Itinérance: d’un sofa à l’autre à Prescott-Russell

Dans la région de Prescott-Russell il n’y a pas de refuge pour personnes itinérantes. Les gens qui se retrouvent à la rue doivent se fier à leurs réseaux de contacts pour espérer trouver un toit, comme Véronique Dazé, mère de trois enfants, qui a bondi d’un sofa à l’autre pendant des mois avant de trouver un logement «abordable».

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

Enceinte, âgée de 27 ans et déjà mère de deux enfants qu’elle élève seule, Mme Dazé habitait chez sa mère, à Casselman, jusqu’en janvier dernier. Mais les tensions entre la mère et la fille étaient trop fortes pour qu’elles résident sous le même toit. «Je n’aime pas me faire dire comment élever mes enfants et ma mère essayait de m’aider, mais je n’aime pas sa façon, alors ça finissait en chicanes. On pouvait passer une semaine sans se parler. C’était trop devant les enfants, alors il a fallu que je parte.»

Même sur la liste d’urgence des Comtés unis de Prescott-Russell pour un logement abordable vu le fait qu’elle est enceinte, elle se retrouve sans abri.

«Je vais chez des amis ou je me promène partout et je trouve des places pour rester. Il y a un soir j’ai rasé de rester la nuit complète dehors jusqu’à ce qu’un étranger “bien fin” me laisse dormir chez lui. C’était le concierge de la buanderie où j’étais à Casselman.»

La bénéficiaire de l’aide sociale a été nomade pendant quatre mois. «C’était tough. Jusqu’à temps que j’appelle la grand-mère de mes deux autres enfants pour aller coucher chez eux. Mais on était huit dans la maison. J’avais juste ma chambre comme espace privé.»

Elle aurait bien sûr profité d’un centre d’hébergement pour itinérants si la région en avait eu un. «Ça aurait été pas mal mieux que de me promener d’un sofa à l’autre.»

Enfin un logement

C’est par l’entremise d’une ancienne connaissance que Mme Dazé a pu dénicher un appartement à Saint-Isidore en juin dernier, à 20 minutes de Casselman où ses plus vieux vont à l’école primaire. Situé dans la rue principale du village, l’immeuble à logement beige et gris abrite son nouveau trois et demi à 950$ par mois, avec en prime plusieurs réparations nécessaires…

«J’ai rasé ne pas l’avoir, il y avait bien du monde qui aurait voulu l’avoir. Au prix que je paye ici, c’est bon.»

Est-ce que ça vaut 950$? «Si les réparations étaient faites, oui, affirme-t-elle. Il faut changer la porte patio et les fenêtres complètement. Ils sont en train de tomber en morceaux, l’air et les bibittes rentrent. Je passe ma main entre les deux fenêtres quand elles sont fermées. Il y a des réparations dans les planchers aussi à faire. Le logement est vivable pour l’instant, mais l’hiver ça va être une autre histoire.»

Et elle ne peut pas se fier au propriétaire pour effectuer ces travaux. Si rien n’a changé à l’arrivée de l’hiver, elle devra déménager.

Pas d'autobus scolaire

Comme elle habite tout près d’une école, elle n’a pas droit au service d’autobus scolaire pour emmener ses enfants jusqu’à Casselman. Sa mère et d’autres contacts font l’autobus. «Ça aurait été mieux à Casselman, mais c’était la place la plus cheap.»

Même si elle doit prendre soin d’un bébé seul et qu’elle élève un garçon de cinq ans et une fille de sept ans en garde partagée, son réseau est là pour l’épauler.

Mais qu’arrive-t-il avec sa demande de logement faite aux services sociaux des Comtés unis de Prescott-Russell (CUPR)? Aucune nouvelle.

Itinérance cachée

L’Association des municipalités de l’Ontario estimait en 2019 que 80% de l’itinérance de la province est «cachée», c’est-à-dire que les gens sans abris dorment temporairement chez des connaissances, dans des bâtiments abandonnés ou campent sous des ponts ou dans des endroits éloignés. Dans les CUPR, c’est le cas pour 100% des cas d’itinérance.

Depuis mars 2021, les services sociaux des CUPR comptabilisent les gens sans toit, dû à une nouvelle exigence du ministère des Affaires municipales et du Logement. Douze personnes figurent sur cette liste, mais il y en aurait beaucoup plus, croit la directrice des services sociaux, Sylvie Millette.

L’équipe est trop petite pour être sur le terrain et comptabiliser ces personnes. Pour le moment, les organismes communautaires aident à cibler ces gens. Quand Mme Millette reçoit une demande d’aide sociale, elle demande l’adresse de la personne et peut alors savoir si elle possède un logement ou non. Le manque de subvention et la pénurie de personnel rendent la tâche difficile, évoque-t-elle.

«L’itinérance est cachée ici, alors on ne sait pas si elle est en hausse. Ça nous prend du logement pour les personnes itinérantes, mais ça prend des années pour avoir du financement», affirme Mme Millette.

Un futur refuge?

L’objectif des CUPR est de mettre en place un centre d’hébergement pour sans-abris. «On veut que ces gens-là aient une place pour rester. [...] C’est certain que ça serait idéal d’avoir un refuge. Mais Prescott-Russell c’est large, où allons-nous placer le centre d’hébergement?», lance la directrice.

Les Comtés unis prévoient travailler de concert avec les services policiers pour évaluer le meilleur endroit où installer ce refuge. Des idées de projet de refuge ont été envoyées à la Société canadienne d’hypothèques et de logement dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement. «Ils ont été refusés, parce que l’on compétitionne avec de grandes villes où un refuge serait composé de 100 chambres, alors que nous ça serait 10. Les projets de petites envergures passent sous le radar.»

Pour l’instant, les CUPR offrent une nuitée dans une chambre d’hôtel pour une personne sans toit. Ensuite, ils paient le transport vers une grande ville qui possède des centres d’hébergement. Mais pour rencontrer ces gens qui ont besoin d’aide, c’est la police qui doit les rapporter au CUPR.

De leur côté, les services policiers de Prescott-Russell rapportent que les gens sans-abris sont dispersés, mais qu’il y a une plus grande concentration à Hawkesbury.

À leur rencontre à Hawkesbury

On nous dit qu’il y a des campements en dessous du viaduc, près de l’intersection des routes 34 et 17. «Il y a souvent une femme qui marche sur le chemin de fer et il y a un homme aussi. Ils sont souvent deux», nous dit Sophie Montreuil qui travaille au Lamoureux Snack Bar, situé tout près.

Rendu en dessous du viaduc, on voit que quelqu’un s’y est fait abri. Au hasard de conversations dans les commerces, on nous explique que les itinérants se tiennent dans la rue Main, surtout à la Place des Pionniers. «En voit-on souvent? Non. Mais est-ce qu’on en a vu cet été? Oui», rapporte l’agent à la réglementation municipale, Antoine Robitaille.

En ce moment, la meilleure option pour les personnes itinérantes est de contacter les services sociaux des CUPR pour obtenir de l’aide. Et pour certains il restera le sofa d’un proche.

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Photos

Véronique Dazé, mère de trois enfants, qui a bondi d’un sofa à l’autre pendant des mois avant de trouver un logement «abordable». (Martin Roy)

Véronique Dazé, mère de trois enfants, qui a bondi d’un sofa à l’autre pendant des mois avant de trouver un logement «abordable». (Martin Roy)

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  • Date de création 26 septembre, 2022
  • Dernière mise à jour 26 septembre, 2022
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