Étudiants étrangers: entre espoir et craintes

Le gouvernement fédéral a annoncé lundi un plafonnement du nombre d’étudiants étrangers acceptés au Canada pour une période de deux ans. Dans la capitale fédérale, la nouvelle inquiète d’un côté de la rivière et suscite de l’espoir de l’autre.

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Émilie Gougeon-Pelletier

IJL – Réseau.Presse – Le Droit et

Daniel LeBlanc, Le Droit

Le ministre fédéral de l’Immigration Marc Miller a fait savoir que 364 000 permis d’étude seront accordés en 2024, ce qui représente une baisse de 35% par rapport à l’année passée.

Marc Miller dit que ces mesures surviennent dans un contexte d’augmentation «rapide» du nombre d’étudiants étrangers, ce qui «exerce une pression sur le logement, la santé et d’autres services».

Il a par ailleurs indiqué que le cap sera pondéré pour les provinces en fonction de la population, mais que certaines - celles où les chiffres sont «disproportionnés» - devraient voir des réductions plus importantes que d’autres.

Le fait que ce plafond ne touche pas le Québec risque bien d’avoir des impacts positifs pour l’Université du Québec en Outaouais (UQO), croit sa rectrice, Murielle Laberge.

«Le quota sera imposé au prorata (de chaque province) et il nous reste encore beaucoup d’espace entre le nombre actuel d’étudiants (près de 117 000 au Québec) et le prorata. Ce qu’on comprend, c’est que c’est surtout la Colombie-Britannique, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse qui vont être touchées», dit la rectrice.

La rectrice de l'UQO Murielle Laberge (Patrick Woodbury/Le Droit)

Selon elle, la mesure pourrait indirectement «jouer en faveur» de l’UQO, surtout en raison de son contexte frontalier. Elle accueille déjà 1030 étudiants internationaux cet hiver, un bond de 50% en un an.

«Il devrait y avoir une baisse qui va se faire sentir du côté ontarien, en tout cas du côté des étudiants francophones, qui peut-être vont regarder en Outaouais et de façon plus générale au Québec. Il risque d’y avoir une migration positive sur la rive québécoise et ça risque de nous avantager», explique Mme Laberge.

La rectrice de l’UQO ne craint pas l’arrivée de nouveaux étudiants dans le contexte de la crise du logement.

L'UQO accueille de nombreux étudiants étrangers (Patrick Woodbury/Le Droit)

Même si le logement représente un «besoin important», tous les nouveaux étudiants récemment arrivés en Outaouais ont pu être logés, note-t-elle, et l’université attend des nouvelles de Québec quant à sa demande de construction d’une nouvelle résidence qui prévoit 131 chambres.

Impact «majeur»

De l’autre côté de la médaille - et de la rivière des Outaouais - l’impact du plafonnement imposé par le gouvernement Trudeau risque d’être «majeur», craint l’Université d’Ottawa.

Le dirigeant principal des communications de l’Université d’Ottawa, Ricky Landry, affirme que l’institution devra initier des discussions avec le gouvernement ontarien «pour mieux comprendre l’impact réel» qu’aura ce plafonnement.

L’Université d’Ottawa devra initier des discussions avec le gouvernement ontarien. (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)

L’Université d’Ottawa affirme être «généralement» en mesure de trouver des places en résidence «pour la plupart des étudiants internationaux qui en ont besoin».

Entre 2020 et 2022, le nombre d’étudiants étrangers a augmenté de quelque 15% au sein de cet établissement d’études postsecondaires bilingue.

Vache à lait

C’est bien connu, et ça dure depuis des années: les étudiants étrangers sont des vaches à lait pour un grand nombre d’institutions postsecondaires en Ontario.

La vérificatrice générale Bonnie Lysyk avait tiré la sonnette d’alarme, en 2021, en publiant un rapport sur la dépendance des collèges publics de la province sur les revenus générés par les étudiants internationaux.

Elle notait qu’il y a trois fois plus d’étudiants étrangers dans les collèges ontariens actuellement qu’il y en avait il y a dix ans.

Entre 2013 et 2021, les inscriptions aux collèges ontariens de résidents canadiens ont diminué de 15%, alors que les inscriptions internationales ont augmenté de 342%.

«Dans certaines écoles plus petites, plus de 90% de leurs frais de scolarité proviennent d’étudiants étrangers», avait écrit la VG.

Elle avait aussi fait part d’inquiétudes quant à la viabilité financière des collèges dans l’éventualité d’événements mondiaux imprévisibles, comme en cas de conflits ou de fermeture des frontières.

Au début de 2023, le gouvernement Ford a mis sur pied un groupe d’experts chargé d’étudier la question financière du postsecondaire en Ontario.

Le rapport Harrison, publié en novembre, soutient que malgré l’important apport des étudiants étrangers à l’écosystème académique de l’Ontario, «le risque associé à une croissance effrénée ou non maîtrisée est également bien réel».

Inquiétudes

L’annonce d’un plafonnement sur le nombre d’étudiants internationaux inquiète aussi le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), affirme son directeur général, François Hastir.

«Le gouvernement fédéral indique qu’il veut, d’une part, baisser la pression sur le logement et le coût de la vie. [...] L’inflation et le logement, ce ne sont pas les étudiants internationaux qui sont la réponse à ça», avance-t-il.

Le ministre Miller a indiqué que les mesures qu’il a annoncées lundi ont aussi pour but de mieux protéger les étudiants internationaux contre les fraudes.

«Ottawa veut combattre les usines à diplômes, soit les institutions qui vont chercher de grands nombres d’étudiants internationaux en pensant aux profits. Ces objectifs sont louables, mais dans quel esprit est-ce que cette mesure peut combattre ça? [...] Pour combattre les usines à diplômes, il faut que la mise en œuvre soit faite avec des cibles bien spécifiques et précises, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment», estime François Hastir.

Il faut sévir contre les pratiques abusives, notamment en ce qui concerne le recrutement frauduleux, a mentionné la ministre des Collèges et des Universités de l’Ontario, Jill Dunlop, dans une déclaration envoyée au Droit, lundi.

La ministre des Collèges et des Universités de l’Ontario, Jill Dunlop (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)

«Certains individus malveillants exploitent ces étudiants, en leur faisant de fausses promesses, telles que l’assurance d’un emploi garanti, d’une résidence permanente et même de la citoyenneté canadienne», a-t-elle soutenu.

Cibles francophones

Les mesures annoncées par le ministre de l’Immigration vont à l’encontre d’engagements pris il y a une semaine par le gouvernement Trudeau, selon l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).

«Il nous apparaît évident que la mesure annoncée ce matin est en contradiction flagrante avec la nouvelle Politique en matière d’immigration francophone et son plan de mise en œuvre dévoilés le 16 janvier 2024», a noté l’ACUFC, dans un communiqué publié lundi soir.

L’ACUFC a demandé une rencontre urgente avec le ministre à ce sujet.

La ministre Dunlop veut quant à elle collaborer avec le gouvernement fédéral pour s’assurer que les étudiants internationaux puissent recevoir «une éducation répondant aux besoins spécifiques de l’Ontario en matière de main-d’œuvre, particulièrement dans le domaine des métiers spécialisés».

Elle n’a toutefois pas précisé comment l’Ontario a l’intention d’assurer la viabilité financière de ses institutions postsecondaires avec les nouvelles mesures imposées par Ottawa.

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  • Date de création 23 janvier, 2024
  • Dernière mise à jour 23 janvier, 2024
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