Le combat de Stephen Blais

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Pendant une décennie, lorsqu’il était conseiller municipal à Ottawa, Stephen Blais a partagé un couloir avec un collègue que plus d’une demi-douzaine de femmes allaient accuser d’inconduites et de comportements inappropriés au travail.

Aujourd’hui député provincial, Stephen Blais admet que ça le rend toujours émotif de penser que Rick Chiarelli, avec qui il a travaillé si longtemps, ait pu commettre «des gestes aussi inacceptables» sans jamais éveiller ses soupçons.

«Cette histoire m’a poussé à faire quelque chose à Queen’s Park, mais quand j’ai commencé à faire des recherches sur la question, c’est devenu clair que la situation à Ottawa était loin d’être un cas isolé», déplore Stephen Blais.

Et ce qui le met hors de lui, surtout, c’est qu’en Ontario, un élu municipal ne peut être démis de ses fonctions pour mauvaise conduite.

«Dans tous les emplois du monde, que tu travailles comme commis au Walmart, ou comme journaliste au quotidien Le Droit, si tu fais ce qu’il a fait, tu peux perdre ton emploi», remarque Stephen Blais.

C’est d’ailleurs ce qu’il essaie de changer avec son projet de loi 5, «la Loi de 2022 visant à mettre fin au harcèlement et aux abus commis par les dirigeants locaux».

Si le projet de loi est adopté, la Loi de 2001 sur les municipalités serait modifiée pour que les codes de déontologie des conseillers municipaux comprennent une exigence à propos des politiques en matière de violence et de harcèlement au travail.

Les modifications permettraient aussi aux municipalités et aux conseils locaux d’exiger que le commissaire à l’intégrité demande à la cour de démettre un membre de ses fonctions si son enquête établit qu’il a contrevenu au code de déontologie.

«Si un candidat a un problème de finances en campagne électorale, ou s’il est accusé de conflit d’intérêts, et que l’enquête du commissaire à l’intégrité confirme tout ça, la cour peut décider de lui faire perdre son emploi. On veut que ce soit le même processus pour le harcèlement, tout simplement.»

Le projet de loi 5 prévoit également qu’un membre qui a perdu son poste pour raison de non-respect des politiques en matière de violence ou de harcèlement au travail n’ait pas le droit d’être de nouveau nommé à ce poste.

«Quelqu’un qui ne dépose pas de rapport financier pour sa campagne électorale ne peut pas se présenter aux prochaines élections, mais quelqu’un qui a agressé ou harcelé un collègue peut se présenter à nouveau. On a un ‘gap’ dans notre système», martèle le député.

Et ce manque à gagner contribue à la «culture du silence» dans le monde municipal, soutient la porte-parole de The Women of Ontario Say No, Emily McIntosh.

The Women of Ontario Say No est un réseau communautaire créé en réponse aux préoccupations concernant le harcèlement au travail par des conseillers municipaux de la province.

«Cette culture du silence, elle est a ses effets escomptés, parce qu’une femme qui veut signaler un geste d’inconduite survenu à son lieu de travail se demande constamment si ça en vaut la peine, car actuellement, elle court un plus grand risque de perdre son emploi que celui qu’elle veut dénoncer», relate Emily McIntosh.

Appui

Même si son combat semble être appuyé par tous les partis à Queen’s Park, le député Stephen Blais dit avoir trop souvent été confronté aux délais bureaucratiques.

«Chaque fois que je parle avec le ministre [des Affaires municipales et du Logement] Steve Clark, il me dit que oui, ils vont l’appuyer, mais je vais attendre de le voir pour le croire.»

Il avait initialement déposé son projet de loi en 2021, mais il est mort au feuilleton lorsque le gouvernement Ford a déclenché l’élection provinciale de juin 2022.

En le déposant à nouveau à l’été 2022, Stephen Blais espérait le faire adopter avant les élections municipales d’octobre, en vain.

«Et maintenant, ça fait trois mois depuis les élections municipales, et il y a un risque que les gens voient moins la nécessité du projet de loi et qu’on perde notre momentum. Mais il faut que l’oncontinue à en parler, parce que la prochaine fois que ça va arriver, les gens vont se demander pourquoi on n’a rien fait pour prévenir.»

Le Droit a demandé au ministère des Affaires municipales et du Logement si le ministre Clark allait voter en faveur du projet de loi de Stephen Blais, mais son bureau n’a pas répondu à la question et n’a pas accepté notre demande d’entrevue.

«Il est essentiel que chacun se sente en sécurité et respecté sur le lieu de travail et qu’il sache que des mesures de responsabilisation sont en place pour les membres qui enfreignent les codes de conduite», nous a-t-on indiqué, par courriel.

«C’est bien connu qu’historiquement, les projets de loi de membres de l’opposition ont de très faibles chances d’être adoptés, donc c’est important de continuer à susciter l’intérêt public», conclut Emily McIntosh.

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  • Date de création 23 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 23 janvier, 2023
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