Le casse-tête de l’autisme dans l’Est ontarien

Les parents d’enfants atteints du trouble du spectre de l’autiste (TSA) doivent souvent composer avec des ressources limitées pour leur venir en aide. Cette réalité peut devenir encore plus difficile dans l’Est ontarien, là où le grand territoire cause des maux de tête additionnels, et où l’absence de financement durable cause son lot d’inquiétudes.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Nul doute que la responsabilité d’un enfant ayant un TSA accapare le quotidien d’un parent.

À l’école, ces jeunes peuvent apprendre dans une classe spécialisée, où le ratio élèves/enseignants est plus élevé. Ces classes se remplissent rapidement, ce qui fait en sorte que certains parents doivent amener leurs enfants à l’extérieur de leur village pour obtenir un tel service sur mesure.

De son côté, le Regroupement Autisme Prescott-Russell propose des activités la fin de semaine, pour offrir un répit aux parents. Il n’y a aucun service de jour, la semaine, pour les adultes vivant avec un TSA.

Nathalie Lévesque a d’ailleurs dû prendre sa retraite d’enseignante plus tôt que prévu pour s’occuper de son garçon de 22 ans.

Avec l’aide d’une subvention gouvernementale, elle paie 2000$ par mois pour qu’une intervenante de l’agence Valoris. L’organisme spécialisé dans l’offre de services pour personnes ayant une déficience intellectuelle s’occupe de son fils, quatre avant-midi par semaine. On lui propose des marches ou encore de jouer aux quilles ou faire du bénévolat: tout pour donner le sourire au garçon ayant un TSA et qui est non verbal.

N’empêche qu’à 53 ans, la résidente de Casselman se trouve jeune pour être à la retraite.

«J’ai cogné à toutes les portes et je n’ai rien trouvé, dit-elle, impuissante. Je n’ai pas eu le choix de faire un sacrifice pour un enfant que j’aime.»

Ayant passé 11 ans en tant que directrice du Regroupement autisme Prescott-Russell, Nathalie Lévesque est une pionnière de l’organisme. Lorsqu’elle était enseignante, elle pouvait prendre soin de son garçon Jacob pendant les vacances. À l’école, son fils pouvait socialiser et était bien servi, soutient-elle.

«Puis du jour au lendemain, il tombe avec rien.»

Son fils est tout heureux avec son intervenante, soulève sa mère, qui vit sur le qui-vive.

«Je ne sais jamais si mon intervenante va me lâcher. Si ça arrive, je n’ai personne d’autre pour m’occuper de mon garçon.»

Avec sa situation, Jacob ne sera pas assez autonome pour occuper un emploi un jour, croit Nathalie Lévesque.

Donner une chance

Contrairement à Jacob, certaines personnes vivant avec un TSA plus léger sont en mesure de travailler. Ils peuvent compter sur des entreprises locales, comme le traiteur La Bonne Bouffe à Casselman.

Le propriétaire Denis Sauvage engage de jeunes adultes vivant avec un diagnostic d’autisme depuis de nombreuses années. Celui qui vit avec un déficit d’attention depuis son enfance rappelle l’absence de programmes spéciaux pour ce type d’élèves dans les années 1970.

Fils d’un père propriétaire d’un commerce, il a eu la chance de travailler tôt dans sa vie. Il a donc à cœur le bien-être de ces jeunes.

«Je crois qu’on a tous besoin de chances dans la vie, souligne-t-il. Mon but est de les rendre heureux, et quand on a ça, l’entreprise fonctionne bien.»

Afin de faciliter le travail de chacun, il délègue une tâche simple et répétitive, comme faire la vaisselle ou couper les légumes.

«Il ne faut pas avoir de préjugés envers ces gens-là, conclut-il. Ils veulent être intégrés dans la vie de tous les jours.»

Deux amours

Journée de tempête, le transport scolaire annulé, Félix Saint-Denis et sa conjointe doivent faire du télétravail pour prendre soin de leurs enfants. S’occuper des enfants lorsqu’on travaille à la maison est déjà une charge supplémentaire. Pour les parents des enfants vivant avec un TSA , ça en ajoute une couche.

«Récemment, on a eu droit à du marqueur sur le plancher d’Étienne, notre plus jeune, ajoute Félix Saint-Denis. Avec lui, c’est le festival des niaiseries inimaginables.»

