Le Nord de l'Ontario va perdre une autre circonscription et un autre député

Le Nickel Belt va s’agrandir encore

Christian Gammon-Roy

IJL – Réseau.Presse

Tribune :la Voix du Nipissing Ouest

Le Nord de l'Ontario connaîtra des changements conséquents, notamment la perte d'une circonscription fédérale, le 1er avril 2024, lorsque le nouveau découpage des circonscriptions entrera en vigueur. La circonscription de Nickel Belt, déjà vaste, s’agrandira encore pour accueillir l'île Manitoulin et des communautés aussi éloignées qu'Espanola et Massey. Toutefois, ce changement s'accompagne également du départ des anciennes communautés de Nickel Centre, telles que Coniston, Falconbridge et Garson, qui feront désormais partie de la circonscription de Sudbury. Après près de deux ans de travail par la Commission de délimitation des circonscriptions électorales de l'Ontario, le résultat est le redécoupage de nombreuses circonscriptions électorales du Nord, et la perte notable de la circonscription d'Algoma-Manitoulin-Kapuskasing. Cette circonscription sera divisée entre ses voisins, y compris Nickel Belt.

Tous les dix ans, le gouvernement doit procéder à la réévaluation et au redécoupage des circonscriptions électorales. Il utilise les données du dernier recensement pour s'assurer que les circonscriptions reflètent les quotas de population établis par les provinces. La loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales décrit le processus, qui a débuté le 16 octobre 2021 avec l'établissement de commissions dans chaque province. La commission de l'Ontario a soumis une première proposition de modification le 19 août 2022.

Cette première proposition prévoyait des changements significatifs dans le Nord, dont beaucoup ont été modifiés à la suite des commentaires du public. Cependant, bien que de nombreuses personnes se soient opposées à l'élimination d'une circonscription du Nord de l'Ontario, la Commission a maintenu ce point dans sa deuxième proposition publiée le 10 février 2023, en citant les quotas de population par circonscription. L’Ontario impose un quota de 116 300 habitants par circonscription, et le mandat de la Commission était de s'assurer que ce quota soit maintenu à travers l'Ontario, dans l'esprit de la parité des électeurs.

La proposition initiale aurait placé le Nipissing Ouest, Marstay-Warren et les autres municipalités le long du corridor de l'autoroute 17 jusqu'à Sudbury, dans la circonscription de Nipissing-Temiskaming. Cette proposition a été annulée suite à une période de consultation, car la communauté francophone s’est opposée au changement, voulant garder intacte cette partie de la circonscription de Nickel Belt. «Le mémoire suggérait à la Commission d'explorer divers changements pour mieux regrouper la population francophone, en particulier en ce qui concerne la circonscription proposée de Manitoulin-Nickel Belt. (…) Par conséquent, en dessinant la carte finale, la Commission a renvoyé les municipalités majoritairement franco-ontariennes de Nipissing Ouest, St. Charles, Rivière des Français et Markstay-Warren à Manitoulin-Nickelt Belt (dont la population est composée à 31 % de Francophones), plutôt qu'à Nipissing-Timiskaming (dont la population est composée à 14 % de Francophones),» peut-on lire dans le rapport du mois de février.

«Je suis reconnaissant que la commission ait prêté attention aux échos des communautés francophones et des divers organismes francophones de Nickel Belt-Grand Sudbury,» a écrit Marc Serré, député de Nickel Belt, dans une lettre adressée à ses électeurs en mars 2023. Lors d'une récente entrevue avec la Tribune, il a ajouté : «La bonne nouvelle, c'est que la commission a fait marche arrière par rapport à sa carte originale d'août dernier, qui séparait Nipissing Ouest de la Rivière des Français. Elle a écouté et je tiens à remercier les habitants. Plusieurs habitants ont écrit à la commission. Tous les conseils et les maires de Markstay-Warren, St Charles, Nipissing Ouest, Rivière des Français et Killarney ont écrit à la commission pour que tout cela ne fasse qu'un, et la commission l'a clairement entendu,» a-t-il déclaré.

Dans son rapport, la commission a soulevé plusieurs difficultés, recommandations et demandes qui ne relevaient pas de son mandat. Par exemple, la commission a reconnu que les habitants du Nord de l'Ontario souhaitaient conserver 10 circonscriptions, voire en ajouter une ou deux pour permettre une meilleure représentation des peuples autochtones et des communautés francophones. «Toutefois, ces recommandations ne relèvent pas du mandat de notre commission ni des délais imposés par la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales. Ces questions relèvent de la seule compétence du Parlement,» explique le rapport.

