Le Centre culturel franco-manitobain : un catalyseur arrivé à point nommé

Le Centre culturel franco-manitobain a ouvert ses portes il y a presque 50 ans. Le projet porté par le ministre néodémocrate et député de Saint-Boniface Laurent Desjardins avait pour but de favoriser la culture à un temps de grande effervescence due aux baby-boomers dans leur vingtaine. Roland Mahé, directeur artistique du Théâtre Cercle Molière de 1968 à 2012, ne peut que saluer une initiative arrivée au bon temps.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Avant l’ouverture du Centre culturel franco-manitobain (CCFM) qui, comme son nom l’indique, a pour mandat de desservir l’ensemble du Manitoba français, existait depuis quelques années le Centre culturel de Saint-Boniface. Roland Mahé se remémore cette brève période.

« Avant la construction du CCFM, dans une partie du couvent des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie avenue de la Cathédrale, a existé le Centre culturel de Saint-Boniface. Il hébergeait des organismes comme le 100 Nons, le Théâtre Cercle Molière et d’autres activités artistiques. »

L’idée d’un Centre culturel franco-manitobain commençait alors à germer dans la tête de quelques francophones politiquement bien placés.

« Laurent Desjardins était alors député pour Saint-Boniface et ministre des Affaires culturelles et du Tourisme dans le gouvernement néo-démocrate d’Ed Schreyer. En 1971, il a lancé l’idée d’un centre culturel franco-manitobain qui pourrait accueillir différents organismes culturels francophones. À cette fin, il a organisé une délégation qui est allée en France pour visiter des Maisons de la culture. Il a en particulier pris les conseils d’un expert en la matière, Jean-Christophe Dechico, le directeur du Centre culturel de Firminy.

« À son retour au Manitoba, il a formé un comité sur lequel a siégé le juge Alfred Monnin, le maire de Saint-Boniface Edward Turner, Gabriel Forest et Me Rhéal Teffaine. Laurent Desjardins était de ceux qui savaient faire bouger les choses. » (1)

Si une volonté se ressentait alors à plusieurs niveaux, c’était bien celle de donner sa juste place au domaine artistique. Roland Mahé en est encore remerciant. « Jusqu’alors on était assez pauvres culturellement et financièrement. Il y avait un manque d’espace criant pour les organismes culturels franco-manitobains.

« Pour sa part, Alfred Monnin tenait à ce que le Théâtre Cercle Molière ait son théâtre. La construction du nouveau Centre culturel franco-manitobain a commencé en 1973, sur des plans d’Étienne Gaboury.

« Pour le Cercle Molière, c’était immense d’avoir son propre théâtre. À ce temps-là, quand on jouait pour trois soirs, on remplissait les trois soirs. Quand on est passé à huit soirs, on remplissait les huit soirs. On a commencé à offrir des saisons. C’était incroyable pour l’époque. Dans le nouvel édifice, il y avait évidemment plus de sièges à remplir, presque 300 dans la salle Pauline-Boutal.

« C’était vraiment extraordinaire d’avoir notre propre centre culturel. Ce mouvement a permis au Cercle Molière de passer d’une troupe amateure à une troupe professionnelle. »

Cependant, ce nouveau lieu n’a pas été sans entraîner à l’occasion quelques points de discorde. « Il y avait parfois quelques tensions au CCFM, puisque nous prenions beaucoup de place dans le centre, même sans avoir de salle de répétition ou de place pour le costumier. M. Dechico nous avait prévenus : Un théâtre prend de la place.

