Inondations : un déplacement forcé et des vies brisées

En 2011, le Manitoba a connu une grosse inondation durant laquelle, pour protéger des terres agricoles, des propriétés et des chalets, le gouvernement provincial a fait le choix d’inonder la Première Nation du Lac St. Martin. Cette décision a causé d’énormes préjudices à la Première Nation qui, aujourd’hui encore, vit ce traumatisme.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Située sur les terres visées par le Traité n°2, la Première Nation du Lac St. Martin est entourée des deux grands lacs manitobains : le lac Winnipeg et le lac Manitoba. À environ 225 kms au nord-ouest de Winnipeg, cette Première Nation était jusqu’en mai 2011, au bord du Lac St. Martin. Myrle Ballard est originaire de cette Première Nation, elle a écrit plusieurs articles sur les conséquences de cette inondation. Elle est aujourd’hui directrice de la Division des sciences autochtones à Environnement et Changement climatique Canada.

« La Première Nation du Lac St. Martin a toujours été sur ces terres. C’était leur territoire traditionnel. Les gens du Lac St. Martin ont été des chasseurs, des pêcheurs. Ils avaient leur propre mode de vie qui respectait et protégeait l’eau parce qu’ils sont des élèves de cette Terre. Ils savaient donc où trouver les sites pour pêcher, ils connaissaient les cycles des poissons, ils étaient en communion avec la nature. »

Un déplacement forcé

Une vie qui était donc rythmée par l’eau. Mais en 2011, des inondations importantes touchent le Manitoba et c’est le début d’une transformation sociale pour la Première Nation du Lac St. Martin.

« En 2011, des inondations importantes ont touché le Manitoba. À cause d’une quantité importante d’eau tombée dans les bassins versants, il y a eu des excès d’eau partout au Manitoba. Cependant, il y a des canaux de dérivation, comme celui de Portage, qui gèrent l’eau venant de l’ouest c’est-à-dire de la rivière Assiniboine, des bassins versants du Lac Winnipeg. Il y en a un autre, le Fairford River Water Control Structure, qui s’occupe du Lac St. Martin. En 1961, la construction de la structure de contrôle des eaux de Fairford a été achevée après avoir élargi le canal pour augmenter le débit de la rivière Fairford. Le barrage sur la rivière Fairford a modifié la forme du lac St. Martin et l'a transformé en réservoir.

« Toutes ces transformations ont conduit à l’inondation de la Première Nation du Lac St. Martin. »

L’état d’urgence a donc été déclaré et les résidents ont dû être déplacés de leur Première Nation. C’est alors que la relation entre l’eau et ce peuple a commencé à se rompre, comme l’explique Myrle Ballard.

« Les Aînés du Lac St. Martin racontent qu’ils passaient des journées près de la rive de l’eau pour se reconnecter au plus proche de la nature. L’eau est aussi au cœur des cérémonies, il y a des activités traditionnelles et spirituelles liées à l’eau.

« À cette époque, l’eau était claire et potable, les personnes consommaient directement l’eau du lac. Durant l’hiver, la glace du lac était utilisée par certains pour réfrigérer les aliments. Ce lac était donc une grande partie de leur vie. L’eau est vraiment importante dans la culture traditionnelle autochtone. Elle l’est aussi pour la culture occidentale. Mais pour les Autochtones, c’est une part de qui ils sont. L’eau est leur vie.

« Après leur déplacement, ils étaient à deux miles de leurs terres traditionnelles. Il n’y avait plus d’accès à l’eau. »

Un nouveau tissu social

Il a donc fallu rebâtir une nouvelle communauté puisque les terres ancestrales n’étaient plus accessibles. Myrle Ballard souligne que « c’est un tout petit endroit, il n’y a pas vraiment de vie privée. Il n’y a pas de grands espaces comme il y en avait dans le passé. Évidemment, il n’y a pas que du mauvais. Les infrastructures sont meilleures, il y a un réseau d’eau potable. La fibre optique est là, tout comme l’accès à la télévision. L’eau n’est plus dans des citernes comme elle l’était par le passé dans l’ancienne communauté. Mais ce n’est plus comme avant. »

Et pour cause, il faut s’imaginer être forcé de quitter sa communauté, ses repères, et se retrouver dans un nouvel endroit sans réelle connexion à l’eau. Myrle Ballard explique que les sentiments ont divisé la communauté.

« Il y a beaucoup de sentiments qui entrent en jeu lorsqu’il est question du Lac St. Martin. Il y a beaucoup de familles dysfonctionnelles parce que le lien avec la terre a été rompu. Il y a encore des familles qui ne sont pas revenues parce que les constructions ne sont pas finies. Ou alors tout était nouveau lorsque des familles sont revenues, c’était un vrai décalage. Notamment sur la façon dont les maisons ont été construites. Avant, la communauté était très éparpillée. Désormais, tout le monde est réuni dans un espace vraiment très petit. »

Dans son article, Lake St. Martin First Nation Community Members’ Experiences of Indu-ced Displacement : « We’re Like Refugees », Myrle Ballard pointe aussi que les déplacements ont eu des conséquences socio-économiques importantes pour les résidents. Sans accès à une école, les enfants ont pris du retard. À cause du stress, des personnes ont vécu des fausses couches, des problèmes de santé mentale, et certaines personnes n’ont pas supporté la rupture du lien avec leur terre. Dans notre entrevue, elle utilise le terme de trauma pour qualifier ce qui est arrivé à la Première Nation du Lac St. Martin.

« À cause de la perte de la relation avec la terre, des personnes sont mortes de stress, du trauma d’être éloigné de la terre. Un déplacement forcé est un trauma pour les personnes. »

En effet, elle insiste sur le fait que l’eau était une composante essentielle à la vie des résidents.

« Quand on regarde la carte du Canada beaucoup de Premières Nations sont près de l’eau, ce qui est significatif de leur relation avec l’eau. Beaucoup d’activités sont liées à l’eau, quand vous parlez à des Premières Nations, dans la tradition orale, tout est question d’eau.

« Aujourd’hui, la terre n’est plus la même qu’elle était. Le déplacement forcé a interrompu la connexion à la terre. Il faudra du temps pour recommencer, j’espère qu’il sera possible de retrouver le même lien qu’avant. Des enfants étaient petits quand ils sont partis, d’autres sont même nés en dehors de la communauté et donc loin de ce lien avec la terre. Des enseignements aussi ont été perdus. Il y a toute une génération perdue qui va devoir se reconnecter. »

Toute cette réalité est due à la décision du gouvernement provincial d’avoir fait le choix d’inonder la Première Nation du Lac St. Martin. Ce qui pour Myrle Ballard reflète un manque de compréhension des perspectives autochtones.

« Les décisionnaires doivent reconnaître l’importance de l’eau dans la vie des personnes autochtones. Il ne faut pas retourner l’eau contre nous, parce que c’est ce qui est arrivé. L’eau est notre amie et quand l’eau est retournée contre nous, il y a une cassure de ce lien, qui est parfois irréparable. »

 

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Photos :

  • Myrle Ballard est originaire de la Première Nation du Lac St. Martin. Elle est directrice de la Division des sciences autochtones à Environnement et Changement climatique Canada. + photo : Gracieuseté Myrle Ballard
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  • Date de création 29 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 29 septembre, 2023
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