L’aquaculture, une solution miracle?

L’agriculture ne se fait pas toujours dans la terre: en effet, on oublie souvent de considérer l’aquaculture dans l’ensemble du travail agricole. Pourtant, l’aquaculture est un domaine en pleine expansion en Ontario et de plus en plus de cultivateurs s’intéressent à ses nombreuses facettes.

 

Pascale de Montigny Gauthier

IJL – Réseau.Presse – Agricom

L’aquaculture, qu’est-ce que ça mange en hiver?

Ce n’est pas toujours par la pêche que l’on met du poisson, ou même des fruits de mer dans nos assiettes. Les poissons issus de l’aquaculture ont d’ailleurs été davantage «récoltés» que pêchés. Dans un milieu naturel, que ce soit dans les Grands Lacs ou sur des rivières, il est possible de créer à l’aide de murets ou de filets des bassins à même les eaux naturelles. Dans ces bassins artificiels, on fera grandir des bébés poissons tout en les laissant dans leur milieu naturel.

Ce type de procédé est parfois assez respectueux de l’environnement, puisque les poissons sont souvent indigènes et que l’écosystème est respecté. Il arrive aussi que même en implantant un poisson qu’on ne trouve pas à l’état sauvage, le geste puisse être bénéfique pour le plan d’eau, car certains types de poissons tiennent le rôle de filtreurs et assainissent les eaux. On trouve souvent ce genre de procédé dans les embouchures de rivières, où les déversements des eaux usées des terres agricoles se rejoignent. Mais plus souvent, l’aquaculture en plans d’eau naturels est controversée, parce qu’elle ne respecte pas toujours les écosystèmes.

Les systèmes d’aquaculture

Le développement de l’aquaculture récente se fait en général dans une perspective plus axée sur la protection de l’environnement et des écosystèmes, parce qu’il s’agit d’enjeux qu’il est difficile d’ignorer de nos jours. Renée-Claude Goulet, conseillère scientifique au Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada voit plutôt d’un bon oeil l’essor actuel de l’aquaculture. « C’est une industrie qui se développe dans une ère plus consciente de l’impact environnemental de notre production alimentaire.»

Même si l’on constate l’émergence d’une aquaculture qui implique des méthodes et des technologies contemporaines,  Renée-Claude Goulet rappelle toutefois que le principe existe depuis longtemps. On a trouvé des preuves archéologiques démontrant que les Premières nations entretenaient ce que l’on appelle des jardins de palourdes. Ces Autochtones créaient des murets qui retenaient l’eau lors des marées montantes et qui retenaient les palourdes, dont ils assuraient ensuite la croissance jusqu’à leur cueillette. Il serait important selon elle de tenir compte du savoir-faire des Premières nations et de s’inspirer de leurs méthodes.

En Chine, par ailleurs, on retrouve des plantations de riz en aquaculture depuis de nombreux siècles, comme se plaît à nous le rappeler Frederick Miner, anciennement fondateur et propriétaire de la Miner AquaGreen Foods, à Curran en Ontario. «En Chine, ça fait des millénaires que ça existe, l’aquaculture!»

Ces jardins de palourdes ou ces rizières flottantes, qu’on appelle aussi les champs sur radeaux, et dont l’évocation amène des images plutôt bucoliques ne se faisaient pas à l’échelle industrielle, bien entendu. Mais ils reposaient déjà sur une compréhension et un respect des écosystèmes. L’aquaculture moderne peut et doit être durable, mais les méthodes choisies sont importantes. Plusieurs pratiques se font et toutes ne se valent pas, en termes de durabilité.

Deux types d’aquaculture

Comme Renée-Claude Goulet nous l’explique, il faut déjà partager l’aquaculture en deux catégories. Il existe l’aquaculture effectuée dans un plan d’eau naturel, puis l’aquaculture en système terre. Chacune comporte des avantages et des inconvénients, mais elles se complètent bien.

Dans l’aquaculture en cours d’eau naturel, on pense d’emblée aux poissons et on oublie souvent que le produit le plus facile à cultiver est en fait l’algue, et plus particulièrement le varech. Comme l’algue agit aussi en tant que filtreur, sa culture sied bien aux embouchures des rivières. Et en zone agricole, elle contribue à réduire la pollution provenant des ruissellements des terres avoisinantes.

L’algue absorbe pour sa croissance de l’azote, du potassium et du phosphore. Et ces éléments figurent justement dans les engrais rejetés par les fermes. Mais comme le varech n’en absorbe pas plus que ce dont il a besoin, il ne deviendra pas impropre à la consommation en raison d’une trop grande rétention de polluants, comme c’est le cas pour certains poissons. L’algue demeure donc sécuritaire lorsqu’on la consomme.

