«Je me suis adapté à la solitude du prisonnier»

La pauvreté frappe deux fois plus fort chez les aînés de Prescott et Russell qu’ailleurs en province, une différence attribuable notamment à leur situation en milieu rural, ce qui limite les services et accentue l’isolement. Notre journaliste Charles Fontaine est allé à la rencontre des aînés en milieu rural.

______________________

Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

Un problème de santé peut faire chavirer le cours d’une vie. La pauvreté aussi. Et le mélange des deux peut faire sombrer n’importe qui.

Sophie Ménard pourrait malheureusement passer la journée à raconter des histoires extrêmement difficiles où se retrouvent des aînés de la région. La technicienne en travail sociale au Service communautaire de Prescott et Russell vient en aide aux gens dont une maladie les limite, ou en situation de pauvreté. Elle se rend chez eux régulièrement pour les aider de quelconque manière, que ce soit pour trouver un nouveau logement ou pour effectuer des tâches quotidiennes de base. En poste depuis 2019, elle remarque une croissance accrue de la pauvreté dans la région. Malgré tout, il n’a toujours pas d’abris pour les personnes sans toit, ce qui rend la tâche des intervenants sur le terrain encore plus ardue.

«Il n’y a pas assez de ressources pour que les gens puissent subvenir à leurs besoins, dit-elle. Les listes d’attentes pour les services en santé au public sont interminables et les logements sont en grand manque. On a besoin de subventions gouvernementales, mais on est souvent délaissé en étant une région rurale.»

Béni par Dieu

En pleine crise du logement, certains propriétaires y prennent avantage en négligeant leurs locataires. Lisette*, 70 ans, vivant avec l’ostéoporose et en situation de pauvreté, a vécu dans la moisissure pendant plus d’un an en raison de l’inaction des propriétaires.

En plus de la moisissure apparente à plusieurs endroits, le réfrigérateur, qui appartenait aux propriétaires, était défectueux.

«C’est un groupe de cinq propriétaires qui se lancent la balle quand je demande de l’aide, dit Lisette. En fin de compte, rien ne change. Les gens me disaient que mon linge sentait la moisissure.»

La dame habite en banlieue de Hawkesbury, à trois kilomètres d’une épicerie. Sans voiture, elle utilisait régulièrement le défunt service d’autobus PR Transpo. Privée de moyens pour un taxi dû à la hausse des prix, elle doit marcher et monter une côte, avec sa maladie, pour faire ses courses. Tout ça pour entreposer ses aliments dans un réfrigérateur en piètre état.

Avec l’aide de Sophie Ménard, elle a appelé la Ville de Hawkesbury pour signaler l’inaction des propriétaires. Ces derniers ont finalement camouflé la moisissure qui va réapparaître et n’ont pas remplacé le réfrigérateur. Elle a quitté le logement sans payer le loyer, pour s’installer temporairement chez un de ses fils.

Mme Ménard a insisté pour que Lisette puisse être placée au sommet de la liste d’attente pour un logement public et abordable tenue par les Services sociaux des Comtés unis de Prescott et Russell. On lui a finalement trouvé un logement, où elle s’installera dans quelques semaines. Il est situé plus près d’une épicerie.

«Ils m’ont ignorée et négligée, se désole Lisette. Heureusement que j’ai reçu l’aide de mon fils.»

Ce fils est à l’antipode de son deuxième enfant, qui sort de prison à la fin du mois. Grand consommateur d’alcool et de drogues, l’homme vivant dans la rue a déjà défoncé la porte du logement de sa mère pour l’attaquer physiquement. Lisette ne l’a pas vu depuis deux ans.

«C’est inquiétant, parce que tu ne sais pas si c’est ton gars ou une personne aux personnalités multiples. Tu dois te retirer et c’est très difficile. Je ne peux pas l’aider, parce qu’il peut y avoir de la violence.»

Ceci n’est qu’une petite histoire parmi tant d’autres qu’a vécues Lisette. Sans amis, elle a souffert de dépressions à de nombreuses reprises, ainsi que de tentatives suicidaires.

«C’est Dieu qui m’a aidé, dit celle qui lit la Bible depuis 26 ans. Il m’a aidée à ne plus me décourager au point d’essayer de me suicider. Ça m’a donné du courage d’avoir l’aide de Sophie. C’est une personne extraordinaire. C’est comme si Dieu m’avait envoyé un ange.»

Vivre sans voir la lumière du jour

Jean-Claude Binet n’est pas sorti de son logement à Hawkesbury de tout l’été. Amputé d’une jambe depuis quatre ans et vivant dans un sous-sol, l’homme de 75 ans ne peut pas sortir de chez lui sans qu’on le transporte. Sophie Ménard et d’autres employées des Services communautaires de Prescott et Russell lui rendent visite quotidiennement pour remplir ses besoins de base, tels que les repas et le bain. Il possède un collier avec un bouton où il appuie en cas d’urgence et qui alerte les services communautaires.

«Elles sont extraordinaires. Je ne sais pas ce que je pourrais faire sans elles», dit M. Binet.

Seul dans son logis depuis six ans, il reçoit la visite de sa sœur chaque jour et d’une de ses filles une fois par semaine, car l’autre est décédée. Autrefois un gars de party, il a dû s’habituer à la rareté des contacts sociaux.

«Je me suis habitué à la solitude du prisonnier. Même si j’avais une compagne, je ne peux rien faire. En matière de revenu, je n’en ai pas beaucoup, mais je ne manque de rien.»

En entrant, sa chienne Rosie saute et jappe partout en guise d’accueil. La télévision est allumée. Le réseau des sports présente le poker en cet après-midi de semaine. C’est tout ce qui accompagne Jean-Claude Binet durant la journée. Ça et une bouteille de vin.

«Il y a des millions de choses que j’aimerais faire au niveau social, mais je ne peux pas. J’adorais le sport et je faisais beaucoup de partys avant. Je pensais que j’avais des amis, mais ils ne viennent plus me voir depuis mon accident. C’est dommage, parce que quand j’avais des amis qui étaient malades, je leur rendais visite.»

Parlant de party, le timide joueur de guitare a eu la chance de vivre le festival Woodstock en 1969. «J’ai un chandail signé par Jimi Hendrix et un bandeau par Janis Joplin», dit-il fièrement.

Après près d’une heure de jasette, l’entrevue lui a fait du bien. Le simple fait d’interagir avec quelqu’un est un rayon de soleil dans sa journée.

«Toi tu n’as pas besoin de moi, mais moi j’ai besoin de toi», conclut-il.

*Nom fictif pour préserver l’anonymat

-30-

Photos

Jean-Claude Binet ne vit qu’avec sa chienne Rosie. (Charles Fontaine/Le Droit)

  • Nombre de fichiers 2
  • Date de création 27 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 27 septembre, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article