Bien sûr, il y a aussi des considérations géographiques dans le Nord peu peuplé, où une population de 116 000 habitants peut constituer une circonscription incroyablement vaste. Marc Serré décrit les défis que cela représente. «Je garde un bureau à Sturgeon Falls, pour les habitants de Nipissing Ouest, de Rivière-des-Français, de Saint-Charles, de Markstay-Warren, qui peuvent toujours venir à Sturgeon. Mais les résidents d'Espanola et de Manitoulin subiront des pressions, car ils devront désormais se rendre à Val Caron pour obtenir des services. Auparavant, ils se rendaient à Elliot Lake,» décrit-il.

La pression financière liée au fait de servir une plus grande partie de la province avec le même budget est un point abordé par la Commission dans son rapport. «Ce qui est décrit comme des problèmes de délimitation des circonscriptions pourrait probablement être résolu si le Parlement approuvait une augmentation substantielle des budgets des bureaux de circonscription afin d'améliorer l'accessibilité au public et d'aider les députés à gérer leur charge de travail au sein de la circonscription, et donc d'améliorer la représentation efficace des électeurs,» peut-on lire dans le rapport. M. Serré souligne qu'il existe actuellement une allocation spéciale pour les circonscriptions des zones rurales, mais qu'elle ne s'élève qu'à environ 20 000$ par an. «On ne peut même pas embaucher du personnel pour cela,» déplore-t-il.

Carol Hughes, députée de l'actuelle circonscription d'Algoma-Manitoulin-Kapuskasing, est évidemment déçue des changements. La députée néo-démocrate verra sa circonscription disparaître. «Il ne s'agit pas de mon siège, car en fin de compte, je ne serai pas députée pendant 100 ans et on ne sait pas de quoi demain sera fait. Il s'agit de savoir qui sera élu, quel que soit le parti, et de s'assurer que nous ayons une représentation adéquate dans le Nord de l'Ontario,» explique-t-elle.

Mme Hughes fait écho aux préoccupations de M. Serré quant à la prestation de services adéquats aux habitants de sa circonscription, une fois celle-ci redécoupée. Elle explique que ses bureaux de Kapuskasing et d'Elliot Lake sont souvent très occupés, et elle craint de les voir fermés. Pour ce qui est de la partie englobée par Nickel Belt, elle dit «En ce moment, nous avons deux bureaux, mais est-ce qu'il [Serré] pourra se permettre d'en avoir trois ? Il ne s'agit pas seulement du loyer, mais aussi du personnel,» souligne-t-elle, craignant que les bureaux ne puissent pas être maintenus avec les budgets actuels des députés.

M. Serré met les choses en perspective : «J'ai 12 nouveaux maires, environ 9 nouvelles premières nations,» décrit-il. «Ma circonscription a la taille de l'Espagne! (…) Maintenant, j'ajoute d'autres zones, et mes bureaux s'occupent de l'immigration, de Revenu Canada et de nombreux services» qui ne sont pas toujours facilement accessibles dans le Nord. Mme Hughes s'exprime également sur ces services, expliquant que son bureau de Kapuskasing s'occupe souvent des déclarations d’impôts des personnes à faible revenu.

Elle ajoute que dans le Nord, les bureaux de circonscription sont soumis à un fardeau particulier qui n'est pas aussi répandu dans le sud. «Dans le sud, à Brampton ou à Toronto, les transports, l'Internet, les services cellulaires et toutes sortes d'organismes et de groupes réduisent le fardeau des bureaux des députés,» souligne-t-elle. «Jack Layton avait l'habitude de me dire : «Carol, je ne sais pas comment tu fais!» Il pouvait aller d'un bout à l'autre de sa circonscription à vélo en une demi-heure!»

M. Serré, Mme Hughes et les autres députés du Nord de l'Ontario ont souligné ces problèmes et bien d'autres à la Commission. La plupart d'entre eux ont fait part de leurs objections au Comité permanent des procédures et des affaires de la Chambre (CPPR), qui a rédigé un rapport et l'a présenté à la Commission de délimitation des circonscriptions électorales le 8 juin. Le rapport du CPPR contient les objections de M. Serré, Mme Hughes et Charlie Angus, député néo-démocrate de Timmins-Baie James, Vivianne Lapointe, députée libérale de Sudbury, et Terry Sheehan, député libéral de Sault-Sainte-Marie. Mme Lapointe a également déposé sa plainte au nom du caucus libéral du Nord de l'Ontario, qui comprend Anthony Rota, député de Nipissing-Temiskaming, et Patricia Hajdu, députée de Thunder Bay-Supérieur Nord. Parmi les députés du Nord de l'Ontario, Scott Aitchison, député conservateur de Parry Sound Muskoka, et Eric Melillo, député conservateur de Kenora, sont les seuls à ne pas avoir contesté l’élimination d’une circonscription nord-ontarienne.

