L'amour écrit à la main : le témoignage d'une belle romance pour la Saint-Valentin

Un amour naissant est comme un rayon de soleil qui perce les nuages. À l’occasion de la Saint-Valentin, la conteuse Anne Godin et l’archiviste François LeBlanc ont donné lecture d’extraits d’une correspondance amoureuse d’un couple de Rogersville.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

Au Musée acadien de l’Université de Moncton, Anne Godin et François LeBlanc font face à leur public. Chacun tient quelques pages entre ses mains. La voix d’Anne portera les mots de Thérèse, et celle de François les réponses de Marcel. La première lettre est datée du 9 août 1945. Ce jour-là, la Seconde Guerre mondiale jouait son acte final sur le front oriental avec le lâcher d’une bombe atomique sur Nagasaki, au Japon. Trois jours après Hiroshima. Au même moment, à Trois-Rivières, une jeune femme amoureuse couchait son cœur sur le papier. Au soldat qui occupait ses pensées, elle écrivait ces mots :

« Marcel, j’espère que tu es toujours bien et que tu ne travailles pas trop dur non plus, et je veux que tu manges plus que ça si tu ne veux pas mourir de faim, mon chéri. Je te dis, mon amour, que je ne suis pas capable de m’habituer à l’ennui car à chaque fois que je t’écris je te dis que j’ai le cœur bien gros, surtout ce soir car en allant à Rogersville je perds une grosse chance de te voir. (...) Je savais que c'était trop beau et bon d’être ensemble pour que cela arrive. Je crois qu’on est fait pour être séparés tout le temps de notre vie. Mais on va faire notre gros possible pour se revoir. Donc bonsoir et de beaux rêves, mon amour. À bientôt si Dieu le veut. Mes plus tendres baisers. Celle qui t’aime et qui s’ennuie. Thérèse. »

Tout a commencé en 1944 lorsque Marcel Chiasson, qui venait de s’engager pour participer à l’effort de guerre comme parachutiste, a rencontré par hasard Thérèse Richard en effectuant sa « permission d’adieu » à Rogersville. L’œil de la jeune femme, née au Québec dans une famille acadienne originaire de ce même village, rendait visite à sa parenté à l’occasion de son dix-huitième anniversaire. Ce voyage lui avait été offert par sa tante Ida. C’est sur le quai de la gare que jaillit la première étincelle : avec son béret rouge et ses bottes brunes, le sémillant soldat avait attiré le regard de Thérèse.

Deux jours plus tard, lors d’une veillée organisée à l’école, Thérèse apprit que le départ de Marcel pour rejoindre son unité en Angleterre était imminent. Elle invoqua alors un prétexte à sa tante pour abréger son séjour dans le comté de Kent et rentrer au Québec, prenant ainsi le même train que Marcel ! Dans la locomotive qui les emmenait vers leur destin, ils se parlèrent toute la nuit, s’échangèrent leurs adresses au petit matin. Ainsi débuta leur vaste correspondance.

Avoir les mots à cœur

« C’est à travers les lettres qu’on voit que leur amour prend naissance, remarque Anne Godin. Au fur et à mesure, on constate que « mon cher ami » devient « mon chéri », « mon amour » et que la fleur du sentiment amoureux grandit. »

En raison des contraintes de la guerre, Marcel n’a pu conserver les lettres que Thérèse lui écrivit alors qu’il risquait sa vie sur le front, aux Pays-Bas puis en Allemagne. L’ensemble de la correspondance, qui s’étale sur trois années, contient cependant plus de 500 lettres qui représentent environ 1500 pages. Pour le Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson, c’est un véritable trésor.

François LeBlanc observe que la qualité des écrits ne fait que croître au fil des mois. Il a confié au public que son propre grand-père n’était guère bavard. De fait, la prose de Marcel Chiasson lui apparaît singulièrement étonnante.

« Je n’en reviens pas de voir que Marcel a écrit de longues lettres. Un homme, à cette époque-là, avait vraiment les mots à cœur pour poursuivre sa relation naissante. »

Retrouver le goût d’écrire à la main

À l’heure de la communication instantanée qui nous fait parvenir des messages qui, tels des comètes, traversent notre existence en ne laissant que des fragments de poussière au fond de notre mémoire, le témoignage que nous livrent Thérèse et Marcel nous invite à réfléchir.

« J’ose affirmer que, de nos jours, il est plutôt rare de lire de telles grandes déclarations des sentiments du cœur », déclare Michel Belliveau qui assistait à la lecture.

Anne Godin se désole de l’abandon de la correspondance amoureuse dans le monde contemporain. L’ancienne journaliste, qui a endossé le personnage de la Conteuse Bleue, reconnaît qu’elle aimerait que les amoureux retrouvent ces pratiques d’autrefois qui sont tellement romantiques ! Comme le faisaient les anciens, ne devrions-nous prendre le temps de nous écrire à la main, en répandant sur nos lettres une goutte de notre parfum ?

Le couple s’est marié en 1947 et a eu sept enfants. Marcel Chiasson est mort relativement jeune, à l’âge de 55 ans. Thérèse Richard ne s’est jamais remariée. Elle avait gardé toutes ses lettres dans une vieille valise. Leur fils, Jacques Chiasson, les a compilées du vivant de sa mère pour raconter leur histoire d’amour dans un livre publié aux Éditions de la Francophonie : « Lettres d’amour d’un soldat acadien ».

Devenue octogénaire, Thérèse a réalisé un rêve : sauter en parachute comme celui qui fut son grand amour, son seul amour. Un peu plus près des nuages avant de le rejoindre, un jour, au milieu des étoiles.

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Photos

Titre : Lettres couverture (pour la une)
Légende : François LeBlanc et Anne Godin.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Lecture
Légende : François LeBlanc lit une lettre de Marcel Chiasson et s’est dit surpris par la longueur et la qualité des textes écrits par un homme de cette époque.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Thérèse et Marcel
Légende : Thérèse Richard et Marcel Chiasson. Une brève rencontre qui a donné naissance à un grand amour.
Crédit : Gracieuseté.

Titre : Thérèse para
Légende : À 83 ans, Thérèse Richard a effectué son premier saut en parachute en mémoire de l’homme de sa vie.
Crédit : Gracieuseté.

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  • Date de création 22 février, 2023
  • Dernière mise à jour 22 février, 2023
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