Le franglais acceptable en milieu minoritaire

Ayant grandi à Timmins, en milieu francophone minoritaire, Nathalie Dion avait l’impression dans sa jeunesse que son français n’était pas à la hauteur, en raison d’une assimilation de la majorité anglophone. Elle se sentait seule à utiliser des anglicismes. Elle croyait que les autres communautés francophones parlaient le français standard, comme on nous l’enseigne. Elle n’est sûrement pas la seule francophone en milieu minoritaire à vivre cette situation. Mme Dion sentait bien que ses enseignants voulaient corriger la manière de parler des élèves.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

« Dans ma jeunesse, je me suis souvent fait dire que vu qu’on est bilingue et qu’on parlait anglais, qu’il y avait une certaine assimilation. Quand on faisait des fautes à l’oral ou qu’on intégrait des mots d’anglais, que c’était la faute d’une certaine assimilation. [En théorie] on ne devrait pas être fier de ça, il faut essayer de bien parler. »

C’est au moment où elle a intégré le Laboratoire de sociolinguistique de l’Université d’Ottawa que sa pensée a basculé.

Ce groupe de chercheurs qui étudient les traits linguistiques a dévoilé que toutes les communautés francophones à travers les siècles ne respectent pas certaines règles de la grammaire de la langue française à l’oral (voir autre texte). Les linguistes en concluent qu’il est tout à fait normal et acceptable d’émettre des normes prescriptives dans nos conversations.

« Il n’y a pas une bonne et une mauvaise façon de dire les choses, rappelle la coordinatrice à la recherche du laboratoire. Ça m’a un peu bouleversé, parce que je pensais qu’il y avait un bon français. »

Elle a été étonnée de voir des recherches approfondies sur les traits de la langue communautaire.

« Ça m’a vraiment frappé, parce que je pensais que l’oral était quelque chose qui ne méritait pas d’être étudié. Mais j’ai compris que même la langue informelle est formée selon une structure. Ces analyses vérifient ces mythes-là qui sont répandus dans la communauté, surtout en milieu minoritaire. »

Peur d’être assimilé

Nathalie Dion a grandi à Timmins, née de deux parents québécois. Même si elle est résiliente, la communauté francophone (36 % de la population en 2016) de cette ville du nord de l’Ontario est entourée d’anglophones. Les anglicismes s’incrustent alors naturellement dans les conversations des francophones, et ce n’est pas un cas unique.

« C’est rassurant de savoir que de mélanger des langues comme ça, ce n’est pas juste nous autres dans le Nord. C’est partout dans les communautés bilingues. Les recherches ont prouvé que tous les locuteurs bilingues le font de la même façon. C’est rassurant et déculpabilisant. Mais c’est difficile de se défaire de ces idées [que les anglicismes ne sont pas bons] et de les expliquer aux autres », souligne Mme Dion.

« On est souvent comparé aux francophones du Québec. On avait cette idée que notre connaissance de l’anglais affecterait notre grammaire et que sans le savoir, on avait de l’assimilation dans notre cerveau. Ce n’était pas explicite, mais j’avais cette impression-là », ajoute-t-elle.

Corriger son français

À l’école primaire et secondaire, la Franco-Ontarienne croyait que les professeurs enseignaient les règles de grammaire pour que les jeunes changent leur manière de parler. Comme s’il fallait corriger leur français. « C’était présenté comme “On vous oblige, parce que votre français n’est pas à la hauteur”. [...] Ça ne m’est jamais passé par la tête que même les francophones qui ne parlent pas anglais apprennent eux aussi les règles du français. »

« Si on m’avait présenté la grammaire autrement, comme une convention de l’écrit que toutes les communautés francophones apprennent, mais que ça n’enlève rien à notre manière de parler, j’aurais pensé différemment », ajoute Nathalie Dion.

Grammaire acquise à l’enfance

En entrant à l’école, l’enfant est déjà capable d’entretenir une conversation et il a déjà formé sa grammaire de base pour communiquer, rappelle la chercheuse. « On parle comme ce qui nous a été transmis de génération en génération. C’est le reflet d’une survie et non d’une assimilation. C’est quelque chose de précieux et c’est important de ne pas perdre ça par un désir d’être plus formel. »

« Si tu veux apprendre le français plus standard, c’est quelque chose que tu rajoutes à ta façon de parler. On n’est pas censé commencer avec ça. C’est un système de normes qu’on doit apprendre. »

Le français oral et le français écrit sont donc deux choses différentes. Même si la langue communautaire évolue, elle ne collera jamais totalement aux normes prescriptives de l’écrit. Et ce, peu importe la communauté.

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Photos

Nathalie Dion. (Courtoisie)

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  • Date de création 27 juin, 2022
  • Dernière mise à jour 27 juin, 2022
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