ajoute celle qui est propriétaire de la boucherie depuis 17 ans.

Comme elle n’a pas de modèle féminin dans son domaine, Mme Bonneau-O’Neill se joint à des associations comme PARO et Leadership féminin Prescott-Russell pour chercher du soutien et pour pouvoir discuter des enjeux qui touchent ces femmes entrepreneures. «Je me sens moins seule. Comme j’évolue dans un milieu d’homme, je me remets en doute des fois.»

Chantal Brisson raconte de son côté avoir aussi été victime de sexisme lorsqu’elle a démarré son entreprise en 2018. «Je suis allé voir plusieurs banques pour avoir du financement, raconte Mme Brisson. Il y a une banque qui m’a dit que si j’étais un homme, elle m’aiderait. C’est finalement une femme qui m’a aidée. Elle m’a posé des questions pour voir si je savais où je m’en allais, mais elle m’a aidée. Je ne me suis jamais senti descendue.»

«Je fais partie d’un cercle de femmes entrepreneures et il y a beaucoup de rencontres. Il y a des hommes qui sont là et qui nous disent clairement qu’ils nous prennent moins au sérieux, parce que nous sommes plus fragiles côté émotionnel. Je suis contre ça. Je suis aussi solide qu’un homme, autant pour ma santé qu’avec mes émotions. Par contre, les jeunes sont plus ouverts, mais ceux de 45 ans et plus sont fermés», ajoute-t-elle.

Celle qui porte la voix des entrepreneures depuis des années, Mme Lockyer, souligne que ceci n’est pas une critique envers les gouvernements, mais bien de l’information pour les aider à situer et résoudre le problème. «C’est le premier gouvernement fédéral qui aide spécifiquement les femmes en entrepreneuriat, d’après ce dont je me souviens. Il y a eu des améliorations. Mais les femmes doivent être en mesure d’être à leur plein potentiel dans leur entreprise pour contribuer à l’économie.»

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Photos

Chantal Brisson est une de ces femmes dont l’entreprise a perdu beaucoup de gallons suite à la pandémie et elle a dû se tourner vers le soutien psychologique. (etienne ranger)

Chantal Brisson vend des vêtements adaptés aux personnes avec un handicap. (etienne ranger)

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  • Date de création 2 août, 2023
  • Dernière mise à jour 2 août, 2023
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