Le juge Rouleau troublé par la réticence d’agir de l’Ontario

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

En refusant de s’engager dans les efforts visant à mettre fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa par le «Convoi de la liberté», à l’hiver dernier, le gouvernement Ford a lancé le message qu’il voulait éviter la responsabilité de répondre à une crise à l’intérieur de ses frontières, conclut la Commission sur l’état d’urgence.

Le juge Paul Rouleau, à la tête de la commission qui devait enquêter sur l’usage du gouvernement fédéral de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux manifestations du «Convoi de la liberté», accuse le gouvernement ontarien d’avoir manqué à sa tâche.

«Étant donné que la Ville et son service de police étaient manifestement débordés, il incombait à la province de s’engager visiblement, publiquement et sans réserve dès le début.»

Il déplore à plusieurs reprises dans son rapport, publié vendredi, le refus du premier ministre ontarien Doug Ford et de celle qui était, au moment de l’occupation, la solliciteure générale de l’Ontario, Sylvia Jones, de témoigner devant la Commission.

Lorsqu’ils ont refusé d’être questionnés par les avocats de la Commission, le juge Rouleau a émis des assignations pour les contraindre à témoigner.

La province a contesté cette convocation en Cour fédérale, invoquant le privilège parlementaire.

«En conséquence, la Commission est malheureusement désavantagée dans sa compréhension de la perspective de l’Ontario.»

Dans un communiqué, Sylvia Jones avait déclaré que plus de 1500 agents de la PPO avaient été sur le terrain à Ottawa depuis le début de la manifestation, alors que ce nombre était plutôt lié au nombre total de quarts de travail fournis par la PPO.

Des témoignages ont révélé que la divulgation de ces chiffres était «peu utile et imprudente».

«Il était également peu judicieux de la part de la solliciteure générale de l’Ontario d’affirmer publiquement que 1500 agents de la PPO avaient été envoyés à Ottawa», écrit le juge.

Or, impossible de savoir si Sylvia Jones a agi «à des fins politiques» en faisant cette déclaration, comme le suppose Paul Rouleau, vu son refus de témoigner.

Refus de participer

Par ailleurs, le refus de l’Ontario de participer à la table tripartite, que le gouvernement fédéral a voulu mettre sur pied pour régler la situation à Ottawa, a troublé Paul Rouleau.

«Je trouve troublante la réticence de la province de l’Ontario à participer pleinement aux efforts visant à dénouer la situation à Ottawa», écrit dans son rapport le commissaire Paul Rouleau.

Le sous-solliciteur général de l’Ontario, M. Di Tommaso, croyait que c’était au gouvernement fédéral de dénouer la crise à Ottawa, puisque les camionneurs manifestaient «contre l’obligation vaccinale fédérale aux portes du Parlement».

Bien qu’il dit reconnaître qu’Ottawa «est une ville singulièrement complexe du point de vue des compétences, étant donné les nombreux ordres de gouvernement qui y opèrent», le commissaire affirme que «dans l’ordre constitutionnel canadien, les municipalités relèvent de la compétence des provinces».

Tout au long de l’occupation ottavienne, l’Ontario a maintenu sa position selon laquelle il incombait à la PPO de gérer la situation.

Justin Trudeau était plutôt d’avis que «le gouvernement de l’Ontario était heureux de ne rien faire et de laisser le gouvernement fédéral ‘porter’ le problème», rappelle Paul Rouleau, ajoutant que le maire d’Ottawa Jim Watson «a exprimé un sentiment similaire».

Ce qui a poussé la province à agir

La Commission constate que c’est le blocage du pont Ambassador qui a «finalement» poussé le gouvernement de l’Ontario à l’action.

«[...] la réaction aux manifestations de Windsor a nécessité un plan de communication hautement coordonné faisant intervenir à la fois la police et le gouvernement, peut-on lire dans le rapport. Cela ne s’est pas produit à Ottawa. Le refus de la province de l’Ontario de participer aux réunions tripartites, qui visaient à faire participer des représentants des gouvernements municipal, provincial et fédéral, a contribué à ces échecs en matière de communication.»

Ce n’est que lors d’une discussion entre Justin Trudeau et Doug Ford, le 9 février, après le blocage du pont Ambassador, «que la collaboration est devenue le mot d’ordre», indique le commissaire.

«Il est regrettable qu’une telle collaboration n’ait pas eu lieu quelques jours plus tôt.»

La province réagit

«Pendant les occupations à Ottawa et à Windsor, notre gouvernement s’est concentré sur la fourniture des outils dont nos partenaires policiers avaient besoin pour mettre fin à la situation», a assuré un porte-parole du bureau du Solliciteur général de l’Ontario dans une déclaration envoyée peu après la publication du rapport.

Sans répondre directement aux conclusions du rapport de la Commission d’enquête, le bureau du Solliciteur général affirme avoir «fourni des renseignements avant même que les occupations ne commencent, déployé des agents et continué de fournir des ressources aux services de police d’Ottawa et de Windsor en réponse à leurs demandes de soutien opérationnel supplémentaire».

Sylvia Jones doit démissionner, exige le néo-démocrate provincial Joel Harden, député d’Ottawa-Centre. «Avec les détails qu’on a maintenant, c’est une insulte pour les personnes qui vivent au centre-ville de voir qu’on a des élus qui ne comprennent pas qu’Ottawa, c’est en Ontario.»

Tout au long de l'occupation du centre-ville, Joel Harden affirme que les résidents lui ont souvent demandé où était le premier ministre Doug Ford. «Et c’est frustrant parce que j’ai fait tellement d’efforts pour contacter Doug Ford, publiquement et en privé, pour m’assurer qu’il puisse agir auprès des citoyens.»

Le chef intérimaire libéral et député provincial d’Ottawa-Sud John Fraser juge «épouvantable» d’avoir un chapitre entier du rapport consacré à «l’absence de l’Ontario».

«Il est clair que le refus de témoigner de Doug Ford était une tentative de cacher son incapacité à agir alors qu'Ottawa était assiégée. Il doit s'excuser aujourd'hui auprès des résidents d'Ottawa et de tous les citoyens de l'Ontario pour son manquement au devoir.»

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  • Date de création 17 février, 2023
  • Dernière mise à jour 17 février, 2023
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