Le crime rural, une menace grandissante en Alberta

Bien que la criminalité urbaine fasse souvent les manchettes en Alberta, les crimes commis en milieu rural ont augmenté à un rythme préoccupant ces dix dernières années. En effet, l'indice de gravité des crimes (IGC) dans les régions rurales a bondi presque trois fois plus rapidement que dans les zones urbaines. Face à cette tendance, le gouvernement albertain a annoncé l'allocation de 27,3 millions de dollars pour améliorer les services offerts dans les localités éloignées.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

«La réalité historique, c'est que depuis qu'on a commencé à collecter des données au pays, les milieux ruraux ont toujours affiché des taux plus élevés en matière de crime que les villes, et ce, partout au Canada. Mais c’est vrai que la situation est de pis en pis en Alberta», note d’entrée de jeu le professeur en études de la justice à l’Université Mount Royal (MRU), Doug King. Des données recueillies par Statistique Canada démontrent d’ailleurs qu’entre 2011 et 2021, l’IGC a connu une hausse de 34% dans les zones rurales de l'Alberta contre 12% pour les zones urbaines.

À l’exception du vol qualifié et de la traite des personnes, à peu près tous les crimes, qu’ils soient graves ou non, sont surreprésentés dans ces statistiques. Notamment, les voies de fait, les infractions reliées aux armes à feu et le harcèlement criminel affichent des taux deux fois plus élevés dans les milieux ruraux.

Selon l'expert, ces écarts «significatifs» mettent en évidence la vulnérabilité des régions qui sont plus exposées aux activités criminelles, notamment en raison de leur éloignement géographique et du manque de ressources policières. «Quand la police prend plus de temps à répondre aux appels, ça ajoute une autre couche de vulnérabilité», avance-t-il.

En outre, les shérifs locaux sont souvent chargés de surveiller de vastes étendues de terres avec un nombre limité d’agents, ce qui rend leur travail «difficile». L’argent accordé par le gouvernement devrait amoindrir ce problème en facilitant l’embauche de 20 enquêteurs civils supplémentaires pour l’unité Safer Communities and Neighbourhoods (SCAN) qui surveille les propriétés où se déroulent des activités illégales.

Des fonds seront aussi accordés pour améliorer l’initiative Rural Alberta Provincial Integrated Defence Response (RAPID) qui permet aux shérifs d’assister la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans des enquêtes liées aux infractions routières.

En accordant plus de pouvoirs à ces agents de la patrouille routière, la GRC pourra se consacrer à des appels plus prioritaires. Les shérifs se verront accorder les pleins pouvoirs d'arrestation en vertu du Code criminel du Canada. Doug King rappelle aussi qu’il y a «beaucoup de discussions» pour créer une agence de police provinciale qui remplacerait la GRC, mais il ignore si cette initiative pourra réellement faire «baisser le taux de crime dans les milieux ruraux».

L’Alberta, une anomalie canadienne

En analysant l’IGC par secteur, le professeur a aussi fait un constat surprenant : les régions très éloignées de la province affichent un taux de criminalité moins élevé que les zones rurales situées en périphérie des grandes villes. Selon lui, cela suggère que les criminels urbains se déplacent à l’extérieur des grands centres pour commettre des crimes, loin des autorités et des regards indiscrets. «Les gens se disent : "si je conduis 20 minutes pour me rendre à l’extérieur d’Edmonton ou de Calgary, je vais être capable de voler des autos et de m'introduire dans des maisons sans me faire prendre"», explique-t-il.

Cette hypothèse s'aligne en partie avec les données récoltées par Statistique Canada. L’analyste de recherche principal Samuel Perreault explique que l’Alberta affiche le plus haut taux d’introduction par effraction et de vol de véhicules à moteur au Canada. Ces taux sont cinq à sept fois plus élevés que ceux enregistrés dans les régions de l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple.

Et contrairement aux autres provinces où les cambriolages et les vols ont tendance à survenir aussi fréquemment dans les villes qu'en milieu rural, l’Alberta affiche un taux d’introduction par effraction 53% plus élevé dans les régions éloignées des grands centres. Les taux de vol de plus de 5000$, de vol de véhicules à moteur et de possession de biens volés sont aussi «nettement plus élevés» dans les zones rurales.

Des pistes de réflexion

Samuel Perreault estime aussi que certains «critères sociodémographiques» doivent être pris en compte pour analyser le taux de criminalité rural en Alberta. En s’appuyant sur des données statistiques montrant que les hommes âgés de 15 à 28 ans sont plus susceptibles de commettre des crimes, l’analyste se demande si les communautés axées sur l’extraction de ressources naturelles où les travailleurs masculins sont «surreprésentés» ne pourraient pas être des foyers de criminalité plus importants.

«C’est une hypothèse, mais de la même façon que dans les endroits où il y a beaucoup de personnes âgées, on observe des taux plus bas de criminalité, on sait que dans les zones où il y a un nombre important de jeunes hommes, les crimes ont plus de chances d’augmenter», avance-t-il.

Selon Doug King, c’est aussi ce qui pourrait expliquer que les communautés autochtones affichent souvent un IGC élevé. Outre les facteurs de risque liés à la «colonisation, à la discrimination et aux préjugés», les membres de ces communautés ont tendance à être «très jeunes», dit-il, ce qui «augmente leurs chances de se retrouver surreprésentés dans les statistiques de criminalité», laisse-t-il entendre.

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  • Date de création 27 avril, 2023
  • Dernière mise à jour 27 avril, 2023
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