« Évidemment, je comprenais parfaitement que le Centre culturel voulait aussi produire des spectacles. Mais dans ces moments-là, le Cercle Molière se retrouvait sans salle. Malgré tout, pour longtemps, le théâtre et le Centre finissaient toujours par s’arranger. On travaillait pour le bien de l’évolution de la culture francophone du Manitoba (2). Le Centre culturel franco-manitobain était bien le cœur de la culture francophone du Manitoba. »

La Liberté du 21 novembre 1973 apprend aux lectrices et lecteurs que tout n’est pas encore rose pour le haut lieu culturel : « La Province refuse la création de plus de huit postes à plein temps pour le moment, y compris le personnel de base (entretien, gardiennage). […] Une autre demande de poste est restée sans réponse : elle concerne un technicien capable de maîtriser les installations coûteuses et ultra-modernes de sonorisation et d’éclairage scéniques. Voilà donc du beau matériel qui risque d’être ridiculement sous-employé après avoir mangé 100 000 beaux dollars. »

Si la Province était ainsi interpelée, c’est parce que le Centre culturel franco-manitobain a été établi comme une société de la Couronne. Roland Mahé aime à rappeler l’ambivalence de ce statut.

« À mon sens, c’est à la Province de fournir l’argent pour assurer l’offre culturelle du CCFM. Comme ce montant est relativement limité, heureusement une partie de l’argent vient aussi du Fédéral. Mais selon les gouvernements au pouvoir, l’aide financière peut être plus ou moins
généreuse. (3) »

Quant à l’emplacement du CCFM, Roland Mahé estime qu’il se trouve au parfait endroit. « C’est définitivement le bon emplacement. Au cœur de Saint-Boniface, pour le cœur de la culture franco-
manitobaine. »

Dès ses débuts, toute la raison d’être du Centre culturel franco-manitobain était là : maintenir, encourager et promouvoir par tous les moyens possibles toutes sortes d’activités culturelles dans la langue française, et rendre la culture franco-manitobaine disponible à tous les résidents de la province. Pour Roland Mahé, il ne pouvait y avoir de plus belle vision.

« À l’ouverture du CCFM, certains disaient que la culture franco-manitobaine allait mourir dans 30 ans à cause de l’assimilation. Sauf qu’elle vit encore aujourd’hui.

« Il faut s’assurer que la prochaine génération s’intéresse à faire vivre cette culture. Il faut que tous les Franco-Manitobains soient fiers de leur culture et surtout qu’ils transmettent cette fierté. Si on ne participe pas à des évènements qui nous célèbrent, nos organismes ne pourront pas vivre.

« Je pense que la culture est la fondation même de notre identité franco-manitobaine. Le comité qui a mis sur pied le Centre culturel le savait très bien. On garde notre culture et notre langue avec l’art. L’art nous colle ensemble.

« En faisant la promotion de nos chanteurs, de nos écrivains, de nos peintres, de nos comédiens, l’art permet de nous voir sur la scène. Le Centre culturel franco-manitobain remplit ce rôle à la perfection. Il permet de combattre l’insécurité linguistique qui peut être présente dans nos communautés de langue officielle en situation minoritaire. »

(1) Pour d’autres détails, voir Laurent Desjardins, Un sportif en politique (p.219 à 222) de Bernard Bocquel, publié aux Éditions du Blé en 2008.

(2) À partir de 1997, le Cercle Molière quitte la Salle Pauline-Boutal et joue ses pièces au Théâtre de la Chapelle (situé au 825 rue Saint-Joseph). En 2010, le Cercle Molière obtient son propre théâtre intégré dans le complexe du CCFM.

(3) Puisque le CCFM est une société de la Couronne, la Province est responsable de l’édifice et des projets capitaux y afférant. Le CA a la responsabilité de la gestion. La moitié du CA est nommée par la Province, l’autre moitié par la Société de la francophonie manitobaine. Chaque année, la Province verse une enveloppe pour le budget opérationnel du Centre culturel franco-manitobain.

 

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Photos : 

Roland Mahé a été le directeur artistique du Théâtre Cercle Molière de 1968 à 2012. + Photo : Marta Guerrero

Photo prise lors de l’ouverture du nouveau Centre culturel franco-manitobain. On y reconnaît entre autres : Alfred Monnin, Laurent Desjardins, Joseph Guay, Robert Bockstael et Étienne Gaboury. + Photo : Gracieuseté société historique de Saint-Boniface

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  • Date de création 9 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 9 janvier, 2023
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