La demande grimpe et les dons chutent à la banque alimentaire

Isabel Mosseler

IJL – Réseau.Presse

Tribune : la voix du Nipissing Ouest

La banque alimentaire de Nipissing Ouest est à risque de manquer de vivres dans les prochains mois, car l’inflation galopante a fait grimper la demande d’aide alimentaire et chuter les dons. Le président de l’organisme, Don Clendenning, dit qu’une pénurie de denrées pourrait mettre en péril le service d’ici quatre mois, juste après Noël, si la tendance se maintient.

Selon lui, les coûts actuels sont en cause, car l’alimentation est de plus en plus chère et pourrait forcer l’organisme à revoir ses pratiques généreuses. «On n’aime pas voir le volume de clients augmenter ainsi, mais c’est comprenable. (…) Tout est si cher, et ça devient de plus en plus cher pour nous aussi. Nous n’avons pas de rabais sur nos achats!»

Des dons monétaires permettent à la banque alimentaire d’acheter plusieurs produits frais pour ses distributions bimensuelles, mais ces jours-ci les mêmes dollars en achètent bien moins. «Nous sommes deux à faire les achats, Chantal Leroy et moi-même. J’achète les fruits et légumes, le pain, les œufs. Nous sommes retournés à No Frills parce que nos fournisseurs habituels devenaient trop chers, les prix ont presque doublé en six mois! Nous achetons aux deux semaines des commandes qui montaient à 2000$ à 2500$, et je peux acheter les mêmes produits chez No Frills entre 1000$ et 1500$,» explique M. Clendenning.

Ils font attention à chaque sou, surveillant les promotions de tous les magasins locaux comme Giant Tiger, No Frills, Métro. Lorsqu’ils reçoivent des dons de fruits et légumes passés la date de péremption, ils doivent souvent écarter un tiers du lot. Ils ont une entente avec des fermiers qui prennent ces fruits rejetés pour nourrir leur bétail, en échange de viande à prix réduit. En effet, la banque alimentaire a trouvé plein de solutions novatrices pour réduire ses coûts, mais ce n’est pas encore assez.

«Si les choses continuent ainsi, nous allons pouvoir continuer jusqu’à Noël et ensuite il faudra arrêter d’acheter les produits frais. Les dons sont aussi en chute, c’est l’autre côté de l’équation. Mais c’est comprenable. Les gens pouvaient donner lorsqu’ils avaient de l’argent, mais maintenant ils sont pris à la gorge eux aussi à cause de l’inflation. Notre clientèle a plus que doublé. Nous recevions environ 50 à 65 personnes toutes les deux semaines. La semaine dernière, nous avons eu 128 personnes et c’est allé jusqu’à 130. Nous sommes ouverts de 9 heures à midi, et il y a des gens qui attendent à la porte à 7h30.»

M. Clendenning dit que le climat est plus tendu aussi. «La plupart sont de bonne humeur, mais il y a aussi des gens qui souffrent d’anxiété et des gens agressifs,» décrit-il. Il ajoute que bien des gens qui font la queue ont des enfants ou d’autres personnes à charge, et ceux-ci ne sont pas comptés dans les visites. Le président estime que la banque alimentaire nourrit plus de 300 personnes dans la communauté, des enfants jusqu’aux aînés, même un récipiendaire de 97 ans.

Malgré ces difficultés, M. Clendenning «hésite à lancer un appel à l’aide. Les dons reçus par la poste ont diminué. Nous profitions autrefois des produits invendables des épiceries, mais les bureaux chefs ont décidé de plutôt vendre leurs plus vieux produits à prix réduits. C’est une décision d’affaires, mais c’est une source de nourriture qui n’existe plus pour nous… No Frills a un gros panier à la sortie où les gens peuvent mettre des aliments à donner. Environ une fois par mois, ils nous appellent, et c’est 5 à 8 boites de nourriture ; chaque don compte. Métro vend des sacs à dons ; Léo et Rollande Malette les ramassent, environ 25 à 30 sacs par semaine… Il y a environ 10$ de produits dedans, ce n’est pas mal du tout!»

Mais ce n’est pas assez pour nourrir une personne pendant deux semaines, encore moins une famille. «C’est pour ça que je vais acheter du pain, 130 pains chaque deux semaines. La boulangerie Chez Jean-Marc nous donne aussi tous les pains non-vendus chaque samedi.» Et pourtant, ce n’est toujours pas suffisant face à la demande croissante.

M. Clendenning montre les rayons et le congélateur de la banque alimentaire, et il y a beaucoup d’espace vide. L’organisme dessert un vaste territoire, tout le Nipissing Ouest et les environs, et il a la réputation d’être généreux, mais cela pourrait changer. «Comparativement à d’autres banques alimentaires, nous donnons beaucoup. Ailleurs, les gens ne reçoivent qu’une boite préremplie. (…) Aussi, nous ne refusons personne. Certains ont une plus belle voiture que moi. Peut-être qu’ils n’en ont pas vraiment besoin, mais peut-être qu’ils traversent une période difficile. On ne peut pas le savoir.»

Il ajoute qu’il voit de plus en plus de sans-abri. «J’ai reçu un gars qui m’a dit «j’ai vraiment besoin d’aide, je viens de sortir de prison», et un autre gars vivait dans une tente dans les bois. D’autres couchent chez des amis, passant d’une place à l’autre… «où restes-tu ce mois-ci?»» La banque alimentaire fournit aussi des ressources, des cliniques de vaccination et des services de réduction des dangers, en partenariat avec d’autres organismes communautaires, pour aider ces populations à risque.

M. Clendenning reconnaît les efforts bénévoles comme la collecte de nourriture Une canne ça dépanne, menée par l’école secondaire Franco-Cité, qui remplit les rayons tous les mois d’octobre. C’est pour ça qu’il n’aime pas demander plus d’aide. «Je me sens mal de demander, mais je pense que la situation nécessite qu’on en parle… [La collecte de] Franco-Cité est une manne incroyable parce que ça remplit nos rayons et ça dure des mois. Ce que j’aimerais, c’est peut-être voir d’autres écoles organiser quelque chose au printemps lorsque les denrées de Franco-Cité commencent à s’épuiser. Ça serait phénoménal.» Il ajoute que l’organisme accueillerait avec joie des élèves qui veulent faire leurs heures de bénévolat, surtout pour aider à recueillir les dons et les commandes de nourriture qui sont lourds à porter pour certains bénévoles plus âgés.

«Disons que c’est un problème qui nous pend au bout du nez, je le vois venir. C’est déjà commencé. Nous avons un petit coussin, mais il disparait vite. Si les choses ne changent pas d’un côté comme de l’autre, ce que nous recevons et ce que nous dépensons, alors nous nous rendrons jusqu’à Noël. D’ici là, je ne peux plus acheter deux fruits et deux légumes à distribuer chaque mercredi – il faudra que ce soit juste un de chaque. Quant aux biscuits et sucreries, je vais recommander de couper cela en faveur d’aliments plus nutritifs. S’il faut faire des coupures, je préfère couper les sucres. Nous allons commencer par ces mesures.» C’est sûr qu’une petite gâterie de temps en temps, ça fait du bien, et le président est peiné de devoir supprimer cela. «Ça m’attriste de devoir faire ça, mais nous allons le faire. Je préfère vous donner une pomme fraiche plutôt qu’une barre chocolatée.»

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  • Date de création 2 septembre, 2022
  • Dernière mise à jour 2 septembre, 2022
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