Les changements climatiques pèsent lourd sur le caribou de Dolphin-et-Union

Le caribou de Dolphin-et-Union chemine vers le statut d’espèce en voie de disparition aux TNO, une première.

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Marie-Soleil Desautels

IJL – Réseau.Presse – L’Aquilon

 

Le Comité sur les espèces en péril des Territoires du Nord-Ouest a, pour la première fois, recommandé d’inscrire une espèce, le caribou de Dolphin-et-Union, à la liste des espèces en voie de disparition aux TNO. Ce caribou a ceci de particulier : il est le seul à migrer de façon saisonnière en traversant sur la glace de l’océan Arctique entre l’ile Victoria et le continent pour mettre bas ou se nourrir. Lorsque la glace n’est pas au rendez-vous, c’est la noyade ou la famine.

Si la recommandation du Comité sur les espèces en péril des Territoires du Nord-Ouest (CEPTNO), émise en mai, franchit les prochaines consultations, le gouvernement attribuera, en juillet 2024, ce statut au caribou sur la liste officielle des espèces en péril des TNO.

Le caribou de Dolphin-et-Union, évalué pour la première fois par le CEPTNO en 2013, était classé comme espèce préoccupante. « C’est un gros changement, de sauter du statut préoccupant à celui d’en voie de disparition, sans passer par le statut d’espèce menacée. C’est la première fois que notre comité fait une évaluation aussi haute », dit Suzanne Carrière, biologiste de la faune et de la biodiversité pour le gouvernement territorial pendant 25 ans, retraitée depuis mars, mais toujours membre du CEPTNO.

Le fait que ces caribous dépendent de la glace, menacée par les changements climatiques et par l’augmentation du trafic maritime, a pesé dans la balance, explique-t-elle.

En soi, la décision du comité repose sur des connaissances traditionnelles, scientifiques et communautaires. Du côté de la science, c’est « l’impressionnant déclin » de 89 % de la population de caribous de Dolphin-et-Union, de 1997 à 2020, soit sur près de 3 générations de caribous, qui a sonné l’alarme, dit la biologiste retraitée. Du côté des connaissances traditionnelles, qui sont basées sur les changements observés par les gardiens du savoir et par leur niveau de préoccupation, notamment, c’est à « cause des diminutions très sévères de leur lien culturel avec l’espèce ».

En effet, le caribou de Dolphin-et-Union « fait partie intégrante de l’identité et du bienêtre des Inuvialuit et des Inuits », peut-on lire dans les 230 pages du rapport du CEPTNO. Le caribou de Dolphin-et-Union, chassé depuis plus de 4000 ans, a longtemps été associé à la subsistance de ces peuples. Au-delà de la nourriture que les caribous procurent, leurs bois et leurs os servent à fabriquer des outils et des objets artisanaux, et leurs peaux et leurs tendons servent à concevoir des parkas ou des tentes, par exemple.

La population de caribous de Dolphin-et-Union, estimée à 3 815 individus en 2020, chute depuis les années 1990.

Chaque année, un nombre inconnu de caribous meurent lorsqu’ils traversent la glace fragilisée à cause des températures anormalement chaudes dues aux changements climatiques. Ces températures entrainent aussi plus d’épisodes de pluie ou de verglas – leur nombre a triplé dans l’archipel entre 1979-1995 et 1996-2011, selon les auteurs du rapport –, ce qui crée des croutes de glace sur la neige ou sur la végétation. Ces croutes empêchent les caribous de se nourrir, car ils ne parviennent pas à les casser.

La chasse représente aussi une menace pour ce caribou. Même si les collectivités des Territoires du Nord-Ouest et celles du Nunavut se limitent, que ce soit en récoltant un nombre maximal de caribous ou en interdisant la chasse pendant certaines périodes, les effets combinés pourraient mener à une « surexploitation », selon les auteurs du rapport.

Mais, rappelle Suzanne Carrière, « les Autochtones ont tellement réduit la chasse qu’ils sont en train de perdre leur lien culturel. »

 

Une approche « unique »

Selon le CEPTNO, leur approche se basant tant sur les connaissances autochtones que sur la science pour évaluer le statut des espèces, mise en place en 2021, est « unique au monde ». Ils en ont d’ailleurs vanté les mérites dans un article publié en mai dernier dans la revue Biological Conservation.

« Quand on marche, il faut deux jambes, illustre Suzanne Carrière. Une jambe, c’est les connaissances scientifiques, l’autre, celles autochtones. Si ces systèmes de connaissances mènent à des conclusions différentes, alors on analyse davantage et on trouve un consensus. Et si on arrive à la même conclusion, c’est rassurant. En incluant les deux approches, il y a aussi plus de respect dans le processus, de part et d’autre. »

Depuis sa mise en place, ce processus de double évaluation a été utilisé pour trois autres espèces, soit l’ours polaire, le caribou boréal et le caribou de Peary.

Le CEPTNO recommande plusieurs pistes de solution pour aider le caribou de Dolphin-et-Union, comme d’appliquer davantage de restrictions saisonnières sur le trafic maritime, de renforcer la surveillance de la chasse, de protéger les aires de mises bas, de diminuer le nombre de prédateurs ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

« Plusieurs des recommandations s’appliquent au Nunavut, au territoire voisin, ou au niveau national », reconnait la biologiste retraitée.

Ottawa avait d’ailleurs annoncé, en mars dernier, un investissement de 6,6 millions $ sur quatre ans pour la conservation des hardes de caribou du Nunavut, afin, notamment, d’orienter les règlementations pour les quotas de chasse.

Il reste encore quelques étapes avant que le caribou de Dolphin-et-Union soit officiellement reconnu comme en voie de disparition, détaille Joslyn Oosenbrug, spécialiste à la mise en œuvre de la protection des espèces en péril du GTNO. Cet été, la Conférence des autorités de gestion s’entretiendra avec les collectivités et donnera l’occasion aux membres du public de s’exprimer. L’hiver prochain, le Conseil consultatif de la gestion de la faune (TNO) tiendra des réunions dans des collectivités désignées.

La Conférence des autorités de gestion rendra sa décision en avril 2024 et, si elle décide de classer ce caribou en voie de disparition, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique l’ajoutera à la liste légale en juillet 2024.

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Photos

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Légende : Le caribou de Dolphin-et-Union est le seul caribou qui migre en traversant l’océan gelé entre les îles de l’Arctique et le continent. (Photo : Kim Poole – CEPTNO)

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  • Date de création 10 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 octobre, 2023
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