La Division scolaire franco-manitobaine : le fruit de luttes persévérantes

C’est par la volonté de quelques parents très engagés au sein de la francophonie manitobaine que la Division scolaire franco-manitobaine a pu voir le jour il y a 30 ans.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Gilbert Savard, un ancien président de la Fédération provinciale des comités de parents (aujourd’hui Fédération des parents de la francophonie manitobaine) à une période déterminante du combat, revient sur les grandes lignes des luttes de longue haleine menées par un mouvement communautaire. C’est d’abord comme simple parent que Gilbert Savard s’est impliqué dans l’éducation en français. Un déclic s’est fait en lui lors d’une réunion de la commission scolaire de Saint-Boniface en 1983. « Dans les divisions scolaires historiques comme la Rouge, la Seine ou la Montagne, la plupart des commissaires n’étaient pas forcément acquis au principe de l’école française. Nous étions un peu trop devenus à la merci des anglophones. C’était une inquiétude. On voyait bien que nous n’étions pas maîtres chez nous.

« J’avais une fille qui était à l’École Taché. J’avais assisté à quelques rencontres de la commission scolaire de Saint-Boniface. J’étais rentré chez moi bouleversé parce que tout se passait en anglais. Je me suis alors rendu compte que si on ne faisait pas quelque chose, rien ne nous garantirait que les programmes en français allaient continuer. »

| Une réelle prise de conscience

Cette inquiétude face à l’avenir, Gilbert Savard la partageait avec d’autres parents à la fibre militante. La longue période (de 1916 jusqu’à la fin des années 1960) où le français comme langue d’enseignement était interdit dans les écoles publiques au Manitoba avait réduit les chances de survie de la francophonie manitobaine.

« Même avec le retrait en 1970 de la loi de 1916 qui avait rendu illégal l’enseignement en français, le rôle décisionnel des commissions scolaires restait central. Il aurait suffi qu’elles ne soient pas favorables aux programmes en français pour qu’ils soient supprimés. »

La prise de conscience de Gilbert Savard a coïncidé avec l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. Son article 23 donne le droit aux parents des minorités de langue officielle à faire instruire leurs enfants dans la langue de leur choix. À ses yeux, une occasion historique se présentait pour la francophonie manitobaine.

Gilbert Savard s’est alors rapproché de la Fédération provinciale des comités de parents. « De fil en aiguille, j’ai été élu au conseil d’administration de la FPCP. Nous étions en contact avec d’autres provinces, en particulier le Nouveau-Brunswick, pour savoir comment cette Province allait s’ajuster par rapport à la mise en œuvre de l’article 23.

« De notre côté, nous cheminions aussi. Il fallait trouver une façon de rassembler la communauté sur ce sujet absolument crucial. »

Gilbert Savard le reconnaît bien volontiers, « le conseil de la FPCP ne pouvait évidemment pas mener ce combat seul. Heureusement, nous disposions d’excellentes personnes ressources. Des avocats, des éducateurs, des historiens. Sous ma présidence, en 1985, nous avons d’ailleurs créé un Comité directeur des structures scolaires avec ces personnes. Il y avait des membres de la FPCP, de la Société franco-manitobaine, des Éducatrices et éducateurs francophones du Manitoba, des Commissaires d’écoles franco-manitobaines et du Conseil jeunesse provincial.

| Volonté politique

« Il s’agissait de faire de la gestion de nos écoles un projet de la communauté toute entière, et pas seulement des parents. Toutes les personnes embarquées croyaient fermement que l’école était garante de la pérennité de la francophonie. »

Une fois l’organisation en place, il fallait entamer des discussions avec le gouvernement provincial, alors dirigé par les Néo-Démocrates. Gilbert Savard détaille : « La Province se montrait ouverte à ce genre de discussions. Mais on avait énormément de travail à faire pour éduquer nos interlocuteurs sur notre vision. Les choses avaient tendance à traîner. Après l’arrivée au pouvoir des Progressistes-Conservateurs en 1988, toutefois, on voyait que les choses ne bougeaient pas plus vite. Alors que nos voisins, en Alberta, s’étaient déjà présentés devant les tribunaux. On a également fini par considérer cette approche-là.

