Le français en filigrane : Vivre sa francophonie hors de Whitehorse

Comment vit-on sa francophonie au Yukon, en dehors de Whitehorse? Différemment, affirment des familles installées aux quatre coins du territoire, à Haines Junction, Dawson et Mayo.

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Laurie Trottier

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

 

« La communauté francophone du Yukon est vibrante, diversifiée et en pleine croissance grâce à la contribution des nombreuses personnes qui font le choix d’y participer et de vivre en français. » Voici comment est décrite la communauté francophone sur le site de l’Association franco-yukonnaise (AFY). À Whitehorse, aucun doute, le fait français est tout sauf un mirage. Qu’il s’agisse du tout nouveau Centre de santé bilingue, de la ligue d’improvisation en français, du club de lecture pour les jeunes ou des cafés-rencontres, les services et occasions qui mettent en valeur la langue de Molière rayonnent.

Cependant, vivre sa francophonie à l’extérieur du grand centre est une tout autre paire de manches.

Priorités différentes

Pour plusieurs, vivre en français à l’extérieur de la maison n’est pas une priorité. Gabrielle Benoît vit avec sa famille à Mayo depuis bientôt quatre ans. « On n’était jamais allés à Mayo avant notre arrivée », affirme celle qui ne regrette pas du tout son choix. « Mayo, c’est merveilleux. C’est vraiment une belle communauté. » Gabrielle Benoît et son compagnon ont repris les rênes du motel Bedrock et y travaillent depuis.

Gabrielle Benoît le mentionne d’entrée de jeu : le français est important pour elle et sa famille, mais au sein de la communauté, elle aurait de la difficulté à le défendre corps et âme alors que la Première Nation de la région travaille d’arrache-pied pour revitaliser sa langue. « Je vois mes amis ici faire des efforts de revitalisation [du tutchone du Nord] qui est là depuis des milliers d’années, tous ces efforts-là… Moi, j’ai décidé de m’éloigner de mon centre francophone. J’aurais l’impression de tirer la couverture », confie-t-elle. Au domicile, cependant, tout est mis en place pour que ses enfants parlent le français. « J’ai réalisé que sans mettre de l’effort et de la réflexion dans la langue, c’est quelque chose qui est facile à échapper. »

Selon le recensement de 2021, la proportion de la population qui parlait français de façon prédominante à la maison était en baisse partout au pays, sauf au Yukon.

Créer une communauté au-delà de la langue

Joey Bourgeois habite à Haines Junction depuis deux ans, avec sa conjointe qui est anglophone. En quittant le Québec, il était préparé à parler davantage anglais. « Je pensais que je n’avais aucun problème avec ça, mais quand je suis allé en vacances au Québec, je me suis rendu compte que ça me manquait de parler en français », affirme-t-il. S’il compte quelques ami·e·s francophones à Haines Junction, la majorité s’exprime en anglais.

Katarina Welsch habite à Haines Junction elle aussi, avec ses deux garçons et son partenaire. Elle affirme avoir plusieurs personnes dans son entourage avec qui elle converse dans sa langue maternelle. « J’ai une de mes bonnes amies qui a deux garçons du même âge, alors ils se parlent en français », ajoute-t-elle. À Haines Junction, 7,9 % de la population pourrait s’exprimer dans les deux langues officielles du Canada, selon le plus récent décompte de Statistique Canada.

Pour Nadine Laurin, enseignante établie à Dawson depuis seulement quelques mois, les contacts sociaux hors travail se font au-delà de la langue. « Il n’y a pas de familles qui se tiennent seulement ensemble. La langue se développe en communauté », souligne-t-elle.

Il faut un village… pour préserver le français

Chaque année, un certain nombre de projets de l’AFY se développent ou se transposent dans les communautés, mais l’offre demeure beaucoup plus restreinte. À Haines Junction, par exemple, Katarina Welsch aimerait voir plus d’activités accessibles à toutes et tous, « qui incluraient autant les francophones que les anglophones », et davantage de livres en langue française.

À Mayo, où il y a seulement 20 personnes qui peuvent s’exprimer en français, selon les plus récentes données de Statistique Canada, la situation est différente. « Juste d’avoir des activités, c’est assez », affirme Gabrielle Benoît en riant.

En ce qui a trait aux services en français, les besoins diffèrent également. « Lorsque nous faisons des interventions de représentation politique, l’AFY parle au nom de toute la francophonie yukonnaise, pas juste de Whitehorse », assure Isabelle Salesse, directrice générale de l’organisation.

Pour Joey Bourgeois, un élément manquant est la traduction des documents gouvernementaux et municipaux en français à Haines Junction. « Tout ce qui est municipal, ce n’est pas disponible en français. On nous dit que [la ville n’a] pas le personnel pour traduire », soutient-il.

À Mayo, les personnes qui viennent travailler en tant qu’infirmières pour une courte durée au sein de la communauté s’expriment parfois en français, mais ce n’est pas un prérequis. « Les services d’interprétation-accompagnement en santé sont offerts à distance (par vidéoconférence ou par téléphone) pour les francophones en région, avec des références aux ressources locales », assure toutefois Sandra ­

St-Laurent, directrice du Partenariat communauté en santé, un réseau visant à améliorer l’accès des francophones à la santé en français.

Garder le français après l’enfance

Plusieurs familles francophones du Yukon partagent une même crainte : la poursuite de l’apprentissage du français par leurs enfants. Certaines pourraient même en arriver à déménager. « C’est la raison pour laquelle je considérerais être à Whitehorse, avoue Katarina Welsch. J’aimerais que mes enfants apprennent à lire et à écrire en français, et qu’ils aient un environnement social pour le faire. »

À Dawson, en attendant l’ouverture d’une première école francophone, Nadine Laurin continue d’enseigner durant les matinées à une dizaine d’élèves inscrits à l’École Nomade de la Commission scolaire francophone du Yukon. Elle a des élèves de 4 à 11 ans. « Ce qu’on est en train de faire, c’est les amener à parler en français », affirme-t-elle fièrement.

Pour Gabrielle Benoît, c’est en se remémorant comment elle a appris l’anglais en grandissant au Québec qu’elle a trouvé une façon de transmettre sa langue maternelle à ses enfants : « J’ai appris l’anglais par la production culturelle, alors pour moi c’est de faire l’inverse pour mes enfants. On va les faire consommer de la production culturelle en français », avance-t-elle. Le reste est à définir, mais une chose demeure certaine pour la mère de famille : « Il faudra y mettre de l’effort. »

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Photos

Titre : Katarina-Welsch.jpg

Légende : Pour Katarina Welsch, à Haines Junction depuis presque dix ans, la francophonie se vit dans la sphère privée, avec la famille et les ami·e·s.

Photo : fournie

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  • Date de création 30 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 24 juin, 2023
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