«Les communautés doivent s’engager envers leur journal francophone»

À l’occasion de la Semaine nationale des journaux, Marie-Linda Lord, professeure en information-communication à l’Université de Moncton, revient sur la crise que traversent les journaux francophones en situation minoritaire et dessine des pistes solutions.

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Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

Depuis 48 ans, La Voix acadienne fournit une information de qualité aux francophones de l’Île-du-Prince-Édouard. Mais, comme partout au pays, le journal local doit se battre pour survivre et trouver des sources de financement.

Marie-Linda Lord, professeure de journalisme à l’Université de Moncton, analyse la situation, les responsabilités des autorités, mais aussi des citoyens tout en évoquant le défi d’attirer de jeunes lecteurs.

En quinze ans, plus de 500 médias, la plupart en presse écrite, ont disparu au Canada. Quelles sont les causes de cette crise médiatique majeure?

Le lectorat s’est détourné vers les réseaux sociaux et la publicité a suivi. Résultat, les revenus publicitaires des journaux francophones en milieu minoritaire ont beaucoup diminué. Ces journaux connaissent des difficultés accrues, car les sources pour avoir de la publicité en situation minoritaire sont moindres, le bassin est moins important.

Les abonnements sont également à la base du financement pour une grande majorité des médias de presse écrite. Là encore, les gens ne sont plus prêts à s’abonner, car ils sont habitués à avoir du contenu gratuit sur les réseaux sociaux.

Les journaux doivent donc revoir leur modèle d’affaires basé sur les revenus publicitaires et les abonnements. Ils pourraient par exemple se réunir au sein d’un média social d’informations. Il y a besoin d’une réflexion très rapide, car les journaux disparaissent à la vitesse grand V.

Je suis particulièrement inquiète de la disparition des journaux francophones en situation minoritaire, car ils constituent un élément majeur du tissu social. Ils rendent les communautés francophones visibles.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont-ils un rôle particulier à jouer dans la résolution de cette crise?

Les citoyens ont besoin d’une information de qualité, c’est l’un des piliers de la démocratie canadienne. C’est la responsabilité du gouvernement fédéral d’agir rapidement pour aider les médias tout en garantissant leur indépendance.

En situation linguistique minoritaire, Ottawa se sent interpellé par la question, car la Charte canadienne des droits et libertés protège les droits des minorités linguistiques. La Charte joue en quelque sorte un rôle de garde-fou pour conserver les médias francophones hors Québec.

Le nouveau programme fédéral d’Initiative de journalisme local (IJL), lancé en 2020, a déjà beaucoup aidé. Cette initiative a permis la publication de reportages qui n’auraient pas pu voir le jour autrement. Les journaux reçoivent également des aides d’Ottawa pour survivre et le fédéral achète de l’espace de publicité.

En revanche, les provinces ne se sont jamais senties interpellées par ces enjeux. Elles pourraient pourtant intervenir. Il pourrait y avoir des programmes provinciaux pour aider les médias, c’est une avenue à explorer.

Les francophones en situation minoritaire ne doivent-ils pas également s’engager en faveur de leurs journaux?

Effectivement, il doit y avoir une prise de conscience citoyenne. C’est aussi la responsabilité des citoyens d’aller à la source de l’information. Les communautés doivent s’engager envers leur journal francophone. Et c’est d’autant plus vrai depuis le blocage des nouvelles par Meta, suite à l’adoption de la loi C-18 à Ottawa. Les citoyens doivent faire l’effort de s’abonner, d’aller directement sur les sites internet des médias.

Si les journaux veulent survivre, ils doivent fidéliser de jeunes lecteurs. Comment faire pour les attirer?

C’est un défi, car la génération des 18-34 ans, toujours sur les réseaux sociaux, n’a plus l’habitude d’aller à la source de l’information.

Pour réussir à les attirer, les journaux francophones doivent repenser leurs contenus autant que leurs contenants. Ils doivent d’abord revoir leur plate-forme, qui n’est pas optimale pour plaire à la jeunesse. Les jeunes sont, la plupart du temps, sur leur téléphone. Il faut éviter les choses trop petites, le trop-plein de photos avec de toutes petites légendes.

Les journaux doivent aussi élargir la gamme de sujets qu’ils traitent, parler plus d’environnement et de la hausse du coût de la vie. Ce sont des enjeux qui préoccupent de plus en plus les jeunes adultes.

La manière d’en parler compte aussi. De nombreux jeunes estiment que la couverture médiatique des changements climatiques est trop négative et décourageante. Il faut changer de ton et faire du journalisme de solution. La jeune génération veut savoir comment elle peut faire la différence, améliorer les choses.

 

 

 

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Photos

 

Marie-Linda Lord est professeure en information-communication à l’Université de Moncton. (Photo : Gracieuseté)

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  • Date de création 3 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 3 octobre, 2023
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