La santé en français nécessite plus qu’une traduction

De l’avis d’un étudiant et de la responsable, le programme Voie vers la médecine en français de l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO) porte déjà ses fruits. Les étudiants comprennent l’importance de la langue maternelle en santé sur le terrain et ils ont la possibilité d’expliquer l’enjeu à leurs confrères et consœurs.

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Marc Dumont

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

«La médecine, c’est une langue unique», lance l’étudiant de 2e année à l’Université de l’École de médecine du Nord de l’Ontario (EMNO), Félix Lavigne. Il suit le programme Voie vers la médecine en français de l’École. Il indique ne pas seulement y apprendre les termes médicaux en français, ils apprennent aussi à utiliser un langage que les patients peuvent plus facilement comprendre.

Félix Lavigne a été marqué par une situation qui lui a fait comprendre l’importance de laisser un.e patient.e communiquer dans sa langue. Il a vu une patiente «repartie seule, le dos rond lourd de sa misère, sans avoir vu le médecin à l’urgence».

«On l’avait admise dans la salle d’urgence après plusieurs heures d’attente. Elle m’avait donné son histoire en français : c’était sa seule langue. J’ai parlé au médecin de l’urgence de son problème de santé. Il m’avait bien écouté, mais il n’avait pas eu l’occasion de voir la souffrance et les sentiments de vulnérabilité et d’impuissance de la cliente. Et il était allé s’occuper des autres cas, quitte à y revenir plus tard, raconte M. Lavigne. C’était un de ces jours de salle d’urgence engorgée. Tout s’était compliqué durant la journée et elle est repartie!»

En ne racontant que les faits sur l’état du patient, le médecin n’a pas pu voir les émotions qui venaient avec son mal. «Ça m’a fait réaliser jusqu’à quel point c’est important que les médecins voient comment le client se sent. Ça peut faire toute la différence», dit-il.

Les émotions se traduisent mal

Devant un médecin anglophone, un patient francophone peut demander un interprète, mais ce n’est pas la solution parfaite. Il y a peu de garanties que la personne qui traduit l’histoire transmette l’intensité des émotions du malade au médecin. Avoir une troisième personne au courant de ses problèmes peut aussi être gênant ou stressant.

«Aujourd’hui, en médecine, on essaie d’adopter l’attitude suivante : “Je veux comprendre comment tu te sens et trouver avec toi un plan pour te soigner”, insiste Félix Lavigne

Bâtir une relation de confiance dès un premier entretien est difficile. «En santé, on a plein de services et de ressources, mais ça peut faire toute la différence si on manque le côté émotionnel.»

Même si les données sur la population démontrent qu’il y a de moins en moins d’unilingues francophones dans le Nord, Félix Lavigne constate qu’ils sont remplacés par des immigrants qui, pour certains, ne parlent pas anglais. 

Tracer la Voie

Ce n’est pas d’hier que les francophones dans les soins de santé ont été témoins de situations comme celle décrite par Félix Lavigne. Mais, les choses sont en train de changer.

L’EMNO, a le mandat de répondre aux besoins de la population du Nord de l’Ontario. Elle a donc adapté son offre de cours pour former des médecins capables de répondre aux besoins des francophones. 

«Depuis les débuts, l’EMNO offrait la possibilité aux apprenants de faire des stages en français, moyennant du travail supplémentaire, dit-elle. Avec les années, il y a des discussions plus poussées et les apprenants provenant de la voie d’admission francophone participent maintenant à Voie vers la médecine en français intégrée au cursus», explique Dre Nicole Ranger, responsable du programme Voie vers la médecine en français.

Dix-neuf apprenants ont participé à l’année pilote du projet en 2022. En 2023, ils étaient 15. En 2024, tous les apprenants francophones seront automatiquement inscrits à Voie vers la médecine en français, pas seulement ceux et celles de la voie d’admission francophone. 

«Nous nous préparons maintenant à développer les modules du programme pour le 2e cycle», précise Dre Ranger.

Dre Nicole Ranger est elle-même une Franco-Ontarienne. Elle a donc à cœur les services en français en santé. «Mon engagement [à l’EMNO] est de m’assurer que j’entreprends tout ce que je peux pour former des médecins avec une meilleure confiance pour prodiguer une médecine en français.»

Voie vers la médecine en français influence aussi les options de stages. Les  étudiants peuvent faire des stages dans des milieux ruraux ou éloignés et desservir des francophones qui ont rarement l’occasion de rencontrer un soignant francophone. 

Il y a aussi un effet à l’intérieur de l’EMNO. Les étudiants qui font partie de Voie vers la médecine en français interagissent avec les autres étudiants. «Il y a là une occasion de leadeurship pour sensibiliser les autres apprenants aux réalités culturelles», dit Dre Ranger. 

«Ce qui est satisfaisant est qu’il se passe des choses qui vont au-delà de mon engagement personnel, note-t-elle. Je constate que des apprenants de l’EMNO accordent beaucoup d’importance à l’accès des services de santé en français.»

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Félix Lavigne — Photo : Archives

 

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Dre Nicole Ranger — Photo : Courtoisie

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  • Date de création 24 février, 2024
  • Dernière mise à jour 24 février, 2024
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