La crise des opioïdes est bien présente en Alberta

Entre janvier et mars 2021, près de 23 000 individus sont morts d'une surdose aux opioïdes au Canada. La Saskatchewan, la Colombie-Britannique et l'Alberta sont régulièrement montrées du doigt dans les statistiques concernant cette dépendance. Il n’est donc pas surprenant de compter 976 décès entre janvier et août 2022 en Alberta, soit près du double des décès pour l’ensemble de l’année 2021.

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Vienna Doell

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

Dre Julie Hildebrand, médecin de famille à Edmonton, estime qu’en Alberta, la dépendance aux opioïdes «est un problème très actuel». Cette crise, qui a débuté il y a une vingtaine d'années, ne fait que s’exacerber.

L’ancienne directrice médicale du programme de traitement d’entretien à la méthadone à l’hôpital Saint Joseph, à Saint John (Nouveau-Brunswick) connait son sujet. Alors qu’elle a souvent accompagner les patients dans ce protocole qui utilise ce «médicament pour traiter la douleur chronique et pour le traitement du trouble lié à l'utilisation d'opioïdes», elle prévient.

«Les dépendances aux opioïdes résultent maintenant d’utilisation de médicaments sur ordonnance», explique-t-elle. Selon le gouvernement provincial, 93% des décès en 2022 ont été causés par le fentanyl, alors qu’il n’y a eu aucun décès dû à une surdose d’héroïne. Dre Hildebrand explique que le fentanyl, parmi d’autres, est un opioïde synthétique qui a connu une modification de sa structure chimique. Son utilisation doit être très réglementée.

«C’est à nos patients que l’on prescrit du percocet, de la morphine, du fentanyl…», dit-elle avec inquiétude. Mais ces médicaments sont prescrits pour de bonnes raisons : «les chirurgies orthopédiques, des douleurs d’origine cancéreuse…». Dre Hildebrand explique que, par contre, «qu'on ne sait pas lequel de nos patients va finalement développer une dépendance aux médicaments».

Pourquoi la dépendance?

«Une dépendance, c’est psychologique. C’est le corps qui développe un besoin extrême pour une drogue», explique Dre Hildebrand. «Dans le cerveau, il existe des récepteurs pour traiter la douleur et [...] les opiacés vont aller à ces récepteurs pour bloquer la douleur.» Mais malencontreusement, «les opioïdes peuvent aussi stimuler des récepteurs de bien-être, de gratification», ajoute-t-elle.

Et si le patient arrête un médicament à base d’opioïde sans sevrage, le risque de dépendance est grand et les répercussions peuvent être très graves, voire fatales.

Bien que les experts ne savent toujours pas pourquoi certains individus développent des dépendances plutôt que d'autres, Dre Hildebrand affirme que des facteurs tels que les traumatismes et les problèmes de santé mentale peuvent accroître considérablement les problèmes de dépendance.

Les besoins fondamentaux avant le traitement

Le directeur des relations communautaires chez Community Health, Empowerment and Wellness (CHEW), Corey Wyness, déclare que même si le traitement pour lutter contre les dépendances est offert, «les gens ne sont pas toujours prêts» à faire le pas.

Fort de ses 30 années de travail en première ligne dans le domaine de la réduction des effets nocifs des drogues sur la santé, Corey Wyness entrevoit des solutions. Il explique «que si nous pouvons répondre aux besoins de base et faire en sorte que nos clients sentent qu’ils valent quelque chose, c'est à ce moment-là que nous commençons à chercher à réduire l'utilisation et ensuite examiner les options de traitement».

Cette approche «familiale» a conduit à moins d'intoxications et d’overdoses parmi ses clients. Ainsi, les jeunes peuvent venir durant la journée au local de l’organisation pour «se nourrir, trouver des vêtements, dormir, laver leurs linges, prendre une douche…». Cet accès facile renforce l'idée que «l’on se sent comme dans une famille, comme si l'on entrait dans la maison de quelqu'un».

