Le Nord de l'Ontario perd une circonscription fédérale

Le Nord de l’Ontario aura officiellement une circonscription en moins lors des prochaines élections fédérales — si elles ont lieu après avril 2024. La Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Ontario a remis son rapport final début juillet. La bataille est perdue pour cette fois, mais des députés de la région comptent préparer le terrain pour la prochaine révision. 

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Julien Cayouette

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

La circonscription Algoma—Manitoulin—Kapuskasing disparaitra. Elle est redistribuée entre les circonscriptions de Thunder Bay—Supérieur-Nord, Timmins—Baie James, Sault-Ste-Marie et Nickel Belt, qui sont toutes plus grandes. La députée de cette circonscription, Carol Hughes, est particulièrement déçue de la décision.

Elle trouve aussi dommage que les députés conservateurs membres du comité de révision aient accepté si facilement le rapport. «C’est triste de voir que les conservateurs croient que de perdre un siège dans le Nord de l’Ontario n’aurait pas un effet négatif. Que d’enlever une voix, c’est correct.»

Élections Canada a besoin de sept mois pour mettre le redécoupage en place. Si une élection est déclenchée avant la fin avril 2024, les changements ne seront pas appliqués. 

Avec la disparition de la circonscription qu’elle représente depuis 2008, Mme Hughes réfléchit encore à son avenir politique. 

De 9 à 8

Le Nord de l’Ontario passe donc de neuf à huit circonscriptions. Malgré les objections de cinq députés de la région, la Commission a refusé de maintenir neuf circonscriptions. 

«Dans le Nord de l’Ontario, une application stricte du principe de la répartition égale de la population aurait entrainé la perte de deux circonscriptions, explique la commission dans son rapport final. Ils ont choisi d’en enlever une seule en reconnaissant que la population dispersée sur un si grand territoire était un défi pour les députés. 

Ils ont par contre créé trois circonscriptions à «circonstances extraordinaires», soit des comtés avec 25 % moins d’électeurs que la cible de 116 590 indiquée par la loi électorale en Ontario. 

Si la Commission n’a pas répondu aux demandes des députés, c’est aussi parce que personne ne lui a suggéré de circonscription à retirer ailleurs en province afin de pouvoir en ajouter une dans le Nord. Toronto avait besoin d’une circonscription de plus, mais l’Ontario ne peut pas avoir plus de 122 représentants dans ce nouveau redécoupage.

Le député de Nickel Belt, Marc Serré, a tout de même de la difficulté à accepter la perte. Ajouter 10 000 électeurs à une circonscription de Toronto affecte très peu leur temps de déplacement pour avoir accès à des services. Ce qui est loin d’être le cas dans le Nord de l’Ontario. Dans son cas, il devra faire affaire avec 11 nouveaux maires et 7 nouvelles Premières Nations — s’il est réélu.

«Les gens en milieu rural sentent déjà que le gouvernement ne les représente pas. La décision qui a été prise ici, par des gens de Toronto encore une fois, renforce l’inquiétude des gens en milieux ruraux», dit le député.

Effets sur la francophonie

  1. Serré n’hésite pas à qualifier de honteux le premier rapport de la commission, publié en aout 2022. À l’époque, les maires de Rivière des Français et de Nipissing Ouest ainsi que l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario se sont opposés à la séparation de ces municipalités très francophones dans deux circonscriptions différentes.

La Commission reconnait que les nouvelles frontières de la circonscription Sudbury Est—Manitoulin—Nickel Belt font passer le poids des francophones de 35 à 31 %. Nickel Belt perd les agglomérations de l’est du Grand Sudbury, comme Coniston et Wahnapitae, et gagne Espanola et l’ile Manitoulin. Elle rappelle cependant que, dans tout le Nord, le poids des francophones a aussi diminué, passant de 17 à 15 % de la population. 

Plus à l’Ouest, Carol Hughes déplore que les francophones de Dubreuilville et Wawa perdent beaucoup de poids en étant intégrés à la circonscription de Sault-Ste-Marie—Algoma. Ces deux municipalités étaient auparavant rattachées à une circonscription beaucoup plus francophone avec Hearst et Kapuskasing — mais qui comprenait aussi l’ile Manitoulin. 

La Commission indique que le cas de Wawa et Dubreuilville lui a effectivement «posé problème». Ultimement, ils ont décidé de les déplacer dans une nouvelle circonscription, car l’ajouter à Kapuskasing—Timmins—Mushkegowuk aurait créé une circonscription beaucoup trop grande. Elle juge aussi que «cette décision n’entrainera aucune érosion des services offerts en français (éducation, santé, etc.)».