Si le dossier de l’éducation en français en contexte minoritaire n’avançait pas, c’est que l’enjeu tournait autour du fait de savoir si c’était un droit ou un privilège. Pour la Province du Manitoba, c’était un privilège. « Toutes nos discussions butaient là-dessus. On avait un travail de persuasion à faire. Finalement, quand la voie politique n’a pas abouti, on a opté pour la voie juridique. »

Les 13 et 14 décembre 1988, la Cour d’appel du Manitoba a entendu la cause de la FPCP. Son juge en chef était Alfred Monnin, un convaincu de toujours de la cause française au Manitoba.

Gilbert Savard poursuit : « Me Laurent Roy était notre avocat. Je pense aussi à l’historien Jean-Marie Taillefer, qui était également de la partie. Parmi toutes les personnes impliquées, il faut que je mentionne aussi Gérard Lécuyer qui était le directeur général de notre fédération de parents. Vraiment, on était très bien épaulé, au niveau national particulièrement avec Me Michel Bastarache, un futur juge de la Cour suprême du Canada. »

| Une cause devant les tribunaux

La Cour d’appel rend sa décision en février 1990. Le plus haut tribunal manitobain déclare que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ne contient pas le droit de gérer les établissements scolaires. Toutefois, le jugement est partagé. Les cinq juges rendent des réponses séparées. La FPCP a fait appel du jugement. Pas sans difficultés.

« Il fallait beaucoup d’argent pour aller devant la Cour suprême du Canada, car les cas exigeaient beaucoup de recherches. Le programme fédéral de contestation judiciaire nous avait seulement accordé 15 000 $. Notre cause a été entendue par la Cour suprême en décembre 1992. » Très vite, le 4 mars 1993, le plus haut tribunal au pays a rendu son jugement : les francophones ont bien un droit exclusif de gérer leurs écoles en français langue première partout dans la province. Cette fois, la victoire est totale.

À cette étape de son récit, Gilbert Savard souligne à nouveau le manque de volonté politique du Manitoba. Car malgré le jugement, la Province a cherché à semer des embûches sur le chemin d’une division scolaire francophone.

« Gary Filmon et compagnie voulaient voir si on avait l’appui de la communauté. Ils ont donc nommé un comité qui avait pour mandat d’aller de communauté en communauté pour recueillir les avis des parents. C’était le Comité Monnin. L’ancien juge en chef de la Cour d’appel du Manitoba Alfred Monnin était chargé d’aller dans les différentes communautés pour les sonder. Pour nous, il était un allié dans ce dossier.

| La naissance de la DSFM

« Il reste que le mandat du comité Monnin était discutable, puisqu’on demandait aux parents de voter en faveur ou contre un droit constitutionnel… Qu’importe, la réponse a été quasiment unanime. Globalement à travers la province, 90 % des parents étaient en faveur ! »

Pourtant, une proposition gouvernementale voulait d’abord établir une division scolaire francophone pour l’urbain et attendre pour le rural. Une approche jugée inacceptable pour ces parents motivés.

« Nous voulions une division scolaire provinciale. Nous voulions un projet rassembleur pour tous ces jeunes francophones à l’échelle de la province. »

Finalement, le gouvernement de Gary Filmon a cédé : le 17 mai 1993, la Province a soumis le projet de loi 34, Loi modifiant la loi sur les écoles publiques et le 27 juillet 1993, l’Assemblée législative du Manitoba l’a adopté. C’était l’acte de naissance de la Division scolaire franco-manitobaine, dont le mandat est d’éduquer en français.

En septembre 1994, des écoles de différentes localités de la province sont détachées de leurs commissions scolaires historiques et sont enfin réunies au sein d’une même division scolaire. Gilbert Savard n’en revient toujours pas.

« Avec le recul, quand je vois le montant de travail, de batailles, il faut bien reconnaître que c’est impressionnant d’avoir pu motiver autant de personnes dans ce dossier existentiel où tout était à définir.

« Quand je vois le résultat aujourd’hui, je vois 24 écoles qui forment un réseau provincial. Et ce réseau continue de s’étendre, puisque d’autres demandes sont en route pour faire construire de nouvelles écoles. Assurément, tout le travail des parents prêts à aller au front voilà plus de trois décennies en a bien valu la peine. »

 

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Photos : 

Gilbert Savard a été l’un des parents particulièrement motivés à militer pour une division scolaire franco-manitobaine. + photo : Marta Guerrero

Cayouche voyait dans le Premier ministre progressiste-conservateur Gary Filmon un véritable Pinocchio. + Illustration : Réal Bérard

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  • Date de création 9 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 9 janvier, 2023
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