Étienne doit évoluer dans une classe TSA. Celles à Casselman, où il réside, sont remplies au maximum de sa capacité. Il doit donc voyager une vingtaine de kilomètres vers l’est pour se rendre à l’école de Saint-Isidore au lieu.

Son frère Olivier bénéficie d’un service d’accompagnement dans une classe ordinaire. En l’absence d’un enseignant disponible dans son village, il doit se rendre à l’école à Embrun, vers l’ouest dans son cas.

Cela engendre des déplacements vers deux écoles dans des directions opposées, selon deux horaires différents, ce qui représente un défi à gérer pour les parents.

Leurs enfants sont des usagers réguliers du Regroupement autisme Prescott-Russell depuis quelques années. En voyant leurs camarades, M. Saint-Denis se rend compte que ses «deux amours» ont un diagnostic léger comparé à d’autres. Durant notre entretien, il ne cesse de louanger l’équipe de l’organisme, qui «aide à la santé mentale des parents».

«Grâce au regroupement, nos enfants peuvent socialiser, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à être différent, ajoute-t-il. C’est aussi un incubateur pour former de jeunes professionnels capables de prendre en charge des personnes vivant avec un TSA.»

L’enseignante de son plus jeune est d’ailleurs une ancienne animatrice du regroupement. Il est également soulagé que le sujet soit moins tabou qu’il y a quelques années.

«Quand on s’en est rendu compte en 2016, on s’est tout de suite posé des questions et on a fait des tests, se rappelle le militant franco-ontarien. Les gens de notre entourage ne voulaient pas qu’on le dise, mais plus on en parle, plus la société est au courant et les services deviennent nombreux.»

Beaucoup de demandes, peu de ressources

Le Regroupement Autisme Prescott-Russell a lancé un cri d’alarme en septembre dernier pour demander à la population de l’aider dans une situation financière difficile.

Grâce à diverses campagnes de financement, le regroupement a su remonter tranquillement la pente. L’octroi de 43 000$ des Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR), pour combler leur déficit financier, a particulièrement été apprécié par le Regroupement.

La présidente de l’organisme, Chantal Lavergne, est tombée en larme lorsque le conseil leur a attribué ce montant «assez élevé», note le président des CUPR, Normand Riopel. Cette aide leur permettra de poursuivre leurs activités régulières jusqu’à la fin de l’année scolaire en juin.

Le regroupement étant reconnu comme organisme depuis deux ans, l’aide gouvernementale est donc plus compliquée à obtenir.

«On ne peut pas se fier à des subventions pour survivre, confie la directrice générale Mélanie Lalande. C’est un trop grand stress de ne pas avoir la certitude de pouvoir offrir nos programmes chaque année.»

La Société franco-ontarienne de l’autisme a failli fermer ses portes plus tôt cet automne. Le Patro d’Ottawa, un service pour adultes francophones avec besoins spéciaux, cessera ses activités à la fin de l’année. Cela met plus de pression sur le Regroupement Autisme Prescott-Russell, établi à Embrun, mais qui ne peut accepter tout le monde en raison du manque de ressources.

«Je reçois même des demandes de familles de Gatineau et de personnes anglophones», ajoute la directrice.

Mme Lalande vit elle-même avec un garçon ayant un TSA.

À l’approche de son passage vers la vie adulte, elle est de plus en plus inquiète par le manque de ressources. Les listes d’attentes sont longues pour les quelques centres qui peuvent en prendre soin. Elle regarde également pour des occasions d’emploi avec le Groupe Convex.

Toutefois, elle est consciente que rien n’est garanti dans l’avenir.

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Photos

La famille Saint-Denis: Olivier, Félix, Étienne et Geneviève Éthier. (Etienne Ranger/Le Droit)

Nathalie Lévesque a dû prendre sa retraite à 53 ans pour prendre soin de son fils Jacob. (Etienne Ranger/Le Droit )

Le propriétaire du traiteur La Bonne Bouffe, Denis Sauvage, accompagné de ses employées Laura Mercure, Cybel Lacasse et Kirsten Funk. (Etienne Ranger/Le Droit )

Félix et Geneviève doivent mener leurs enfants dans deux écoles différentes, à l'extérieur de leur village. (Etienne Ranger/Le Droit )

La directrice générale du Regroupement autisme Prescott-Russell, Mélanie Lalande, est craintive en raison du manque de services pour les personnes vivant d'un TSA. (Courtoisie)

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  • Date de création 8 janvier, 2024
  • Dernière mise à jour 8 janvier, 2024
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