L'atterrissage froid de Jean Emmanuel Yameogo

Le premier choc du jeune ivoirien, Emmanuel Yameogo, était thermique. Le second était d’ordre humain : sa superviseure au travail, à Kapuskasing, n’aimait pas l’entendre parler français. L’étudiant, qui suit un cursus en enjeux humains et sociaux à l’université de Hearst, a pourtant fini par s’attacher à sa communauté d’accueil. Il raconte son expérience. 

_______________________

Mehdi Mehenni 

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

Lorsqu’en décembre 2021, Jean Emmanuel Yameogo avait bouclé sa valise, fait les adieux à sa famille et pris le chemin de l’aéroport, il faisait environ 30° à Guiglo, à 600 km à l’ouest d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. 

L’idée de s’envoler vers de nouveaux horizons, pour poursuivre ses études au Canada, le comblait de joie. 

«Lorsque l’avion entamait son atterrissage à l’aéroport d’Ottawa, et que je voyais la région complètement couverte de neige, ma joie n’était plus tout à fait la même», témoigne-t-il. 

Jean Emmanuel Yameogo venait de voir, pour la première fois dans sa vie, la neige sous ses yeux. Mais ce n’était rien comparé à ce qui l’attendait. Le jeune étudiant faisait seulement escale dans la capitale administrative. 

Lorsque l’avion atterrissait, cette fois-ci, à Timmins, et qu’il prit le bus à destination de Kapuskasing, Jean Emmanuel Yameogo réalisait dans quelle aventure il venait de s’embarquer. 

«Il faisait - 30°. C’était effrayant. Je ne suis pas sorti pendant deux semaines de la maison. J’avais essayé de jouer un peu avec la neige, mais ça a duré trois minutes. C’était impossible pour moi de rester plus longtemps à l’extérieur. J’avais peur de tomber malade», raconte-t-il. 

Le jeune ivoirien a vite réalisé que les vêtements les plus chauds qu’il a pu trouver en Côte d’Ivoire ne pouvaient lui être d’aucun secours dans le Nord ontarien. Au bout de 15 jours, il a réussi à se procurer une veste et des bottes adaptées aux basses températures du Nord ontarien. 

Brimé pour sa langue

La Covid était encore menaçante et Jean Emmanuel Yameogo a dû suivre en ligne son premier semestre d’études. «L’autre raison pour laquelle je ne sortais pas trop de la maison est que je ne connaissais personne», indique-t-il. 

La vie sociale du jeune ivoirien à Kapuskasing a débuté durant l’été 2022. Il venait aussi d’être embauché comme caissier, à temps partiel, dans une épicerie. 

«Lorsque je rencontrais certaines personnes et qu’elles voyaient que je cherchais mes mots en anglais, elles se mettaient à me parler en français. Cela me rassurait et me permettait d’exprimer mes idées correctement. Je me suis rendu compte que ce sont surtout les jeunes qui sont bilingues à Kapuskasing», souligne-t-il. 

Mais Jean Emmanuel Yameogo n’avait pas eu cette chance au travail. Il affirme que son ancienne superviseure n'appréciait pas vraiment l’entendre parler français avec les clients notamment. 

«Lorsqu’on me mettait dans son équipe, je n'avais même pas envie d'aller travailler, parce que je savais que ça allait être difficile. Je sentais qu’elle ne m’aimait pas», se souvient-il. 

Son anglais étant de niveau intermédiaire, il affirme qu’il n’avait presque jamais la chance de s’expliquer devant son ancienne superviseure. 

«Lorsqu’un client souhaitait retourner un produit, il fallait qu'un gestionnaire fasse entrer son code pour supprimer la transaction du système. Je faisais alors appel à la superviseure en question. À chaque fois, sans essayer de comprendre de quoi il s’agissait, elle commençait à me sermonner : qu’est-ce qui se passe avec toi, qu’est-ce que tu as fait encore… ? Les clients étaient choqués par son comportement», assure-t-il.

Le meilleur est à venir 

En janvier 2023, Jean Emmanuel Yameogo a eu la chance de trouver un meilleur emploi au Centre régional de loisirs culturels de Kapuskasing, où il occupe actuellement le poste d’aide-concierge. 

Entretemps, il a réussi à se faire beaucoup d’ami.e.s. Il se sent moins seul, aujourd’hui. «Lorsque les cours sont redevenus en présentiel, nous avons commencé à nous rencontrer les uns les autres, à faire connaissance et à organiser des sorties. Les anciens étudiants en provenance d’Afrique m’ont aussi aidé à m’intégrer. J’ai plein d’ami.e.s franco-ontariens, maintenant», fait-il savoir. 

Jean Emmanuel Yameogo termine ses études à l’automne 2024. Une question que son entourage lui pose souvent : comptes-tu rester à Kapuskasing ? 

«Cela dépendra de si je trouve un bon poste de travail qui cadre avec mes études. Mais idéalement, je souhaite rester vivre à Kapuskasing, parce que la population locale est aimable avec moi. À chaque fois que j’avais besoin d’aide, les gens étaient là pour moi », dit-il.

Jean Emmanuel Yameogo ne s’était pas arrêté sur la mauvaise expérience qu’il avait eue avec son ancienne superviseure. Aujourd’hui, il réalise qu’ «une personne ne peut pas représenter toute une communauté». Aussi, qu’il a eu raison de croire aux belles choses qui l’attendaient. 

 

-30-

 

Jean Emmanuel Yameogo.jpg

Jean Emmanuel Yameogo, étudiant à l’Université de Hearst — Photo : Courtoisie 

  • Nombre de fichiers 2
  • Date de création 11 février, 2024
  • Dernière mise à jour 11 février, 2024
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article