L’effet de vague contre la violence à Gaza

Devant les bureaux de Kraken Robotics à Mount Pearl le 7 mars dernier, une file d'activistes a brandi des pancartes dénonçant le rôle de l’entreprise dans la fourniture de technologies militaires à Elbit Systems, une compagnie israélienne de l'armement, et a empêché ses employés d'entrer dans le bâtiment.

Cette manifestation fait partie d’un mouvement citoyen qui a vu le jour en octobre dernier. Depuis, chaque semaine, les activistes se rassemblent devant le parc Harbourside pour dénoncer l’occupation de Gaza.

Dans le cadre de la semaine contre l'apartheid israélien, prolongée pendant tout le mois de mars, l’activisme s’étend en dehors de la capitale. D’une ville à l’autre, ce mouvement grassroots cherche à faire entendre sa voix.

Le rassemblement à la racine du mouvement

L’auteure et rédactrice Carmella Gray-Cosgrove est une des membres fondatrices de l’organisation de base derrière la manifestation, Palestine Action YYT.

De père juif et de mère québécoise, l'identité de Carmella joue un rôle dans son activisme et dans son intérêt pour la lutte anticoloniale au Canada. «Il y a une tension qui vient du fait de vivre sur une terre colonisée, sur le site d'un génocide, de participer activement à une société qui continue à commettre le génocide des peuples autochtones au Canada, et aussi d'être issue d’une famille qui a vécu un génocide.»

Afin de rassembler d'autres personnes autour de cette même cause, elle et son amie ont organisé une veillée la première fin de semaine suivant le 7 octobre dernier, date marquant le début de la présente vague de violence en Palestine. Elles pensaient que personne ne viendrait, mais plus de 100 personnes y sont finalement venues.

«Après la veillée, nous avons demandé à tous ceux qui étaient venus s'ils voulaient organiser des manifestations, et tout d'un coup, nous avons eu un groupe de 20 personnes venant de Jordanie, de Palestine, de Terre-Neuve, du Liban, de l’Égypte et du Pakistan. Ce sont toutes des personnes qui ressentaient leurs propres luttes ancestrales à travers ce mouvement.» Le nouveau groupe a ensuite décidé d'organiser des marches hebdomadaires dans le centre-ville de St. John’s. Jusqu’à présent, il y en a eu une vingtaine.

«Ce qui m'intéresse, c'est d'essayer de comprendre et de relier les luttes, et de travailler à la libération à plus grande échelle», dit l’activiste. «Il est si troublant de faire partie de ce monde, nous nous sentons si impuissants. Le seul pouvoir dont nous disposons réside dans la détermination que nos luttes de libération interconnectées à l'échelle mondiale combattent toute la même chose, à savoir le colonialisme, l'impérialisme et le capitalisme. Toutes ces choses doivent tomber pour que nous soyons libérés.»

Sur les lieux de la manifestation à Mount Pearl, Le Gaboteur a retrouvé Megan Hutchings armée d’une pancarte. Elle confie que son initiation au mouvement est née de son incapacité à s'asseoir et à regarder les événements se dérouler.

«J'étais très perturbée par [cette violence] et je me sentais impuissante. J'ai commencé à participer aux rassemblements hebdomadaires et à m'y impliquer. C'est vraiment quelque chose de très nouveau pour moi, mais il fallait que cela se produise.» Elle ajoute qu’il est vraiment important que les gens s'engagent et manifestent au lieu d'attendre que nos différents gouvernements, notamment le gouvernement fédéral, agissent. «Ces actions sont importantes et comportent des risques, surtout lorsque la police est impliquée.»

Le jour de la manifestation du 7 mars, trois voitures de police sont arrivées sur les lieux pour disperser la foule qui empêchait les employés de Kraken d'entrer dans le bâtiment en guise de protestation pacifique. «Ce n'est pas la chose la plus appropriée à faire», a déclaré l'un d'entre eux.

Si personne n’a été arrêté le 7 mars dernier, ils se défendaient devant les policiers, expliquant leurs actions. «C’est un génocide, lui répond une voix dans la foule, que jugeriez-vous approprié?».

Faire marcher du même pas

John Harris est le directeur des affaires extérieures, de la communication et de la recherche du syndicat des étudiants à l’Université Memorial (MUNSU). Il poursuit actuellement son diplôme avec une mineure en français, langue qu’il souhaite un jour enseigner. «Il y a un grand écart entre ce que veulent les gens et ce que font les gouvernements», dit-il, citant l’augmentation des frais de scolarité comme exemple.

«Nous avons un système de scrutin uninominal majoritaire à un tour, qui donne des gouvernements majoritaires aux partis qui obtiennent moins de la majorité des votes», explique-t-il, citant comme exemple le premier ministre actuel, Justin Trudeau qui a obtenu moins de 40% des votes dans chacune des trois dernières élections, et l’ancien premier ministre Harper qui a aussi obtenu moins de 40% des votes en 2011.

«Parce que nous avons un système qui donne le pouvoir majoritaire à ceux qui sont en minorité [les politiciens], les gens se sentent privés de leurs droits par le système politique, ils ont l'impression que leur vote ne vaut pas grand-chose.»

Se creusent ainsi un écart grandissant entre les aspirations et inquiétudes de la majorité et ce que font (ou ne font pas) les gouvernements. L'indifférence de ces derniers par rapport au peuple palestinien et la vie des Palestiniens en est un bon exemple. Et c’est contre cette indifférence et cette inaction gouvernementales que le groupe citoyen manifeste.

«Ce qui me donne de l'espoir, c'est le nombre impressionnant de manifestations qui ont lieu partout au pays, de St. John's à Victoria, jusqu'à Iqaluit. Le message est clair: les gens ne veulent pas qu'un génocide se produise en leur nom. Le Canada a l'occasion de se faire le porte-parole de la paix et du cessez-le-feu, mais il traîne des pieds. Il refuse de soutenir les conclusions de la Cour internationale de justice et de soutenir l'Afrique du Sud dans son noble effort pour traduire Israël en justice pour ses crimes. Il continue à envoyer des armes à Israël, pour un montant de plus de 28 millions de dollars.»

Megan Hutchings quant à elle affirme que le but de la manifestation du 7 mars dernier était non de faire honte aux travailleurs de l’entreprise, mais de poursuivre un appel d'action. «Participer aux manifestations aide les gens à se sentir moins aliénés, en particulier lorsque les personnes de votre entourage ne considèrent pas la situation comme grave ou comme une menace pour eux. Cela peut être difficile.»

«C'est la voix de la démocratie, lorsque ces mouvements grassroots se forment; ce sont eux qui constituent la base d'une démocratie forte», dit John Harris. «Lorsque les autres voies échouent, nous devons favoriser la communication de personne à personne. Ce sont ces actions qui peuvent faire avancer la justice. C'est la bonne chose à faire.»

 

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 24 mars, 2024
  • Dernière mise à jour 26 mars, 2024
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article