«Nous avons tous été surpris (...) que les conservateurs aient indiqué qu'ils ne pensaient pas que la perte d'un siège dans le Nord de l'Ontario entraînerait une diminution de la représentation. Bien sûr que c'est le cas. La capacité d'un député à se rendre dans toutes ces communautés est maintenant réduite,» déplore Carol Hughes. Marc Serré soupçonne que ce manque de soutien est motivé par des raisons politiques, étant donné que le siège éliminé est un siège néo-démocrate. «Les conservateurs ont préconisé d'avoir ce siège dans le sud de l'Ontario pour des raisons politiques. Soyez assurés que je ne mâcherai pas mes mots à ce sujet lors des prochaines élections,» promet-il.

Bien qu'elle ait entendu les objections de nombreuses voix éminentes du Nord de l'Ontario, la Commission n'a pas changé d'avis. «Tout d'abord, ces changements entraîneraient une augmentation substantielle de l'inégalité de la population à travers la province. La Commission a clairement exprimé son engagement à l'égard de l'égalité de la population en tant que premier principe d'une représentation efficace, et ne voit donc pas cette recommandation d'un bon œil,» peut-on lire dans son rapport de suivi datant de juillet.

M. Serré et Mme Hughes savent que cette étape de la lutte est terminée, mais ils comptent agir pour préserver ou même augmenter le nombre de circonscriptions du Nord de l'Ontario à plus long terme. «Je fais le tour de la circonscription en ce moment et les gens disent que ce n'est pas juste et que nous devons nous battre. Les gens demandent ce qu'ils peuvent faire. Eh bien, nous avons fait ce que nous pouvions, nous devons maintenant essayer d'aller de l'avant et de reconquérir la circonscription ou au moins de préserver ce que nous avons,» déclare Mme Hughes.

M. Serré s'inquiète de la perte future d'autres circonscriptions dans le nord de l'Ontario si rien n'est fait le plus tôt possible. «Je travaille en ce moment même avec Dominic Leblanc, ministre des institutions démocratiques, (...) parce que si cette formule ne change pas, dans dix ans, nous allons perdre un autre siège dans le Nord de l'Ontario,» prédit-il, puisque la population du Nord ne cesse de diminuer. Ce n'est pas la première fois et ce ne sera peut-être pas la dernière, craint-il, rappelant que la circonscription de Timiskaming-Cochrane, alors représenté par son oncle Benoît Serré, avait été abolie lors du redécoupage des circonscriptions en 2003. Marc Serré espère trouver une solution législative pour que le Nord de l'Ontario soit exempté des quotas de population la prochaine fois.

Comme ces changements n'entreront pas en vigueur avant le 1er avril 2024, une élection déclenchée avant cette date se ferait avec les circonscriptions électorales actuelles. Cela pourrait se produire avec un gouvernement minoritaire. Cependant, en ce qui concerne les futures élections, Mme Hughes n’est pas encore prête à signaler ses intentions. À savoir si elle se présentera, et dans laquelle des circonscriptions redessinées, elle dit simplement qu’elle a «certainement une réflexion à mener.»

Marc Serré se dit «heureux de servir Manitoulin et Espanola, ce sont des gens formidables, mais ce sera un défi.» Il reste à déterminer si les services au Nipissing Ouest seront affectés par le changement, mais M. Serré soupçonne que cela se produira. «Le Nord de l'Ontario va perdre des fonds fédéraux parce que nous n'avons pas assez de députés pour jouer un rôle de leadership et s'assurer que les maires, les conseils et les Premières nations aient accès aux programmes fédéraux qu'ils méritent dans le Nord de l'Ontario. Nous devons obtenir notre juste part, c'est mon travail,» déclare-t-il.

La Commission indique qu'elle a pleinement pris en compte les nombreux aspects uniques du Nord de l'Ontario avant de procéder aux changements. Cependant, M. Serré n'est toujours pas convaincu qu’elle ait vraiment saisi tous les enjeux. «Tout cela nous ramène au fait que les habitants du Nord de l'Ontario et des zones rurales ne croient pas que le gouvernement travaille pour eux. Ils se sentent isolés, ils ne se sentent pas écoutés, et cela se renforce, car ces commissaires sont des gens du sud de l'Ontario qui ne comprennent pas ce qu’on vit dans le nord de l'Ontario. Cela ne fait que miner la confiance des gens dans le gouvernement, et mon travail consiste à essayer de faire participer les gens, mais cela va rendre les choses encore plus difficiles maintenant,» déplore-t-il.

Légende :

À gauche : les limites actuelles de la circonscription de Nickel Belt et des circonscriptions électorales voisines. À droite : Les limites de la nouvelle circonscription de Manitoulin-Nickel Belt et de ses circonscriptions électorales voisines, telles que redécoupées par la Commission de délimitation des circonscriptions électorales de l'Ontario. Les changements entreront en vigueur le 1 avril 2024.

 

Le député fédéral de Nickel Belt Marc Serré à l'île Manitoulin, qui fera partie de la nouvelle circonscription de Manitoulin-Nickel Belt l'an prochain.

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  • Date de création 18 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 18 septembre, 2023
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