Le nom de l’Université de Moncton sous la loupe d’un historien

La discussion lancée il y a trois mois dans Le Moniteur Acadien par le chroniqueur patriote Jean-Marie Nadeau continue de faire parler. Invité du Déjeuner du deuxième mardi, l’historien Maurice Basque a présenté des faits historiques entourant cette dénomination.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

À l’origine de la problématique actuelle, il y a une équation toute simple. « L’Université acadienne par excellence » trouve à Moncton. La ville de Moncton tient son nom d’un militaire britannique, Robert Monckton, accusé d’avoir pris une part importante à la Déportation des Acadiens. Maurice Basque, historien et conseiller scientifique auprès de l’Institut des études acadiennes de l’Université de Moncton, rappelle au passage que l’institution, fondée en 1963, est la seule université au Nouveau-Brunswick à porter le nom d’une ville.

Robert Monckton était admiré par ses contemporains britanniques qui l’ont honoré en donnant son nom à ce qui fut d’abord un village nommé « Le Coude » par la communauté acadienne. De façon intéressante, le bar situé au centre étudiant de l’UdeM rend hommage à cette ancienne dénomination. D’autres officiers britanniques, comme Amherst et Sackville, ont été glorifiés de la même manière que Monckton. Aujourd’hui, il est de bon ton d’en honnir la mémoire.

« Dans une perspective acadienne, Monckton a exécuté les ordres de chasser les Acadiens et de détruire leurs propriétés par le feu. On a attribué beaucoup de gestes de cruauté à Monckton. Il est à déterminer si ces cruautés ont été ordonnées par Monckton ou si ses «rangers», des mercenaires à sa solde,les ont exécutées au-delà de ses attentes. Monckton était certainement responsable de la destruction des propriétés acadiennes le long du Fleuve Saint-Jean. On a torturé les femmes et les filles acadiennes pour faire sortir les hommes », rappelle l’historien.

Lorsque le village nommé Le Coude prit le nom de Moncton, c’est une erreur bureaucratique du greffier à Fredericton qui a fait tomber la lettre « k ». De telles erreurs – et l’erreur est humaine ! – étaient chose courante dans les actes administratifs et d’état-civil des deux côtés de l’Atlantique. En 1930, certains ont voulu réintroduire cette consonne mais le conseil municipal de l’époque a tué dans l’œuf cette tentative. Alors, peut-on dire que Robert Monckton est passé aux oubliettes de l’histoire ?

« Lors des festivals organisés à Moncton, on n’a jamais célébré Monckton, de dire Maurice Basque. Il n’existe pas de plaques ou de statues qui honorent sa mémoire. La sculpture de Claude Roussel, au Parc du Mascaret, célèbre Joseph Salter, le premier maire de Moncton. Celui-ci était un constructeur de navires. »

Dans tout cela, quid de la polémique relancée aussi bruyamment que brillamment par Jean-Marie Nadeau ?

Maurice Basque reconnaît que ces campus du Nord (Shippagan, Edmundston) ont toujours considéré le nom d’une ville pour le nom de l’université comme un irritant. Université de Moncton, campus de Shippagan / Edmundston : voilà deux noms de municipalités pour désigner un campus.

« Au début, on a considéré le nom d’Université Notre-Dame jusqu’au moment où l’on a réalisé qu’une université du même nom, gérée par les Pères Sainte-Croix, existait aux États-Unis. De plus, il y a la question identitaire Acadien-Francophone. Les Brayons du Madawaska s’identifient comme Francophones plutôt qu’Acadiens. On avance des noms tels Université Assomption, Université Beausoleil. »

En 1971, l’Université de Moncton a créé la Commission Lafrenière pour étudier la qualité des programmes de l’Université. Ce rapport était très militant en faveur du changement de nom de l’Université. L’Université de Moncton devait changer de nom parce qu’elle était considérée comme un réseau provincial. Le rapport recommandait que l’administration de l’Université soit située à Moncton, à l’extérieur du campus de Moncton.

« En 1975, le comité LeBel a proposé le concept d’une université trinitaire :  une université en trois campus égaux : Edmundston-Moncton-Shippagan. Ce fut un nouveau départ pour l’Université de Moncton, une deuxième naissance. Mais son nom n’a pas été modifié. Le Père Clément Cormier a combattu énergétiquement le rapport LeBel. Il n’a pas hésité à attaquer les défenseurs du rapport LeBel, Gilbert Finn et Michel Bastarache. Il leur en a toujours voulu », informe Maurice Basque.

« Pour le Père Cormier, Moncton est le cœur de l’Acadie.  Sa famille y a vécu toute leur vie en français et en anglais », ajoute-t-il.

Pour autant, est-ce que la vision tout à fait personnelle d’un père fondateur suffit à justifier que l’on s’accroche à une dénomination voulue par lui sur la base de considérations d’ordre privé ? Le débat ne date pas d’hier et a déjà fait couler beaucoup d’encre. De façon récurrente, il a rebondi au cours des dernières décennies.

« L’histoire démontre qu’il y a eu beaucoup de débats entourant le nom de l’Université de Moncton. Le conflit se situe au niveau de l’élite acadienne. Dans le débat actuel, deux visions de l’Acadie s’affrontent. »

Le déjeuner, qui a réuni 102 participants passionnés par ce sujet d’actualité brûlante, s’est conclu avec le souvenir de Fernand Arsenault qui avait dit à Louis J. Robichaud : «P’tit Louis, tu es le père de l’Université de Moncton, et le Père Clément en est la mère.»

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Photo

Titre : Basque Igloo

Légende : De gauche à droite, Jean-Luc Bélanger qui a remercié le conférencier, Jean Gaudet qui

a présenté le conférencier, le conférencier Maurice Basque et Gilles Chiasson, le

président du Comité organisateur.

Crédit : Gracieuseté

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  • Date de création 3 mai, 2023
  • Dernière mise à jour 3 mai, 2023
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