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Les agriculteurs albertains se débattent, entre pandémie et mauvaises pluies

Aux prises avec la pandémie d’un côté et les pluies battantes de l’autre, des agriculteurs franco-albertains ont brossé un portrait sombre de l’état du secteur agricole alors que le gouvernement fédéral vient d’accorder 2,6 millions de dollars au Food Processing Development Centre de Leduc. Pour certains, cette aide n’en est pas une.

Inès Lombardo

Initiative de journalisme local – APF - Ouest

Ils viennent de différents coins de l’Alberta et n’ont pas le même type de ferme, mais ils sont d’accord pour élire l’année 2020 comme la pire qu’ils aient jamais vécue. « La terre est de plus en plus humide, mais cette année est terrible », affirme l’agriculteur et conseiller municipal de la division numéro 4 de Smoky River (Ouest de la province), Luc Lévesque. Selon lui, les pluies se sont intensifiées ces cinq dernières années. Ses plus grosses pertes sont estimées à 60% pour les pois et à environ 40% à 50% pour le canola. L’orge est le plus épargné, avec « seulement » 25% de perdu.

« Même avec les assurances, on ne fait aucun profit, souligne-t-il. Cela nous aide juste à recommencer à travailler l’année d’après ». Et c’est le scénario le plus heureux.

Leona Bonneau tient la Charlotte Lake Farm à Fort Kent, dans le Nord-Est de la province. Une récolte normale équivaut environ à 50 boisseaux par acre. Cette année, elle et son mari Guy n’ont pu récolter que 35 boisseaux. « Nous n’avons rien eu des assurances, car elles n’ont pas considéré que c’était une perte, déplore-t-elle. C’est très difficile.»

« Ils pensent nous aider, mais ce n’est pas le cas »

Qu’en est-il de l’aide de 2 millions de dollars ? Leona en a entendu parler. Le Food Processing Development Centre, géré par le gouvernement provincial, est décrit comme une « installation-pilote moderne, complètement outillée, et un laboratoire de développement de produits. Elle est pourvue de scientifiques expérimentés en alimentation, d’ingénieurs et de technologues qui travaillent avec des entrepreneurs pour développer et affiner leurs produits ». Au cours des quatre prochaines années, l’appui du fédéral permettra à ce centre de soutenir une centaine de petites et moyennes entreprises et de mettre potentiellement sur le marché jusqu’à 30 nouveaux produits.

Le gouvernement fédéral l’explique comme une aide destinée à créer de nouveaux produits et de nouveaux emplois au sein des entreprises d’alimentation à base de plantes. Une jolie promesse, sur papier, selon Leona. « Nous les fermiers, nous ne sommes pas concernés, explique-t-elle. Ce sont les intermédiaires entre nous et les magasins qui pourront en profiter. Nous, nous sommes au bas de l’échelle ».

Elle souligne que les étalages plus clairsemés des magasins au plus dur de la pandémie ont entraîné l’adoption d’une politique de nourriture à bas prix par le gouvernement albertain. « Je suis pour que tous les gens aient accès à une alimentation abordable, notamment les plus pauvres, commente-t-elle. Le problème, c’est comment ces produits se rendent aux consommateurs. » Entre elle et le consommateur, il y a au moins deux intermédiaires qui achètent ses produits et les transforment. Ce n’est pas Leona et son mari qui déterminent les prix, ce sont les compagnies intermédiaires.

« Nous voyons nos recettes diminuer et les prix en magasin monter… À qui va le profit ? », se questionne-t-elle, sachant que les coûts directs, les achats d’engrais, d’essence et d’autres matières sont à la charge des fermiers. La perte des récoltes ou la  baisse des prix ne change rien à cela. « Les gens ne savent pas, lorsqu’ils nous voient avec un camion tout neuf, à quel point ça nous coûte », dit-elle.

À propos du récent versement de 2,6 millions de dollars au centre Leduc, le gouvernement fédéral « pense nous aider, fustige-t-elle, mais ce n’est pas le cas ». En effet, il s’agit d’une aide à un centre de transformation et d’innovation agricole, non d’un appui direct aux fermiers. Le gouvernement albertain n’en a pas offert lui non plus. Leona estime que même si ces problèmes existaient avant, la pandémie les a exacerbés. C’était sans compter sur la pluie pour en rajouter.

Désastre agricole à Smoky River

Agriculteur et directeur du service agricole à la municipalité de Smoky River, Normand Boulet, dresse le même constat. Une pandémie et des pluies toujours plus battantes depuis cinq ans ont mené la ville à officiellement déclarer un « désastre agricole », le 8 juillet dernier. Par l’entremise de cette déclaration, le conseil municipal a tenté « d’attirer l’attention des gouvernements provincial et fédéral sur les stress financier et psychologique ressentis par les producteurs », tel que mentionné dans un communiqué de presse de Smoky River.

« C’est une vraie guerre, constate Normand Boulet. Certains agriculteurs n’ont pu ensemencer que 50% de leur  terres ». Malgré les crues, ils doivent se hâter d’agir pour éviter de retarder leur récolte.

Il tente de nuancer. « Ce n’est pas toutes les municipalités qui ont été touchées de cette façon. À part le Nord-Est d’Edmonton et Rivière-la-Paix, dans l’ensemble, il y a eu de bonnes récoltes », affirme-t-il. Pour sa part, il a perdu environ 20% de son blé et de son avoine, 35% de son canola et, comme les autres, les pois sont les plus affectés, à hauteur d’environ 50%.

Un programme fédéral, Agri-investissement, a été mis en place avant la pandémie, mais aucune initiative similaire n’est venue de la province en appui aux  agriculteurs en détresse. Les assurances les tiennent à bout de bras. Elles les couvrent en fonction des revenus de la ferme. Et qui dit crues ou pandémie dit moins de recettes… M. Boulet a également entendu dire que des agriculteurs ont tenté, parfois des dizaines de fois, d’accéder à l’emprunt de 40 000 $ maximum offert par le fédéral au printemps, au plus fort de la COVID-19. Sans succès. L’année 2020 est bien la pire.

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Légendes des photos

Leonna et Guy Bonneau : Leona et Guy Bonneau tiennent la Charlotte Lake Farm (Fort Kent), dans le Nord-Est de la province. Comme beaucoup d’autres agriculteurs, ils endurent la pandémie et la pluie avec difficulté.

Récolte Luc Lévesque: L'orge récolté par Luc Lévesque en 2019. Le sol était déjà humide.

Leona : La chaîne des prix a poussé Leona et son mari à rester dans le circuit court puisque leurs recettes se sont aplaties après le rachat de leur produit par les grosses compagnies de transformation.

Les photos ci-dessous sont une gracieuseté de Normand Boulet

Agric 1 et 2, prises le 12 juin 2020 : Ces photos prises du ciel sont représentatives des champs cultivés et inondés de la municipalité de Smoky River.

Agric 3, prise le 23 avril: Un champ inondé par la neige qui a fondu trop rapidement ce printemps.

Boulet - champs de canola et de pois

Normand Boulet estime qu’il encaissera une perte de 50% dans les pois et de 35% dans le  canola.  Même là où les plants semblent en bonne condition, ils ont été inondés. Sans les assurances, le rendement de la ferme ne peut pas couvrir les dépenses. Normand Boulet précise que sans les assurances, lui et sa femme Rita seraient « certainement dans le trouble ».

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  • Date de création 24 août, 2020
  • Dernière mise à jour 24 août, 2020
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