Les combats multiples d’une Franco-Ontarienne

Née à Hamilton d’un père francophone et d’une mère anglophone, Lorraine Lebeau a vécu l’insécurité linguistique à deux échelles. Aussi bien parmi les francophones que parmi les anglophones. Le passage de la jeune géologue à l'Université Laurentienne, à Sudbury, lui a donné confiance et assurance en elle. Son séjour professionnel au Nunavut lui a fait pousser des ailes. Elle occupe aujourd’hui une belle position à Ottawa, alors qu’elle n’a pas encore trente ans. 

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Mehdi Mehenni

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

Lorraine Lebeau est géoscientifique et gestionnaire à la Commission géologique de l’Ontario, à Ottawa. 

Si la jeune Franco-ontarienne est aujourd’hui fière de sa position, elle assure que le chemin parcouru n’a pas été facile. 

Dès l’enfance, Lorraine Lebeau a été confrontée à une sorte d’isolement dans son équipe de hockey.  

«Toutes les filles se connaissaient, puisqu’elles allaient ensemble à l'école anglophone. Elles avaient leur groupe. Mais moi, j'allais dans une école francophone», souligne-t-elle. 

Lorraine Lebeau a fréquenté l’École St-Jean Baptiste et ensuite l’École secondaire Sainte-Famille à Mississauga. 

«C’est mon père qui a tenu à ce que je fasse mon éducation en français. C’est son influence, parce que même à la maison, il tenait à ce que nous parlions français», confie-t-elle. 

Mais cela n’a pas pour autant prémuni la jeune écolière d’alors contre l’insécurité linguistique, lorsqu'elle partait en vacances chez ses cousins paternels à Montréal. 

«Je me contentais de placer une phrase ou deux, mais sans plus. Je m’isolais la plupart du temps, pour ne pas leur montrer que j’avais un accent différent du leur. J’avais peur de leur faire sentir que je ne faisais pas partie du groupe», se souvient-elle. 

Mais le plus dur pour Lorraine Lebeau était lorsqu'on lui demandait si l’établissement scolaire qu’elle fréquentait n’était pas une école d’immersion. «Je trouvais cela tellement étrange qu’on ne pouvait pas croire que j’allais dans une école complètement francophone», ajoute-t-elle. 

L'expérience Sudbury 

Rendue au postsecondaire, un autre défi attendait la jeune Franco-ontarienne à l’Université de Guelph, où elle a suivi un Bac en géosciences de l’environnement et géomatique. 

«Le programme n’est pas disponible en français. Les mathématiques, c'est un peu plus facile, ce sont des numéros, c'est un langage international, mais écrire des rapports scientifiques en anglais, c’était complexe. Je faisais souvent des traductions dans ma tête. Mes notes ont un peu souffert, mais j’ai réussi à surmonter l’obstacle», dit-elle. 

Pendant son cursus universitaire, Lorraine Lebeau a eu la chance de travailler pour une période de quatre mois à Sudbury, comme assistante de terrain à la Commission géologique de l'Ontario. 

Cette brève escale a donné à la jeune franco-ontarienne le gout de s’inscrire à partir de 2016 pour une maîtrise à l’Université Laurentienne, pour se spécialiser dans la géologie sédimentaire précambrien. 

 «Je suis allée à l'Université Laurentienne parce que leur programme en géologie était vraiment super. Le programme était en anglais, mais il y avait au moins dix autres francophones dans le département. Je n’étais pas seule. C’était miraculeux pour moi d’entendre des personnes parler français, parce que dans la région de Toronto, c’est vraiment une rareté», indique-t-elle.   

D’autres astres se sont alignés dans la vie de Lorraine Lebeau, puisque son passage à Sudbury lui a permis de rencontrer deux jeunes franco-sudburoises qui sont devenues ses deux meilleures amies. Il s’agit de Brigitte Gélinas, qui travaille actuellement comme géologue pour Barrick Gold, à Thunder Bay, et Sophie Michel, qui travaille aussi comme géologue pour Orix Géosciences, à Sudbury.  

«C'est drôle ! Je parlais à ma mère l'autre jour et elle m'a dit : Hey, réalises-tu que tous tes amis qui restent dans ta vie sont des Franco-ontariennes ? Comme c'est tellement rare de rencontrer des Franco-ontariens à Toronto, à chaque fois que j’en croise ailleurs, je les garde dans ma vie. Certainement parce qu'on a vécu les mêmes expériences», lance-t-elle. 

Le choc Nunavut !

En 2019, un poste de géoscientifique de cartographie régionale s’est ouvert à Iqaluit, au Bureau Géoscientifique Canada-Nunavut (BGCN) et Lorraine Lebeau s’est dit : «pourquoi pas, je suis jeune, autant tenter l’expérience». 

«C'était un gros choc. C’était en plein mois de janvier et il faisait tellement noir. Il n’y a pas d’arbres aussi. Quand je prenais une marche dehors, mes cils se collaient, en raison des cristaux de glace qui se formaient au contact de la vapeur produite par ma respiration. Et tu ne peux plus ouvrir tes yeux», raconte-t-elle. 

Mais Lorraine Lebeau a pu vite s’adapter, comme, à sa grande surprise, elle a découvert une belle communauté francophone sur place. 

«Un de mes collègues de bureau venait du Québec et j'avais donc la chance de parler en français au travail. J'ai vraiment aimé ça. Aussi, chaque jeudi, la communauté francophone se réunissait dans un édifice pour jouer des chansons folkloriques et boire des bières ensemble», se rappelle-t-elle.  

Lorraine Lebeau affirme que les gens se sentent tellement isolés au Nunavut, que tout le monde veut se parler. 

«On est un peu comme dans un état de survie. On veut juste socialiser. Lorsqu’on croise quelqu’un dans la rue, on peut lui dire : hey, veux-tu être mon ami?!», assure-t-elle.  

Mais le confinement sanitaire imposé par la Covid-19 a fini par casser cette dynamique et le sentiment d’isolement s’est accentué. 

En 2021, Lorraine Lebeau a dû rentrer chez elle, à Hamilton, pour continuer à travailler à distance, comme elle a eu, entre temps, des problèmes de santé. 

C’était une autre épreuve à surmonter, mais qui n’a pas démotivé la jeune Franco-ontarienne pour la suite de sa carrière. 

Il y a à peine deux mois, soit en janvier 2024, Lorraine Lebeau a postulé pour un poste de gestionnaire à la Commission géologique de l’Ontario et elle l’a obtenu. 

«C’est encore un gros défi, mais je me sens tellement fière d’être devenue cheffe de section avant l'âge de 30 ans. Ma famille est très fière de moi aussi», conclut-elle.  

Lorraine Lebeau n’exclut pas de revenir travailler à Sudbury, si une belle opportunité se présente. 

 

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Photos

 

Titre : Photo Lorraine Lebeau.png

Légende :  Lorraine Lebeau, géoscientifique et gestionnaire à la Commission 

Crédit : Courtoisie

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  • Date de création 15 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 15 avril, 2024
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