Le mirage Upstay

ANTOINE TRÉPANIER

Le Droit

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

JULIEN PAQUETTE

Le Droit

ENQUÊTE / Rideaux tachés de sang. Punaises de lit. Remboursements en retard. L’entreprise Upstay, qui loue des logements «haut de gamme» en ligne, est visée par des allégations d’insalubrité, de fausse représentation et d’opérations sans autorisation. Aujourd’hui, deux de ses représentants font face à 49 accusations déposées par la Ville d’Ottawa. Et Toronto fait enquête.

Avant d’immigrer au Canada en 2023, Pascal Mesthi et son épouse Gisèle voulaient s’imprégner de la vie dans la capitale fédérale.

Le couple libanais et leurs deux enfants souhaitaient s’établir dans un quartier francophone, multiculturel et près du centre-ville.

Sur le site de réservation Booking.com, Pascal cherchait un loyer dans le quartier de Vanier à Ottawa pour y passer deux semaines de vacances au mois d’août. Il a trouvé le 205, avenue Marier, un joli appartement de deux chambres avec de grandes fenêtres et un lit king. L’appartement est administré par Upstay.com.

Des 2844$ qu’il doit débourser, 100$ sont réservés au ménage du logement. Il devra toutefois débourser 10$ supplémentaires par jour pour y stationner sa voiture de location.

«C’est cher, mais pour avoir le confort, pour être dans une communauté peut-être francophone, on va faire le pas, ce n’est pas grave, je ne regarderai pas les dépenses», se dit alors Pascal Mesthi.

En arrivant, les Mesthi sursautent. Les photos ne correspondent pas à l’appartement qu’ils avaient réservé. Pas de grandes baies vitrées, le plancher est sale et quelques matins plus tard, Pascal et Gisèle se réveillent avec des piqûres sur le corps.

Leur chambre est infestée de punaises de lit.

«On n’a pas dormi. On a envoyé des messages à Upstay pour qu’ils nous trouvent un autre appartement au moins», dit M. Mesthi.

On leur offre un remboursement pour les deux dernières nuits de leur séjour, mais hélas, pas un autre logement.

«Dans tous les cas où le nettoyage ou l’expérience d’un bien locatif ne répond pas à nos normes élevées, Upstay travaille rapidement pour résoudre le problème et répondre aux préoccupations des clients», affirme la porte-parole d’Upstay Inc., Kristin Reed.

Les Lenjosek

À Ottawa, l’entreprise affichait près de 10 propriétés à la fin août. Au moins un des immeubles à logements, le 4, avenue Empress, appartient à Antonietta Lenjosek. Cette ancienne professeure est l’une des deux administratrices de Upstay Canada Inc avec son fils Andrew.

Mercredi, la Ville d’Ottawa a déposé un total de 49 accusations provinciales contre le duo pour ne pas avoir inscrit Upstay auprès de la municipalité et pour l’avoir opéré sans autorisation municipale. Mais aussi, pour avoir agi comme gestionnaire immobilier sans être inscrit.

«Les dispositions du règlement visent à préserver la qualité et le caractère des quartiers d’Ottawa par la responsabilisation des hôtes de locations à court terme afin d’assurer la protection des consommateurs, la sécurité du public et la protection des biens», a déclaré le directeur des Services des règlements municipaux d’Ottawa, Roger Chapman.

Ils devront comparaître en Cour des infractions provinciales d’Ottawa le 6 octobre et sont passibles d’amendes de 500$ à 100 000$ par jour d’infraction, s’ils sont reconnus coupables.

La porte-parole d’Upstay Inc., Kristin Reed, confirme que l’entreprise n’offre plus de locations à court terme dans la capitale fédérale.

«Upstay opère dans près de 30 villes à travers le monde, dont chacune a ses propres règles locales. Nous travaillons avec diligence pour suivre de près ces règlements, soutient-elle. Nous en sommes actuellement à évaluer les changements à la réglementation [à Ottawa].»

Durant son enquête, Ottawa a alerté la Ville de Toronto qui a ensuite investigué au sujet de Upstay. L’enquête est toujours en cours, nous dit-on.

Jeudi, l’entreprise semblait ne plus accepter de réservations dans ces deux villes.

Antonietta Lenjosek a refusé de commenter l’affaire.

Le rêve américain

Andrew Lenjosek est un banquier devenu entrepreneur et investisseur qui a cofondé l’entreprise ModelR en 2019. L’année suivante, ModelR devenait Upstay tant au Canada qu’aux États-Unis.

Upstay gère et loue des loyers à Ottawa, Hamilton, Toronto, en Floride, au Colorado et en Californie, notamment. À l’instar d’Airbnb, il s’agit ici de location de courte durée.

L’entreprise dit avoir plus de 70 employés pour assurer la gestion de plus de 200 propriétés et avoir 350 autres propriétés en construction en Amérique du Nord.

Son siège social canadien est situé dans la somptueuse résidence où habite Antonietta Lenjosek, dans le quartier de Manotick, à Ottawa.

Les conditions de service de l’entreprise indiquent que Upstay a pignon sur rue dans un quartier industriel de Kissimmee, près d’Orlando, en Floride.

Une demi-douzaine de voisins ont pourtant confié au Droit ne jamais avoir entendu parler d’elle.

