L'adoption du 15 août comme fête nationale de l'Acadie lors de la convention de Memramcook

C’est en 1881 qu’eut lieu, au Collège Saint-Joseph à Memramcook, la première convention nationale acadienne. La portée historique de cet événement ne peut être ignorée. C’est au cours de ce grand rassemblement des élites acadiennes de l’époque que l’Assomption fut choisie pour être la fête nationale de l’Acadie.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

 

En 1864, l’édification par le père Camille Lefebvre du Collège Saint-Joseph, que l’historien Maurice Basque a qualifié de « laboratoire par excellence de la Renaissance acadienne », fut la pierre angulaire de ce renouveau. Trois ans plus tard, la fondation du Moniteur Acadien, première publication acadienne et plus ancien journal francophone à l’extérieur du Québec, donnera une voix supplémentaire aux chefs de file de ce mouvement.

Cette élite clérico-nationaliste est composée de prêtres et de religieuses, de politiciens et de journalistes, d’institutrices et d’instituteurs, de médecins, d’avocats et d’hommes d’affaires. Pour employer un terme très en vogue actuellement, ils étaient les influenceurs de l’époque. Venus de tous les coins de l’Acadie, cinq mille représentants se sont rassemblés à Memramcook. Parmi ceux-ci, cent délégués prirent part aux délibérations de la convention dont le premier point, de loin le plus important, portait sur le choix d’une fête nationale.

Les discours prononcés les 20 et 21 juillet 1881 ont été transcrits et conservés. Il y a de quoi s’émerveiller devant la qualité du français employé par d’excellents orateurs. Les hommes et les femmes qui, de nos jours, brillent par leurs qualités oratoires, se comptent dorénavant sur les doigts d’une main. Vainement chercherait-on, à l’Assemblée législative comme à la Chambre des communes, un député sachant s’exprimer avec la belle et fluide éloquence de Pascal Poirier et de Marcel-François Richard.

Le lecteur contemporain peut être parfois dérouté par le vocabulaire employé couramment à la fin du dix-neuvième siècle. Dans les discours des conventions, les termes « Canadiens » ou « Canadiens-Français » désigne habituellement les habitants de la province du Québec. À l’heure actuelle, on parlerait de Québécois. Les francophones des Provinces maritimes sont, pour leur part, appelés « Acadiens » voire même « Acadiens-Français ». Le terme « Canada » sert surtout à désigner le Québec, tandis que pour parler du pays dans son intégralité, on a plutôt recours aux mots « Dominion » ou « Confédération ». Enfin, le terme « sauvage » était communément utilisé à l’époque pour désigner les Amérindiens, sans qu’y soit forcément associée une connotation péjorative.

La fête nationale d’un peuple figure au premier rang des symboles qui exaltent son sentiment patriotique. Rapidement, la convention s’est divisée sur ce point en deux factions antagonistes. D’un côté, les partisans de la Saint-Jean-Baptiste et d’un ralliement avec les Canadiens-Français, et de l’autre, ceux qui militaient en faveur de l’affirmation de la spécificité des Acadiens à travers l’Assomption de la Vierge Marie.

Memramcook pour la Saint-Jean-Baptiste

Parmi les premiers, se trouvaient surtout d’anciens élèves du père Camille Lefebvre, lequel s'est exprimé en faveur d’une fête nationale commune avec les Canadiens-Français dont il était lui-même issu. Pour soutenir cette date, l’honorable Joseph-Octave Arsenault, député à l’Assemblée législative de Charlottetown, avançait l’argument selon lequel, dans une société essentiellement agraire, le mois d’août se prêtait mal à un jour férié.

Camille Lefebvre ne faisait pas mystère de son origine québécoise, mais se disait Acadien par le cœur et les sentiments. « Dix-sept ans de sacrifices et de dévouement me donnent le droit d’affirmer la chose sans crainte d’être contredit. Tous mes efforts ont eu pour but le progrès intellectuel, moral et matériel de ceux auxquels j’ai consacré, sans arrière-pensée, la plus belle partie de mon existence », lança-t-il à la tribune du Collège qu’il avait fondé.

Avec les accents de celui qui sait prononcer des sermons du haut de sa chaire, mais aussi la verve des avocats qui plaident au sein des tribunaux, il a enjoint les délégués d’adopter la Saint-Jean-Baptiste à titre de fête nationale des Acadiens. « Pourquoi une fête différente de la leur, puisque vous avez une commune origine, la France ? N’est-ce pas le moyen d’être fort et puissant ? Car, depuis l’océan Pacifique jusqu’à l’Atlantique, la race française ne doit faire qu’un seul homme. (…) Elle ne doit avoir qu’un seul drapeau, qu’une seule devise, l’union fait la force, un seul but, défendre, selon l’occasion, ses droits menacés. »

Le révérend père Philéas-Frédéric Bourgeois, natif de Pré-d’en-Haut, abondait dans le même sens. N’hésitant pas à recourir aux raccourcis et aux amalgames, il avançait que la Saint-Jean-Baptiste était une vieille fête acadienne, puisque c’était une vieille fête française. Nonobstant, son discours ne manquait pas d’allure. La problématique du drapeau, qui n’était pas à l’ordre du jour de la convention Memramcook mais fut réglée trois ans plus tard à celle de Miscouche, s’y dessinait déjà en filigrane.

