La santé déclinante de l’Ontario français vue par un résident québécois

Franco-Ontarien de naissance, l’auteur Robert Major vit depuis 50 ans en Outaouais. Il en avait assez de se battre chaque jour pour sa langue. Se sent-il plus Ontarien ou Québécois? Cette quête d’identité l’a mené à l’écriture de ce nouvel essai, qui ne donne pas cher de la peau des Franco-Ontariens.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

«Depuis que j’ai quitté le Liban pour m’installer en France, que de fois m’a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais «plutôt français» ou «plutôt libanais». Je réponds invariablement: «L’un et l’autre!»»

Ce sentiment d’écartèlement identitaire que racontait Amine Maalouf dans son essai Les identités meurtrières il y a 25 ans est revenu à l’esprit de Robert Major. Le natif de New Liskeard dans le Témiskaming a habité la majorité de sa vie en territoire québécois, tout en travaillant à Ottawa. Peut-il parler au nom de l’Ontario français? C’est ce qu’il essaie dans la publication de son huitième livre Identité, appartenances.

Coiffé du béret noir, allure typique de l’écrivain de son époque, Robert Major se fait remarquer au premier regard. On le rencontre au Café-Bistro Le Social à Hull pour discuter de son premier livre qui aborde de front l’Ontario français. Manuscrit à l’allure autobiographique, il ne cache pas que les réflexions menées lors de l’écriture ont été assez douloureuses.

Son enfance, qui débute en 1946, est typique d’un Franco-ontarien qui vit en milieu minoritaire. Ses parents, très engagés pour la francophonie, portent la langue comme une cause, une défense, quasiment comme une guerre. Dans la communauté, la majorité écrasante anglophone se fait sentir.

Ce vocabulaire presque militaire pour décrire l’engagement des Franco-ontariens de son époque envers la langue disparaît de plus en plus. Cette guerre s’est transformée en discours, qui apporte rarement des changements.

«Aujourd’hui, on parle de bilinguisme et d’aménagement linguistique, qui sont des termes plus neutres, souligne-t-il. Mais dans la vie, l’Ontario français n’est plus là. Chaque jour, il devient plus menacé, fragile, minoritaire. C’est en raison de la démographie qui est d’un pouvoir énorme.»

UOF: un fiasco

Robert Major a passé 45 ans de sa vie à l’Université d’Ottawa (UO). Après ses quatre années d’étude, il évolue au sein du Département des lettres françaises comme professeur et directeur, puis vice-recteur aux études. Il a également été président du comité éditorial des Presses de l’UO pendant plusieurs années. Toutes ses années d’enseignement en français en Ontario représentent pour lui son effort à la promotion de la langue.

Il reste qu’il vit au Québec, ce qui pourrait faire sourciller plusieurs lecteurs envers ses critiques, de l’Université de l’Ontario français (UOF) par exemple.

«Pour moi, c’est une grosse erreur stratégique. Les gens qui en ont fait la promotion ont rendu un mauvais service envers l’Ontario français et ont fait preuve de beaucoup d’ignorance.»

À son avis, l’université de l’Ontario français existait déjà, au cœur d’Ottawa. En 2022, l’UOF n’accueille que quatre étudiants diplômés du secondaire ontarien, comparativement à près de 1100 pour l’UO.

«On a ignoré ce que l’UO faisait déjà, poursuit-il. On a investi énormément d’argent pour un énorme fiasco. On recrute des étudiants francophones à l’international, mais ce n’était pas ça le but. L’objectif était d’accommoder la communauté franco-ontarienne. Pour une petite population comme l’Ontario français, les erreurs coûtent très cher. Elle ne pourra pas rebondir.»

Bien qu’il voit les critiques fuser de toute part, notamment des acteurs de l’UOF, ces déclarations étaient nécessaires pour engager une réflexion.

«Certains vont dire, «il peut bien parler, il vit au Québec», «il nous tire dans les pattes». D’autres vont me dire que je suis privilégié d’avoir vécu en français en Ontario.»

Identités ambiguës

«Est-ce qu’un immigrant qui arrive ici, mais qui décide de vivre en français devient Franco-ontarien?», se questionne l’auteur qui se situe mal dans sa propre identité.

Les appartenances et identités sont délicates, dangereuses, mais essentielles, écrit l’amoureux de la langue française.

«Malheureusement, les identités servent souvent de cris de ralliement pour aller à la guerre. Regardons ce qui se passe actuellement en Ukraine et en Israël. En même temps, on est enracinés quelque part. C’est ambigu, comme toute réalité humaine, mais il ne faut pas que ce soit un drapeau pour aller à la guerre. Je trouve ça important qu’il y ait ce sentiment d’enracinement et de transmission entre les générations.»

Cette identité franco-ontarienne, elle, disparaît à vue d’œil, observe-t-il. Le groupe s’est dissout, et les gouvernements en sont conscients.

«Il y a encore des gens admirables qui luttent pour la promotion du français, mais ils sont peu nombreux. Les chefs sont là, mais les troupes ne suivent pas. C’est difficile d’être optimiste pour la suite.»

Est-ce qu’il y aura des réceptions positives à ces propos marqués d’un certain pessimisme? Il paraît qu’il en revient à la responsabilité du journaliste, dit l’auteur…

En se basant sur son parcours de Franco-ontarien, Robert Major étaye les propos de nombreux sociologues et auteurs pour décrire la situation du français dans la province, et même au pays. Un essai qui critique, qui questionne, et qui ne laissera aucun Franco-ontarien indifférent.

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Photos

Robert Major publie son nouvel essai «Identités, appartenances». (Etienne Ranger)

Le livre raconte l'enfance de l'auteur dès ses débuts, où il baignait dans la majorité anglophone. (Etienne Ranger)

Pour Robert Major, l'université francophone de l'Ontario existait déjà, soit à l'Université d'Ottawa. (Etienne Ranger)

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  • Date de création 4 décembre, 2023
  • Dernière mise à jour 4 décembre, 2023
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