Selon d’autres documents, le siège social est plutôt établi au centre-ville d’Orlando et serait enregistré dans l’État du Delaware.

Dans une poursuite qu’elle a intentée à Toronto contre un ancien employé, Upstay fait même état de son statut légal au Delaware.

Or, selon nos informations, Upstay n’a pas déposé de rapport annuel au Delaware depuis 2019 et son statut y est déchu depuis octobre 2021, faute d’avoir enregistré un représentant.

Selon nos sources, Upstay Inc doit encore plus de 600$ en taxes impayées. L’entreprise conteste toutefois avoir des impôts impayés. «Toute suggestion contraire serait fausse», déclare Kristin Reed, qui maintient que l’entreprise est enregistrée au Delaware.

Problèmes de paiement et de communication

L’entreprise tarde aussi à rembourser certains clients à qui nous avons parlé.

Pascal Mesthi, par exemple, aurait dû recevoir environ 550$ pour son dépôt de sécurité, ses deux nuitées et ses deux journées de stationnement qu’il a annulées pour des raisons d’insalubrité. Upstay lui a plutôt remis 412$.

Angelo Rindone, un Montréalais qui a loué un appartement à Toronto a lui aussi eu du mal à se faire rembourser son dépôt.

«J’ai dû leur écrire trois ou quatre fois, à chaque fois on me disait que c’était de sept à 10 jours ouvrables. Mais après deux semaines, je n’avais rien. Finalement, je leur réécris et on me dit merci de les avoir rappelés. Ce n’était pas à moi de faire ça», déplore M. Rindone.

Puis Roger Bolton, un Britannique qui planifiait depuis trois ans «les vacances d’une vie» dans la région d’Orlando, parle d’une «expérience assez médiocre».

Il dit avoir eu droit à des toilettes bloquées, des cafards et des installations sales. L’eau de la piscine était verte, la rendant carrément inutilisable.

«On a été transférés entre Booking.com et Upstay. Nous nous sentons assez impuissants sans résolution en vue», a-t-il confié.

Booking.com n’a pas répondu à notre demande de commentaires pour ce reportage.

Découragé, Pascal Mesthi a carrément abandonné sa bataille pour se faire rembourser.

«Je n’ai franchement plus rien demandé tellement il était pénible de traiter avec Upstay», dit-il.

Dans tous ces échanges, Pascal n’a jamais su avec qui il interagissait. S’agissait-il du propriétaire du logement? D’une firme responsable du service à la clientèle? De Upstay?

Alessandro Argentina n’a aucune idée à qui Pascal a parlé. Pourtant, il est le propriétaire du 205 avenue Marier depuis 2017.

Ce logement est pour M. Argentina un investissement qui lui offre des revenus supplémentaires. L’homme d’affaires ottavien a embauché Upstay pour ne pas devoir s’occuper de la gestion de l’immeuble.

C’est d’ailleurs ce que promet Upstay aux propriétaires qui font affaire avec eux. Une tranquillité d’esprit quasi totale. Jamais M. Argentina n’a été mis au courant des punaises de lit. Ni de l’identité du locataire. Ni des taches sur le plancher.

«Vous savez, l’argent entre dans mon compte et je n’entends rien. C’est le genre de fonctionnement que je veux comme propriétaire», affirme M. Argentina lorsque joint par Le Droit.

Mais, lorsque M. Argentina a été mis au courant des allégations visant l’entreprise qu’il avait choisie, il n’a pas caché son incrédulité.

«Je pense que je dois vérifier certaines choses. Mon point de vue sur la gestion immobilière sans intervention ne correspond pas à la façon dont les choses sont réellement gérées», dit-il.

C’est surtout un exemple constaté en Floride qui l’a fait sursauter.

Du sang dans les rideaux

Au printemps dernier, la semaine de relâche rêvée de Jessica Buchholz et Jack W. Rowell sous le soleil de la Floride a plutôt viré au cauchemar.

Jessica et Jack constatent que des rideaux sont tachés de sang, qu’il n’y a pas de draps propres disponibles et que les armoires de la cuisine sont complètement vides. Impossible d’y cuisiner, faute de mitaines de four, de casseroles et de poêles.

On leur avait pourtant promis un appartement propre et une «cuisine entièrement équipée».

Les deux Américains s’attendaient au moins à une serrure de porte fonctionnelle.

«La serrure était brisée. Je les ai appelés à ce sujet et leur ai dit à quel point je ne me sentais pas en sécurité. Il y avait une grande et longue table dans le hall d’entrée, et chaque soir, je la poussais contre la porte», raconte Jessica.

Comme Pascal Mesthi, ils se sont résignés à plier bagage avant la fin de leur séjour.

Et comme Pascal, Jessica et Jack n’ont pas eu droit à un remboursement complet.

«Upstay s’en fichait complètement», déplorent-ils.

Mme Reed affirme que les problèmes que nous avons portés à son attention «sont inacceptables et incompatibles avec l’exécution que nous recherchons, en particulier en ce qui concerne nos normes de nettoyage qui sont les meilleures de leur catégorie».

  • Nombre de fichiers 1
  • Date de création 26 septembre, 2022
  • Dernière mise à jour 26 septembre, 2022
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article