Le maire de Russell en a assez de l’intimidation

Les menaces sur les réseaux sociaux sont un fléau en politique, et elles peuvent avoir un plus grand impact au plan municipal. Le maire de la municipalité de Russell dans l’Est ontarien, Pierre Leroux, dénonce cette minorité bruyante qui pose problème pour la démocratie.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Dans une vidéo de 12 minutes publiée sur son compte Facebook cette semaine, Pierre Leroux explique son ras-le-bol envers les propos haineux qu’il reçoit sur le web.

«Je sentais que j’étais obligé de vider mon cœur, témoigne-t-il. Ce sont toujours les mêmes personnes qui se plaignent de mon travail sans arrêt.»

Il rectifie d’emblée que ce n’est qu’une minorité de personnes qui l’attaque. Mais ces commentaires négatifs pèsent lourd sur sa santé mentale.

«Je veux que la majorité silencieuse soit au courant et ne ferme pas les yeux quand elle voit des commentaires de la sorte», poursuit-il.

M. Leroux est en poste à la municipalité de Russell depuis près de 14 ans, en tant que conseiller et maire. Il s’attendait à recevoir de la critique en se lançant en politique, mais pas à ce point-ci.

«J’ai travaillé dans le service à la clientèle toute ma vie, donc je considère que j’ai une peau épaisse, image-t-il. Je commence à le ressentir.»

Fléau politique

À la suite de la publication de sa vidéo, Pierre Leroux rapporte avoir reçu de nombreux messages de politiciens disant recevoir le même type de commentaire sur les médias sociaux.

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, a d’ailleurs démissionné jeudi, entre autres en raison de l’intimidation dont elle est victime de la part du public.

«La société donne l’impression que c’est normal, a-t-elle dit en point de presse jeudi matin. On normalise et banalise ça. J’ai moi-même participé à ce manège, par défense, par réflexe, mais ce jeu ne fait qu’alimenter le cynisme et fait plonger les taux de participations.»

La violence envers les acteurs politiques a monté d’un cran avec la pandémie. Depuis 2022, les députés fédéraux sont dotés de «boutons d’alerte», pour prévenir immédiatement les forces de l’ordre ou la sécurité du Parlement en cas de menace.

Lors des dernières campagnes électorales, cette violence s’est accentuée, ont remarqué des chercheurs du Centre des études des institutions démocratiques de l’Université de la Colombie-Britannique. En 2019, près de 40 % des gazouillis adressés à des candidats ont été caractérisés comme manquant de civilité, et 16 % comme étant carrément violents.

Lors de l’élection générale de 2021, les chercheurs du Samara Centre for Democraty ont conclu que 20 % des gazouillis adressés à des candidats le jour des élections étaient «insultants, hostiles ou impolis». De cette catégorie de gazouillis, 37 % ont été jugés comme «ayant une forte probabilité de contenir des propos grossiers ou menaçants».

Aux dernières élections municipales en 2022, Pierre Leroux était le seul candidat à se présenter à la mairie du canton de Russell. Pas parce qu’il était le seul à désirer ce poste. Mais parce qu’il était le seul qui en avait le courage, croit-il.

«Ces critiques bruyantes d’une partie de la population freinent de nombreuses personnes à se présenter en politique», remarque le maire.

Le public semble se donner la légitimité de critiquer les décideurs politiques étant donné qu’ils sont élus et payés par la population pour effectuer leur travail, explique le professeur au département de la didactique et expert en cyberintimidation à l’Université de Montréal, Stéphane Villeneuve.

«C’est comme si on se donnait un certain droit envers les personnalités publiques vu qu’elles prennent des décisions, dit-il. C’est un problème pour la démocratie, parce que ça refoule plusieurs personnes à évoluer dans l’arène politique.»

«Est-ce que ça veut dire que ton employeur a le droit de m’intimider vu qu’il te paie?», rétorque M. Leroux. «Je ne crois pas.»

Facilité des médias sociaux

Avec la pandémie, les réseaux sociaux demeuraient pratiquement l’unique moyen de communication, rappelle M. Villeneuve, membre du comité expert sur l’intimidation et la cyberintimidation auprès du gouvernement du Québec.

Sauf que les gens ont cristallisé cette nouvelle habitude.

«La population a perdu son habileté sociale à communiquer en personne, souligne-t-il. On le voit surtout chez les jeunes, qui développent moins leur communication sociale. Envoyer un message derrière un écran ne demande que quelques secondes et permet de défouler une certaine colère. Mais ce n’est pas fait de la bonne façon.»

Pierre Leroux est loin de vouloir repousser les critiques, dit-il.

«Je n’ai aucun problème à me faire critiquer et à débattre. Il faut que les gens soient prêts à une discussion ouverte et respectueuse. Ce n’est pas ça sur les réseaux sociaux.»

Afin de prendre le pouls des préoccupations citoyennes, il a lancé en 2022 l’activité «marche avec le maire», qui se déroule chaque semaine. L’invitation attire quelques personnes chaque semaine.

Pourtant, lorsqu’il invite les personnes qui le critiquent à venir le rencontrer, ces dernières font marche arrière.

«C’est une excellente idée, mais les gens ne vont pas accepter l’invitation parce que ça demande un plus grand effort que de simplement écrire sur Internet, commente Stéphane Villeneuve. De toute manière, ça ne vaut pas la peine d’engager de conversation avec ce type de personne parce qu’on sait où la conversation va aboutir. Ils ne voudront pas écouter l’autre point de vue.»

Intimidation municipale

Les messages haineux affectent inévitablement tous les politiciens, rapporte M. Villeneuve. Sauf qu’au niveau municipal, surtout dans une petite communauté comme Russell, les propos peuvent davantage atteindre la victime, vu la proximité entre le maire et les citoyens.

«Dans une municipalité où tout le monde se connaît, c’est certain que ça va nous affecter émotivement, on ne veut pas faire mauvaise impression, soutient le professeur. Selon le degré de menace, un ministre provincial ou fédéral peut autant être affecté. Personne ne reste indifférent à une menace de mort.»

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Photos

Le maire du canton de Russell, Pierre Leroux, dénonce l'intimidation envers les politiciens. (Le Droit, Simon Séguin-Bertrand)

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, s'est retiré de ses fonctions jeudi. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

Le professeur Stéphane Villeneuve a remarqué une croissance fulgurante de la cyberintimidation avec l'avénement de la pandémie. (Université de Montréal)

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  • Date de création 23 février, 2024
  • Dernière mise à jour 23 février, 2024
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