La grogne de centaines de parents d'élèves anglophones face à l'abolition de l'immersion française

Le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance organise une série de consultations publiques sur le nouveau programme qu’il compte mettre en œuvre en septembre 2023 pour remplacer l’immersion française. Jeudi 19 janvier, à Moncton, des parents en colère ont exprimé leur frustration.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

Pour tenir sa séance de consultation publique à Moncton, le ministère de l’Éducation avait réservé une partie de la salle de bal au deuxième étage de l’hôtel Delta Beauséjour, mais les choses ne se sont pas déroulées comme il le prévoyait.

Signe évident que le sujet sensible de l’abolition de l’immersion par le gouvernement Higgs suscite l’intérêt de la population, des centaines de personnes se sont présentées pour participer à l’événement. Alors qu’à 18h30 la salle réservée était déjà pleine, ainsi que l’a constaté Le Moniteur Acadien, une longue file d’attente serpentait sur deux étages dans les couloirs de l’hôtel.

Lorsque la foule a appris que tout le monde ne pourrait pas entrer, elle a exigé qu’on fasse de la place. Certaines personnes se sont découragées et ont rebroussé chemin, tandis que les plus patientes ont pu se joindre aux autres après que le personnel eut déplacé des cloisons amovibles et ajouté des tables et des chaises.

« Le gouvernement pense qu’il n’y a pas de critiques et de préoccupations, alors qu’il y en a, comme vous pouvez le voir par le nombre de personnes qui sont venues ce soir », a déclaré Jillian Porter (1), parent d’élève.

Le nouveau cadre éducatif proposé prévoit que tous les élèves entrant en maternelle et en première année passeront la moitié de leur journée à apprendre en anglais les matières de base, comme la lecture et les mathématiques. L’autre moitié de la journée devrait être consacrée à l’apprentissage exploratoire et ludique du français. Pour les personnes présentes lors de la rencontre, c’est nettement insuffisant. Elles sont nombreuses à penser que cette voie va miner davantage le bilinguisme au Nouveau-Brunswick.

L’événement avait déjà pris une heure de retard lorsque les organisateurs ont dû plier une seconde fois devant les revendications du public présent. En effet, le format initial prévoyait des échanges en petit comité sur chaque table. Or, la foule enflammée et bruyante – composée d’environ 350 personnes – voulait se faire entendre librement. Des micros ont donc été installés pour permettre une prise de parole à tour de rôle.

Vider son sac

Beverly Fairweather, une maman unilingue anglophone résidant à Dieppe, a dit qu’elle avait choisi une école anglaise pour sa fille, qui est en maternelle, afin de pouvoir s'impliquer davantage dans la communauté scolaire. Alors qu’elle avait prévu inscrire sa fille en immersion précoce cet automne, cette option n'est plus disponible.

"Aujourd'hui, vous venez me voir sans données, sans rien qui vienne étayer votre travail, et sans que vous nous montriez que ce système qui sera mis en place en septembre 2023 va fonctionner", a-t-elle lancé au ministre Bill Hogan et à son sous-ministre John MacLaughlin. "Montrez-moi comment cela va fonctionner".

À plusieurs reprises au cours de la soirée, l’émotion était vive parmi le public. Une intervenante, jeune enseignante en immersion, accusait visiblement le coup et était en larmes devant le micro. Durant cet exercice démocratique qui a débordé sur l’horaire et a duré près de trois heures, des parents et des enseignants frustrés ont pu « vider leur sac ».

De la « foutaise »

Confronté à la grogne des intervenants, le ministre Bill Hogan, qui s’est dit confiant dans le cadre éducatif proposé, n’a pas manqué de relever les inquiétudes soulevées par celui-ci. Il a toutefois déclaré au Moniteur Acadien que rien n’était gravé dans le marbre.

