La contravention qui a changé une vie

Quand on parle de droit avec Louise Hurteau, son sourire et l’éclair dans ses yeux trahissent rapidement la passion que l’avocate a pour sa profession.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Me Hurteau, qui représente autant les francophones que les anglophones en Ontario, a reçu l’Ordre du mérite, remis par l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO), pour sa contribution à l’accès à la justice en français.

«À 16 ans, j’ai eu un accident de voiture et une contravention suite à ça. Mes parents ont voulu contester la contravention et ils ont embauché une avocate francophone. Elle m’a tellement impressionné, elle était extraordinaire. J’ai été épatée par la façon dont elle agissait, le décorum et tout. Finalement, on a gagné notre cause. Ensuite, j’ai suivi un cours de droit au secondaire et j’avais de bonnes notes, alors je me suis lancé là-dedans. De plus, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui étaient avocates en 1976, alors elle a réellement eu une influence sur moi.»

Voilà pour l’anecdote qui a mené l’Ottavienne vers le Barreau.

Après avoir été diplômée en droit civil à l’Université d’Ottawa et en common law à l’Université Dalhousie, elle intègre le Barreau de l’Ontario en 1989.

Ayant reçu la grande majorité de son éducation en français, à Ottawa, il était clair qu’elle allait œuvrer en Ontario. «C’est en arrivant à Toronto que je me suis dit que c’est ici que je pourrais percer, avec l’ouverture de postes bilingues.»

L’avocate a tout de suite obtenu un poste désigné bilingue. «À Toronto, je n’ai pas eu de difficulté. Si tu as un désir, tu peux travailler dans les deux langues officielles», affirme-t-elle.

Cependant, à l’époque où elle a intégré le Barreau, les audiences en français étaient quasi inexistantes. Maintenant, elle travaille sur des dossiers autant en français qu’en anglais. Et elle n’a pas eu à se battre pour faire avancer les mentalités.

«La plupart des gens avec qui je transige et qui sont anglophones sont ouverts d’esprit. Ils comprennent les droits linguistiques et l’importance du bilinguisme juridique. Dans tous mes emplois, j’ai eu énormément d’appui. J’ai toujours eu une facilité à transiger dans les deux langues.»

Représentation des juges francophones

Le manque de juges bilingues en Ontario a souvent été soulevé. Parmi les 456 juges de la Cour de la justice nommés par le Procureur général de l’Ontario de 1989 à 2018, 31 étaient francophones. Sans s’alarmer, Me Hurteau reconnaît qu’il faut veiller à la représentation des juges francophones.

«Dans le passé, je pense qu’il y a des personnes qui se disaient bilingues et qui ne l’étaient pas réellement. Il y a une différence entre la conversation et le langage juridique. Les statistiques démontrent qu’il y a un manque de juges bilingues à tous les niveaux. Mais c’est aussi pour la représentation des francophones. Il y a plusieurs manières de parler en français.»

Est-ce que ce déficit par rapport au jury unilingue anglophone constitue un obstacle pour les justiciables francophones? Ne voulant pas généraliser, l’avocate assure qu’il n’y a pas d’embûches dans son carré de sable.

«Au Barreau [de l’Ontario], il n’y a pas de délai, ça roule, on a des arbitres parfaitement bilingues, on n’a pas à traduire des documents, on transige dans les deux langues officielles et tout le monde se comprend. Vu qu’on est entouré d’anglophones à Toronto, les francophones pensent souvent qu’il est plus facile de parler en anglais. Du côté éducatif, on doit démontrer à nos francophones qu’on peut avoir accès de manière raisonnable à des dossiers en français.»

Patrimoine, fierté, culture

La majorité des emplois et des organismes avec qui elle fait du bénévolat sont gérés par et pour les francophones. Que ça soit au Barreau de l’Ontario, à l’AJEFO, au Centre francophone de Toronto, à l’Aide juridique Ontario, et plus récemment, à l’Université de l’Ontario français (UOF), elle rappelle que son rôle a toujours été de faire avancer les droits linguistiques des francophones.

«Le patrimoine, la fierté, notre culture, s’assurer qu’on ne perd pas notre langue. Le fait que nous sommes un pays bilingue. Et les autochtones, nous devons aussi les inclure. C’est une richesse pour notre pays, surtout du côté international de manière économique», énumère-t-elle en parlant de son dévouement à promouvoir sa langue maternelle.

Et cet acharnement ne doit jamais s’arrêter.

«Quand on se lève le matin, on ne peut pas se dire “Bon, mes droits linguistiques seront respectés aujourd’hui”. Tous les jours, on doit continuer à travailler en français, parler en français, etc. [...] S’il y a un délai à la Cour parce qu’on ne peut pas trouver un juge francophone, ça, c’est un manque. Si un francophone décide de plaider en anglais, c’est un manque aussi. On travaille ensemble dans le milieu judiciaire pour s’assurer d’avoir les mêmes services que les anglophones, sinon les gens débarquent.»

De Montfort à l’UOF

Lorsqu’on lui demande la plus grande cause qu’elle a défendue, la survie de l’hôpital Montfort lui vient en tête. «L’affaire Montfort a certainement aidé pour l’UOF plusieurs années plus tard. On est toujours aux aguets du recul du français», relève celle qui représentait une association francophone de Toronto dans ce dossier.

Ajoutons à cette fierté l’ensemble de l’œuvre.

«Chaque petite étape qu’on fait me réjouit. Je vois un progrès énorme depuis que je suis au Barreau. Quand j’ai commencé, il n’y avait rien en français. Maintenant, on est une équipe francophone de gens à la poursuite, des enquêteurs francophones et du personnel francophone.»

Depuis 2021, Louise Hurteau agit comme membre externe du Conseil de gouvernance de l’UOF. Et l’Ordre du mérite dans tout ça? Seules une ou deux personnes par année reçoivent cet honneur pour avoir démontré un dévouement à la promotion des services juridiques en français, au développement de la common law en français et une implication au sein de plusieurs associations et organismes.

«C’est un grand honneur pour moi. Je suis énormément touchée, autant pour la gouvernance de l’UOF que l’Ordre du mérite. On ne fait pas ça pour les éloges. Ça fait 32 ans que je suis avocate, je travaille dans les coulisses, je fais mon boulot, mais on ne fait pas ça pour recevoir un prix. Tu fais ça parce que tu y crois et que tu aimes ça. C’est important pour les francophones non seulement en Ontario, mais aussi au Canada.»

Ce boulot qui la passionne tant n’est pas prêt de quitter son quotidien.

«Pour faire de la poursuite, j’ai encore les jus qui circulent. Je veux aller présenter ma cause devant les arbitres. Pour mon bénévolat avec les associations, tant que je peux rendre service et que j’ai le temps et l’énergie, je vais continuer.»

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Photos

«À 16 ans, j’ai eu un accident de voiture et une contravention suite à ça. Mes parents ont voulu contester la contravention et ils ont embauché une avocate francophone. Elle m’a tellement impressionné, elle était extraordinaire. J’ai été épatée par la façon dont elle agissait, le décorum et tout», a avoué Me Louise Hurteau. (123RF)

Me Louise Hurteau (AJEPO)

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  • Date de création 6 juin, 2022
  • Dernière mise à jour 6 juin, 2022
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