« Ne serait-ce pas beau de voir ici, en deçà de l’Atlantique, l’ancienne France de Henri IV, qu’elle se compose de Canadiens, d’Acadiens ou de Louisianais, se rassembler, sous un seul drapeau, et resserrer ces liens d’origine et de sang qui ne furent pas souillés par le souffle des révolutions, mais qui furent dispersés par les malheurs de nos colonies en Amérique ? »

L’Assomption, étoile et phare de l’Acadie

Le roi Henri IV était le père de Louis XIII. L’Acadie fut fondée en 1604 durant le règne du premier, mais sa colonisation n’a véritablement débuté que sous celui du second. Or, Louis XIII avait consacré sa personne, sa couronne, son royaume et son peuple à la Vierge Marie. Cet ensemble de promesses et d’actes de dévotion, qui commença en 1632, culmina le 10 février 1638. Par cet acte, l’Assomption devenait la fête nationale du royaume de France.

« Entre toutes les fêtes de la Sainte Vierge, incontestablement c’est l’antique Assomption, la fête nationale de nos aïeux, qui nous convient le mieux sous tous les rapports comme fête patronale et nationale », clama le révérend Stanislas-Joseph Doucet.

Le révérend Marcel-François Richard, futur « père » du drapeau acadien et promoteur de l’Ave Maris Stella comme hymne national, était peut-être, sans le savoir, ce que l’on appellerait aujourd’hui un « animal politique ». Certains pourrait voir en lui un diplomate. Quoi qu’il en soit, le début de son exposé des motifs ne saurait laisser indifférent celles et ceux qui, à l’heure actuelle, nous gouvernent ou prétendent jouer un rôle dans les affaires publiques. Qu’on en juge.

« La politique que je me propose de suivre dans cette discussion est tout à la fois libérale et conservatrice. Je suivrai une politique libérale en reconnaissant les droits des nationalités qui composent notre société ; et conservatrice en défendant et en faisant respecter nos droits comme peuple distinct, ayant une histoire à part et une destinée à remplir. »

Évoquant la Saint-Jean-Baptiste en France et la tradition des feux de la Saint-Jean, qui correspond à peu près au solstice d’été, il y voyait un usage païen auquel les évêques français, incapables de le faire disparaître, avaient donné un nom chrétien pour le christianiser. Il ne croyait pas davantage possible que le peuple canadien, c’est-à-dire québécois, puisse tenir rigueur aux Acadiens de se choisir des symboles personnels pour affirmer leur identité et, ainsi, suivre l’exemple qu’ils avaient eux-mêmes donné.

« Comment pourrait-il condamner chez les Acadiens ce qui a fait sa force et procuré son indépendance ? Apprenons du peuple canadien une leçon importante pour notre conservation comme peuple et préservons à tout prix notre caractère national d’Acadiens-Français », dit alors le prêtre.

Enfin, Pascal Poirier, qui ne voulait pas s’exprimer mais le fit à l’insistance des délégués, monta à son tour à la tribune, affirmant y « prendre ses responsabilités ». En préambule, il déclara que les deux dates lui convenaient. Toutefois, le natif de Shediac, futur sénateur, croyait lui aussi qu’en optant pour la Saint-Jean-Baptiste, l’identité acadienne risquait d’être diluée dans la nation québécoise, quand bien même ne se fût-il agi que d’une question de perception vue de l’extérieur.

« Choisissons-nous une fête qui nous soit propre, Messieurs. Nous avons une histoire à nous ; (…) ayons pour nous seuls un jour national (…) un jour où nous oserons regarder l’avenir en face parce que nous serons ensemble, unis, nous tenant par la main ; mais encore une fois, que ce jour, cette fête, si vous préférez, soit propre, soit particulier au peuple acadien. (…) Nous prenons pour guide et pour modèle la Très Sainte Vierge, et nous choisissons son Assomption pour notre fête nationale. Ce sera notre point de départ, notre signe de ralliement, notre emblème, notre mot d’ordre : nous vaincrons sous son drapeau. »

Le débat avait pris une certaine ampleur et les échanges, bien qu’empreints de cette politesse qui fait désormais défaut à certaines assemblées délibérantes, étaient vifs. À l’issue du vote, l’esprit de concorde reprit ses droits, et la minorité se rallia au choix de la majorité. La proclamation des résultats déclencha une salve d’applaudissements et, dans un souffle patriotique, tous les délégués les ratifièrent unanimement.

Craignant, à tort ou à raison, une réaction négative des Canadiens (Québécois), Pascal Poirier se chargea par la suite de justifier auprès d’eux le choix de la fête de l’Assomption. Il lui semblait impératif de préserver ce que, présentement, on désigne sous le vocable de « relation Acadie-Québec ».

« En adoptant une fête différente de la leur, nous avons suivi leur exemple. Ce n’est pas par antipathie pour la France qu’ils ont choisi S. Jean-Baptiste pour patron national ; mais parce qu’ils ont une histoire et des traditions à eux (…). Ce qu’ils ont fait, nos situations étant à peu près les mêmes, nous le faisons, voilà tout. »

 

 

 

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Photo

 

Titre : Monument-Lefebvre

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 10 août, 2022
  • Dernière mise à jour 10 août, 2022
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