"La langue française mérite un effort, comme toutes les autres matières."

Trois panélistes ont pris la parole dimanche 22 octobre sur la scène du Centre des arts et de la culture de Dieppe pour livrer leur diagnostic sur l’état du français au Canada. Des points de convergence ont été détectés à travers les témoignages d’une Acadienne, d’une Québécoise et d’un Franco-Ontarien.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

  

Dans le cadre du Salon du livre de Dieppe, il est devenu habituel de se pencher sur la langue française, en particulier dans un contexte minoritaire. Effectué l’an dernier sous l’angle de l’insécurité linguistique, l’exercice a traité cette fois-ci de l’évolution de la langue.

L’Acadienne Jeanne d’Arc Gaudet s’est dite particulièrement préoccupée d’une évolution fortement prononcée vers l’anglais, donc l’assimilation. Elle observe toutefois des situations différentes selon la région acadienne. Dans la Péninsule, dont elle est originaire, la fierté francophone y est différente de celle du sud-est du Nouveau-Brunswick. Le rapport que les jeunes entretiennent avec le français n’y est également pas le même. L’insécurité linguistique, thème central d’une discussion l’année dernière, se tient toujours en embuscade.

« Le sentiment d’insécurité linguistique fait que les jeunes ne perçoivent pas la nécessité d’améliorer leur niveau, dit-elle. Il ne faut pas juger nos jeunes et avoir des discours négatifs. Il faut les prendre là où ils sont et les amener à s’approprier d’autres références. Comme éducatrice, je préfère parler de sécurité linguistique plutôt que d’insécurité. Il faut faire quelque chose pour rendre nos jeunes plus en sécurité et qu’ils s’affirment en français. »

Si le français populaire de la région semble truffé d’anglicismes, c’est nettement moins le cas au Québec, comme l’a constaté Mireille Elchacar. Professeure à l’Université de Sherbrooke, elle est spécialisée en lexicologie, en lexicographie et en variation du français. Selon ses données statistiques, moins de 1% du vocabulaire dans la seule province unilingue francophone est composé d’anglicismes. Néanmoins, elle considère que le discours ambiant y est assez alarmiste.

L’universitaire pense que c’est la complexité de l’écriture qui engendre l’insécurité linguistique. Madame Elchacar, qui enseigne le français langue seconde à des étudiants de partout dans le monde qui veulent retrouver au Québec la profession qu’ils avaient dans leur pays d’origine, constate que ces derniers ne réussissent pas à entrer à l’université en raison du test de français. « C’est un test qui porte sur des éléments très précis de l’orthographe. La plupart d’entre nous ne serions pas capables d’y répondre. C’est très lié à l’insécurité linguistique et, pour moi, ce n’est pas ça qui va aider la vitalité de la langue française. »

Romancier, journaliste, chroniqueur et producteur, Sébastien Pierroz est un Français d’origine qui s’est installé en Ontario en 2009. Il préfère voir le verre à moitié plein et se réjouit que la langue française se nourrisse de multiples influences étrangères, et ce pas uniquement en anglais. Lui-même admet apprendre de nouveaux mots en français tous les jours. Toutefois, son verre se vide à moitié lorsqu’il évoque la situation environnant la sortie des écoles en Ontario français. C’est un constat qui n’est pas sans rappeler celui vécu au quotidien au sud-est du Nouveau-Brunswick, à la sortie des écoles du District scolaire francophone Sud.

« Même si on vit en français, l’anglais devient naturel quand on parle avec ses amis. La majorité des élèves francophones se parlent en anglais entre eux. C’est dommage. Je vois même des francophones qui se parlent en anglais entre eux sur leur lieu de travail. »

Un effort réclamé dans les deux sens

Modérateur de la table ronde, Gabriel Robichaud a lancé la discussion sur la place que les panélistes accordent à la langue sociale, comparée à la langue académique. Sébastien Pierroz constate qu’en Ontario, le français n’est même pas la langue sociale des francophones. Quoique bilingue, il n’a pas grandi dans un milieu anglo-dominant et peine à comprendre ce qu’on lui dit quand on parle trop vite dans la langue de Shakespeare. Il plaide pour un effort des deux côtés de chaque communauté de langue officielle.

« C’est une question de civisme, croit-il. Des fois, j’aimerais qu’on essaie de parler en français aux gens et qu’on demande un petit effort aux locuteurs anglophones au lieu de les accommoder sans cesse. C’est pareil pour nous, les francophones. La marque sociale, c’est de s’adapter à la personne en face de soi. »

Étonnamment, Mireille Elchacar révèle qu’au Québec, le français n’était que la langue sociale alors que l’anglais était celle du travail et des affaires. Les choses sont en train de changer et, pour que la langue française ne soit plus considérée en danger, l’objectif est qu’elle puisse être parlée dans toutes les situations de communication.

Élevée dans un milieu familial franco-dominant, Jeanne d’Arc Gaudet se désole de voir ses neveux et nièces n’employer que l’anglais sur les réseaux sociaux. S’agit-il, là encore, d’une situation d’insécurité linguistique ? À l’instar de M. Pierroz, l’éducatrice réclame elle aussi un effort, mais sur le plan académique.

« On n’arrive pas à l’école en ayant des connaissances dans toutes les disciplines, rappelle-t-elle. Que ce soit en mathématiques, en histoire, en géométrie ou dans les autres matières, il faut faire un effort pour apprendre. C’est la même chose avec le français. Il faut dire à nos jeunes qu’on va les accompagner pour qu’ils s’améliorent, se sentent compétents dans leur propre langue et aient confiance en eux. »

Mme Gaudet fait partie des résistantes au « rouleau-compresseur de la mondialisation anglophone ». Elle aimerait que cesse l’assimilation et que le français ne recule plus au Nouveau-Brunswick. À mesure que le temps passe, la proportion des francophones diminue dans la province. Elle craint que cela n’ait une incidence fâcheuse sur le pouvoir politique des Acadiens. « Ce serait une régression », prévient-elle.

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Photo

Titre : Panel LF
Légende : Face au public : les panélistes Sébastien Pierroz, Jeanne d’Arc Gaudet et Mireille Elchacar, et l’animateur Gabriel Robichaud.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 1 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 1 novembre, 2023
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