En plus, le varech «empêche ce qu’on appelle les bloom algual, parce qu’il absorbe les nutriments qui autrement nourriraient le phytoplancton, le type d’algue qui cause les problèmes», ajoute Mme Goulet. Les blooms résultent d’une prolifération d’algues trop importante et qui vont dégager trop de toxines dans l’eau. C’est un déséquilibre dans l’écosystème. Et comme le varech fait concurrence au phytoplancton, mais n’a pas ses effets délétères, sa culture devient même un atout.

Mais il reste à développer le marché des algues au Canada. Souvent encore, les algues sont destinées à s’intégrer dans une diète asiatique. Mais ce sont des produits bien d’ici, nutritifs et qui mériteraient d’être mieux valorisés.

Des méthodes à revoir

L’aquaculture de poissons dans les cours d’eau naturels, quant à elle, reste controversée. Le problème majeur avec cette méthode demeure sans doute les grandes populations de poissons dans un espace restreint, ce qui entraîne plus de risque de contamination, infectieuse ou bactérienne. La pandémie nous a bien introduit à ces notions: quand il y a de nombreux individus dans un espace limité, la contamination se répand comme une traînée de poudre. Et dans le cas qui nous concerne, elle va s’étendre sur les populations sauvages qui vivent dans ces eaux et met en péril tout le cours d’eau.

Le système terre

Par contre, il existe l’aquaculture en système terre, c’est-à-dire dans des bassins artificiels, intérieurs ou extérieurs et qui servent exclusivement à la culture d’une espèce. Le tilapia par exemple se prête très bien à ce système. C’est ce poisson que Frederick Miner élevait, «un beau poisson social», avance-t-il. Parce que quand des visiteurs venaient voir ses installations, ils étaient toujours surpris de voir les tilapias en grand nombre s’approcher pour jeter un oeil sur ces intrus dans leur demeure.

Frederick Miner, qui a essayé l’élevage de quelques poissons estime que le tilapia est «le meilleur poisson que vous pouvez avoir, parce qu’il est plus résistant». Que l’on subisse des difficultés techniques qui entraînent un changement dans le PH de l’eau, par exemple, ou que la température de l’eau change subitement, le tilapia saura résister.

D’ailleurs, dans les élevages de tilapia, on note de plus en plus d’adeptes de l’aquaponie, c’est-à-dire un système qui fonctionne en symbiose et qui a l’avantage de nous fournir deux cultures en même temps. On trouve des plantes en hydroponie: la verdure comme la laitue, le bok choy ou les fines herbes se prêtent très bien à cette méthode. Mais on ajoute une dimension aquatique avec les poissons qui nourrissent les plantes. Et ce système fermé est autosuffisant. Expliqué simplement, les déjections des poissons vont gorger l’eau des nutriments dont ont besoin les plantes pour leur croissance. Et celles-ci vont filtrer l’eau et faire en sorte qu’on y trouve suffisamment d’oxygène pour que puissent respirer les poissons.

Projets futurs

Autant Frederick Miner que Renée-Claude Goulet croient que l’aquaculture et plus particulièrement l’aquaponie sont des méthodes d’avenir. Avec la demande alimentaire qui ne va pas vraiment faiblir, la surpêche qu’on ne peut plus alourdir encore davantage et les enjeux de pollution liés au transport de notre nourriture, Renée-Claude Goulet a vraiment foi en ces méthodes qui gagnent en popularité. «Est-ce que c’est une solution miracle? Non, mais je pense que c’est quelque chose qui s’insère bien dans notre système agroalimentaire, que c’est une belle opportunité de produire de la nourriture» en Ontario.

Il faut des connaissances, du soutien et un peu d’investissement au départ pour se lancer dans ce genre projet, évidemment, mais une fois les choses démarrées, il semble que le fonctionnement «est très simple», comme le soutient Frederick Miner. Et les avantages sont nombreux de l’avis de Renée-Claude Goulet. «Il y a beaucoup de potentiel pour minimiser l’impact environnemental, le transport de la marchandise, car ça peut être très local. On pense aussi aux conditions dans lesquelles les gens travaillent.».

Alors il ne suffit plus que des passionnés décident de s’informer, de s’équiper et ces petits (ou plus gros) élevages pourraient vraiment participer à une offre alimentaire locale, saine et durable en Ontario.

 

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Légende photo : Un homme tient un poisson dans ses mains.

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  • Date de création 13 juillet, 2023
  • Dernière mise à jour 13 juillet, 2023
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