"Nous évoluerons en fonction des réactions que nous recevrons", a-t-il indiqué. Nous avons l’intention de prendre en compte tous les commentaires et les opinions exprimés ce soir. C’est une partie de nos consultations. Il y a certainement des défis à adresser. Après les consultations, on va voir ce qu’on a appris et comment cela va nous guider jusqu’aux prochaines étapes. »

Lisa-Mae MacDonald, parent d'élève, a déclaré qu'elle ne croyait pas que les préoccupations qu'elle et d'autres personnes ont exprimées seront prises en considération et que tout cela n’est que de la « foutaise ». Marc Surette, résident de Moncton, est du même avis et ne croit guère que le gouvernement puisse changer son fusil d’épaule, d’autant que le ministre a réitéré l’intention de voir le nouveau programme entrer en vigueur dès l’automne prochain.

Le député de Baie-de-Shediac-Dieppe, Robert Gauvin, a assisté à cette soirée très animée en compagnie du chef de l’opposition officielle, Rob McKee. Ils ont observé que les parents craignaient que le nouveau cadre ne ralentisse considérablement les progrès académiques des élèves. Ils ont également constaté que les enseignants, dont certains ont pris la parole, ne seront pas prêts à mettre en œuvre le programme dès septembre 2023. En outre, leur nombre est insuffisant pour répondre aux besoins du système éducatif.

« Les enseignantes et enseignants qui livrent l’immersion dans sa forme actuelle sont trop peu nombreux, commente M. Gauvin. Le gouvernement ne va pas donner plus de main d’œuvre. Tout ce qu’il vient de faire, c’est de baisser la barre. Nous avons besoin de plus de personnel qualifié. Ce qu’il faut, c’est conserver la forme actuelle et l’améliorer. Les gens qui sont sur le terrain nous disent que ça fonctionne, nous l’avons entendu jeudi soir. »

(1) Les personnes qui ont pris la parole au micro l’ont toutes fait en anglais. Leurs propos sont traduits par nos soins.

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Photos

Titre : Not enough

Légende : Parmi les nombreux participants, certains avaient préparé des pancartes, comme celle-ci, pour protester contre le plan du gouvernement.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Salle pleine

Légende : Plus d’une centaine de personnes faisaient encore la queue pour entrer alors que la salle était pleine. Il a fallu déplacer les panneaux amovibles à l’arrière-plan de cette photo pour leur faire de la place.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Hannah

Légende : Une des intervenantes, Hannah Davidson, fut chaleureusement applaudie par le public après sa prise de parole.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Maman d’une élève en immersion française, la députée Megan Mitton critique le projet

(D.D.)

Megan Mitton (Memramcook-Tantramar) représentait le Parti Vert lors de la consultation. Elle dit avoir entendu des parents qui s'inquiètent de savoir s'il y aura des ressources pour soutenir les enfants qui ont des difficultés d'apprentissage, et des parents qui craignent que leurs enfants ne perdent la chance d'apprendre le français dans un programme d'immersion et de devenir bilingues. Elle-même maman de deux jeunes enfants, elle redoute les répercussions du nouveau programme sur sa progéniture.

« Ma fille n'est en immersion française que depuis moins de cinq mois, et elle chante, compte et parle déjà en français. C'est merveilleux. Pourquoi mon fils devrait-il recevoir la moitié de l'enseignement en français qu'elle reçoit lorsqu'il entrera à l'école dans quelques années ? C'est ce qui va se passer avec leur plan actuel. C'est totalement inacceptable », a-t-elle dit au Moniteur Acadien.

Mme Mitton soutient que la recherche et les données appuient le programme d’immersion actuel et que le processus enclenché pour l’abolir est précipité et rétrograde. Elle observe en outre que le gouvernement ne consulte la population qu’après avoir pris sa décision, et que les enseignants implorent Fredericton de ne pas faire un autre changement majeur, mais d’écouter ce dont ils ont vraiment besoin : stabilité, soutien et ressources additionnelles pour les aider à faire leur travail.

« Les Verts veulent que le gouvernement arrête le projet d'abolir l'immersion en français et qu'ils trouvent plutôt des moyens de l'améliorer, par exemple en s'assurant que des cours sont offerts au niveau secondaire pour que les élèves puissent continuer à apprendre en français. Ils devraient améliorer les possibilités d'apprentissage du français pour tous les élèves, et s'assurer que des ressources adéquates sont investies pour soutenir les élèves et le personnel », a conclu la députée.

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  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 25 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 25 janvier, 2023
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