La députée Hughes fait quand même remarquer que les 600 résidents de Dubreuilville ont plus de choses en commun avec ceux que Hearst que ceux de Sault-Ste-Marie.

Effets sur les services

Carol Hughes explique que des circonscriptions si grandes réduisent la capacité des députées à desservir la population. Plusieurs députés du Nord ont plus d’un bureau de circonscription — donc plus d’employés —, ce qui augmente leurs dépenses. L’accès limité aux transports en commun ou à internet haute vitesse complique encore plus la situation.

Elle donne l’exemple de Timmins—Baie James, auxquels s’ajoutera le secteur Kapuskasing-Hearst. Cette circonscription reçoit déjà un montant supplémentaire selon les règles de financement, mais ne devrait normalement pas en recevoir plus, malgré l’ajout.

Il en va de même avec le nouveau territoire de Nickel Belt. «En augmentant le territoire que l’on doit voyager, il va y avoir moins de services», déplore Marc Serré. S’il est réélu, il devra desservir l’ile Manitoulin sans avoir plus de ressources. Il a présentement des bureaux à Vallée Est et Sturgeon Falls.

«Je vais continuer à me battre à l’interne au parlement pour augmenter le budget de député pour avoir un bureau [à Espanola], parce que je ne veux pas réduire les services.»

Les deux députés se demandent qui voudra représenter de si grands territoires dans l’avenir. Un ou une jeune députée avec une famille pourrait-elle même y arriver? La conciliation travail-famille serait difficile.

Renvoi de la responsabilité

Dans leurs oppositions, les députés nord-ontariens affirment que les règles de distribution de la population pour l’Ontario s’appliquent mal au Nord de la province. Il désavantage la région par rapport au Sud. 

La Commission rappelle dans le rapport que ce n’est pas sa responsabilité de contester la Loi et ses règlements. Elle doit respecter la Loi.

À plus d’une reprise, elle invite les députés à mots semi-couverts à demander des révisions de la Loi électorale du Canada et des règles de financements des circonscriptions. 

Ce que Marc Serré a l’intention de faire. «Je suis déjà allé voir le ministre. Je vais aller au comité.»

Préparer la prochaine bataille

«Si on ne fait rien, dans dix ans on va perdre un autre compté», lance Marc Serré.

Pour éviter cette fatalité, il faudrait que des exceptions — comme il en existe pour l’Île-du-Prince-Édouard et d’autres régions — soient adoptées par le parlement. «Il faut s’assurer que le Nord applique [des règlements similaires] et qu’il soit distinct du Sud de l’Ontario. Le 116 590 de population par député ne peut pas s’appliquer dans le Nord.»

Il donne l’exemple de la Nouvelle-Écosse, où chaque député doit représenter 88 126 électeurs. «Le problème, c’est qu’il y a une loi par province et le Nord de l’Ontario n’est pas reconnu comme distinct.»

«Ça fait depuis deux ou trois processus de redistribution que la Commission nous dit qu’on devrait perdre au moins deux sièges. C’est inacceptable. On fait 88 % du territoire en Ontario, élabore Mme Hughes. On n’a peut-être pas la population, mais ça ne veut pas dire que la population n’a pas augmenté dans le Nord de l’Ontario. On le voit avec le manque de logement. Mais on ne pourra jamais faire compétition avec le Sud.»

«Il va falloir changer les politiques ou les directives pour la Commission, sur qu’est-ce qu’elle doit prendre en considération quand on fait des décisions pour le Nord de l’Ontario» et d’autres régions peu peuplées, note Mme Hughes. Le nombre de kilomètres à parcourir par un député pourrait être un facteur, donne-t-elle en exemple.

Mme Hughes rappelle que le gouvernement de l’Ontario a reconnu il y a quelques années que le Nord de l’Ontario avait besoin de plus de circonscriptions pour garder un certain poids par rapport au Sud. Elle espère que la même reconnaissance pourra être accordée au niveau fédéral.

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Les frontières actuelles des circonscriptions fédérales du Nord de l’Ontario. — Photo : https://redecoupage-redistribution-2022.ca/ebv/fr/?locale=fr-ca&prov=on

 

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La première proposition des nouvelles frontières actuelles des circonscriptions fédérales du Nord de l’Ontario.

 

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Les nouvelles frontières des 8 circonscriptions du Nord de l’Ontario seront appliquées à la fin avril 2024.

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  • Date de création 13 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 septembre, 2023
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