Favoriser l’autonomie des peuples autochtones dans la gestion des feux de forêt

Une fois de plus, cette année, les communautés autochtones de l’Alberta ont subi une part disproportionnée des ravages des feux de forêt qui ont sévi au cours du printemps et de l’été. Des solutions sont cependant envisageables pour mitiger ces risques, telles que l’implication accrue des Premières Nations dans la gestion des incendies et la restauration des pratiques traditionnelles de brûlage.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

De la Nation crie de Sturgeon Lake à celle de Little Red River, en passant par l’établissement métis d’East Prairie, plus d’une quinzaine de communautés autochtones ont été évacuées ou ont été directement affectées par les feux de forêt qui ont dévasté une partie du territoire albertain au cours des derniers mois. Malheureusement, cette tendance n’est pas propre à la province de la rose sauvage, elle se manifeste également à l’échelle nationale.

Aux Territoires du Nord-Ouest, par exemple, la communauté de Behchokǫ̀ a été partiellement réduite en cendres par les brasiers de juillet. Plusieurs autres Nations à travers le pays ont également dû évacuer leurs domiciles au cours des derniers mois, que ce soit au Québec, en Nouvelle-Écosse ou en Colombie-Britannique. D’ailleurs, selon la Base nationale de données sur les feux de forêt du Canada, pas moins de 42% des évacuations en lien avec les feux visent les communautés autochtones. Pourtant, les Premières Nations, les Métis et les Inuits ne représentent que 5% de la population du pays.

«Cette surreprésentation est vraiment préoccupante», explique d’entrée de jeu Amy Cardinal Christianson, une chercheuse métisse qui travaille comme spécialiste en incendies pour Parcs Canada. Selon elle, de par leur localisation en zones rurales ou même sauvages, les communautés autochtones courent un risque accru d’être affectées par les brasiers. Ce fléau s’inscrit cependant dans un cadre global «d’inégalités et de vulnérabilité» où les pertes matérielles dues aux brasiers viennent s’ajouter à un contexte déjà précaire, dit-elle.

Et au-delà des conséquences purement matérielles, les feux de forêt ont également tendance à détruire des sites cérémoniels et écologiques, ainsi que des terres qui sont essentielles pour la chasse, la trappe et la pêche. Sous les flammes, ce sont donc les traditions mêmes des Autochtones qui peuvent être effacées, laissant «un profond vide».

«Il faut penser au territoire, qui est un élément qui a énormément de valeur pour les communautés. Lors des incendies, les structures physiques sont menacées, mais c’est aussi le système culturel autochtone lui-même qui en prend un coup», analyse Amy.

Ainsi, lorsque les membres des communautés retrouvent leur domicile après un ordre d’évacuation, ils traversent souvent ce qui s’apparente à une forme de «deuil écologique», cherchant à assimiler au mieux les changements survenus dans le paysage pendant leur absence. «Le soutien des différentes agences gouvernementales est excellent lors des évacuations, mais certains Autochtones se sentent un peu abandonnés lorsqu’ils rentrent chez eux. On leur dit que tout sera bientôt de retour à la normale, alors que le territoire où ils habitent a été détruit», mentionne Amy.

Impliquer les communautés

Les communautés autochtones cherchent aujourd’hui à recouvrer une forme d’autonomie quant à la gestion des incendies sur leur territoire. Cette démarche pourrait accélérer les interventions et renforcer les mesures préventives face aux incendies, souligne la chercheuse. À travers la création du système de Parcs Canada et des autres organes provinciaux qui interviennent de près ou de loin dans la gestion des incendies, dit-elle, les peuples autochtones ont été largement exclus des processus décisionnels et leurs connaissances de terrain ont été pour la plupart écartées.

«Il y a une relation paternaliste qui s’est instaurée. Les agences provinciales et fédérales se partagent la gestion des urgences et les communautés autochtones, elles, sont souvent exclues», décrit Amy. En général, explique-t-elle, les Nations qui sont touchées par des ordres d’évacuation ne sont pas informées de ce qui se passe sur le terrain une fois qu’ils ont quitté leur domicile. Ils ne peuvent pas non plus donner leur avis sur quoi que ce soit.

De son côté, l'organe provincial Alberta Emergency Management Agency (AEMA) rappelle que l'octroi de services dans les réserves autochtones relève techniquement de la compétence du gouvernement fédéral. La province a conclu un accord pour fournir des services de gestion des urgences aux communautés des Premières Nations.

«Nos agents travaillent avec les communautés de leur région respective pour s'assurer qu'elles reçoivent un soutien avant, pendant et après un événement tel qu'un incendie de forêt. Les agents régionaux fournissent le même niveau de soutien aux établissements métis de l'Alberta», explique un conseiller qui travaille au service de communications pour le ministère de la Sécurité publique et des Services d’urgence (PSES) par voie de communiqué.

Des formations en continu sont offertes aux communautés pour renforcer leurs capacités à faire face aux urgences et aux catastrophes, ajoute ce conseiller.

D’ailleurs, plaide Amy, les membres des communautés autochtones détiennent énormément de connaissances sur leur propre territoire et pourraient offrir de précieux conseils aux agences gouvernementales qui sont dépêchées sur le terrain. «On gagnerait à travailler davantage en collaboration. Les communautés devraient être impliquées et offrir des conseils», dit-elle.

Surtout qu’un nombre assez élevé d’Autochtones détiennent maintenant une formation ou de l’expérience en termes de lutte contre les incendies. «Dans l’établissement métis de Peavine en Alberta, par exemple, ce sont 95% des hommes âgés de 35 à 60 ans qui connaissent les techniques de lutte contre les incendies de forêt», fait valoir la chercheuse.

Explorer le passé pour améliorer le présent

La réduction des risques de feux de forêt pourrait également impliquer un retour aux pratiques ancestrales pour les Autochtones. Cela consisterait en quelque sorte à combattre le mal par le mal ou, en l'occurrence, à utiliser le feu pour maîtriser le feu en réintégrant des méthodes traditionnelles de brûlage. «Le feu a toujours été un symbole puissant chez les communautés autochtones», explique Amy.

Avant l’arrivée des colons, les Nations pratiquaient différentes formes de brûlis à des fins culturelles, que ce soit pour améliorer les conditions de chasse et favoriser la repousse d’herbe précoce pour attirer le gibier ou pour créer des sentiers ou encore dans des rituels avec des herbes médicinales. «Le feu était très présent», décrit la chercheuse.

Ces pratiques ont été interdites pendant plusieurs siècles. Or, Parcs Canada s’est engagé à soutenir les peuples autochtones dans la restauration de certaines formes traditionnelles de brûlage. Une de ces techniques vise à brûler la végétation excédentaire lors des périodes à faible risque d’incendie afin de prévenir les feux de brousse pendant la saison sèche.

«C'est l'une des façons dont les peuples autochtones protégeaient leurs communautés contre les incendies. Ça permet de faire de la prévention», conclut Amy.

  • Nombre de fichiers 5
  • Date de création 7 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 7 octobre, 2023
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