Ces services qui permettent la réduction des effets nocifs de la dépendance sur la santé sont très différents de ce que le gouvernement offre aujourd’hui. «Beaucoup de programmes pour la désintoxication ne durent que 30 jours, ou même 90 jours, ce qui n'est pas assez long pour traiter votre traumatisme et comprendre pourquoi vous consommez», explique le directeur. Il ajoute que les «listes d'attente sont parfois très longues» pour accéder à ces centres de désintoxication.

L'idéal, selon Corey, serait de pouvoir accéder à ces derniers, mais aussi à d’autres services de nature à faciliter la vie au quotidien et à répondre aux besoins fondamentaux sans jugement et sans rendez-vous. Une notion élémentaire, mais essentielle : celle de pouvoir se présenter à un centre lorsqu’on en ressent le besoin.

Toutefois, l’organisme de Corey est, comme d’autres, à la limite de l’implosion. «Je suis le seul employé à plein temps et nous avons 200 personnes qui ont accès à nos services», soupire le directeur.

«Il s'agit d'une question de financement. Traditionnellement, le gouvernement provincial ne finance que les grands programmes (comme ceux de Services de santé Alberta) et les organisations religieuses», explique-t-il. De plus, Corey souhaite que le gouvernement ait des discussions avec les travailleurs de première ligne et les personnes qui consomment activement.

«Le gouvernement provincial fait beaucoup de présomptions de ce dont les personnes ont besoin», explique le travailleur social en santé mentale. Et cela conduit à des options de traitement qui ne fonctionnent pas pour tous les groupes démographiques, dont les Premières Nations avec lesquelles Corey travaille régulièrement.

Un nouveau ministre de la Santé mentale et Des dépendances

Avec de nombreux enjeux qui persistent dans la province, le gouvernement albertain a récemment créé un ministère de la Santé mentale et des Dépendances afin de répondre précisément à cette problématique.

«C’est génial!», s’exclame Corey avec beaucoup d’espoir.

Le ministre de la Santé mentale et des Dépendances, l’honorable Nicholas Milliken, n’a pas pu s’entretenir avec la rédaction du journal, mais il a fourni une déclaration écrite en anglais traduite par nos soins.

«Le gouvernement de l'Alberta met en place des systèmes de soins en santé mentale et

en toxicomanie axés sur le rétablissement. Ainsi, les Albertains ont accès à un continuum de services, incluant la prévention, l'intervention, le traitement et le rétablissement, ainsi que des services de réduction des méfaits, là où le besoin se fait ressentir. En fait, en 2021-2022, nous avons fourni plus de 35 millions de dollars pour les services en vue de réduire des méfaits, soit une augmentation de près de 60% par rapport au financement de 2018-2019.»

Celui-ci ajoute, «au cours des deux prochaines années, nous investirons 124 millions de dollars supplémentaires pour accroître considérablement l'accès aux services axés sur le rétablissement tant à Calgary qu’à Edmonton. Cela comprend 8 millions de dollars pour accroître la réduction des méfaits et renforcer les équipes d’intervention afin de mieux relier les personnes aux services de prévention des surdoses et aux autres services de santé essentiels. Cette somme s'ajoute aux efforts déployés au cours des trois dernières années pour créer 8000 nouvelles places, éliminer les frais d'utilisation, lancer le système numérique de réponse aux surdoses (Digital Overdose Response System - DORS) et offrir une option de traitement le jour même grâce au programme primé Virtual Opioid Dependency Program (VODP).» Il est important de noter que ces services ne seront pas disponibles en français.

Si cette déclaration semble répondre à la nécessité d'un financement supplémentaire exprimé par Corey Wyness, l’aspect lié à la pédagogie et à la prévention du public souligné par Dre Julie Hildebrand semble complètement absent. «Ce qu'il manque, c’est l'éducation à la population.» Elle raconte que le partage des opiacés sur ordonnance est un problème notable dans l'augmentation de la consommation de ceux-ci. «Idéalement, il faudrait éradiquer ces médicaments de la surface de la planète, mais on n’en est pas là», ajoute-t-elle.

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CHEW est une organisation à Edmonton qui offre des services aux personnes âgées de 14 à 29 ans membres de la communauté 2SLGBTQ+, dont du soutien de première ligne pour, entre autres, les problèmes de dépendance.

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  • Nombre de fichiers 10
  • Date de création 20 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 20 janvier, 2023
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