Entre patience et résilience : la recherche d’emploi des francophones monolingues

Originaires de France, du Québec ou du continent africain, les francophones monolingues qui déménagent en Alberta font face à un défi commun : celui de s’initier à l’anglais. Une langue qui leur est soit étrangère ou peu usuelle. Ils doivent alors faire face à un apprentissage parsemé d’embûches. Celui-ci connaît plusieurs phases et s’avère crucial dans leur processus de recherche d’emploi.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

«Pour te donner une idée, quand je suis arrivé à Edmonton, je devais regarder dans les vitrines des commerces pour savoir ce qu’ils vendaient. Je n’étais pas capable de lire les devantures. Et de toute manière, je ne savais même pas comment dire dépanneur ou épicerie en anglais», se remémore Maxime Boudreau, qui a quitté Montréal en 2013 pour venir s’installer en Alberta.

À son arrivée dans la province, raconte Maxime, il est contraint à dormir dehors, sur une table de pique-nique, et ce, pendant quelques jours. Des inconnus l’aperçoivent un soir et lui proposent de laver de la vaisselle dans un restaurant de La Cité francophone.

Des premiers mois difficiles

De fil en aiguille, dans les semaines qui suivent, Maxime commence à travailler pour l’agence de placement temporaire Labour Ready et à baragouiner quelques mots dans la langue de Shakespeare. Cela, tout en maintenant son poste de plongeur en soirée. «Ça a été comme ça pendant un mois. Je faisais des journées de presque vingt heures», explique celui qui travaille aujourd’hui sur des plateformes de forage.

Ce choc initial est vécu par de nombreux francophones monolingues qui arrivent encore aujourd’hui dans la province, rappelle la directrice générale d’Accès Emploi, Nathalie Beauregard. Entre autres, des personnes venues de l’est du pays pour perfectionner leur anglais et qui ont tendance à surestimer leur niveau de langue.

«Des fois, j’ai l’impression qu’on ne prend pas toujours bien la mesure des obstacles qui vont se présenter à nous. On pense que notre anglais n’est pas si mal quand on habite au Québec et finalement, on arrive ici et on reste bête», ajoute la directrice générale avec humour.

Des surprises à l’arrivée…

Si Nathalie Beauregard peut s’exprimer avec autant d’aisance sur le sujet, c’est qu’elle se reconnaît à travers ces difficultés, elle qui «s’est amenée du Québec» en 2004. «Je n’étais pas prête au choc culturel qui m’attendait», lâche-t-elle.

Marco Plante a vécu une situation similaire à celle décrite par la directrice générale d’Accès Emploi, en arrivant en Alberta, il y a quelques mois. Originaire de la Beauce, il a vendu tout son patrimoine pour venir apprendre l’anglais dans l’Ouest canadien.

Le conseiller en sécurité financière croyait être en mesure d’exporter son travail en anglais, sauf que la réalité a été tout autre. «Je pensais que j’allais me débrouiller pour vendre de l’assurance, mais je suis vraiment pas assez bon en anglais finalement. Ça ne fonctionnait pas pantoute», laisse-t-il entendre.

Entre frustration et résilience

Pour certains nouveaux arrivants francophones, explique Nathalie Beauregard, un facteur de frustration prend ancrage dans la manière dont le Canada est décrit et exhibé à l’étranger. «On nous présente comme un pays bilingue, from coast to coast. Ça crée des attentes qui sont parfois biaisées ou faussées», souligne celle qui est originaire de Granby.

Malgré ces difficultés initiales, les francophones avec lesquels la directrice générale d’Accès Emploi travaille retombent rapidement sur leurs pieds. «Les gens sont très battants. Après quelques semaines ou quelques mois, ils sont très ouverts à faire le programme English as a second language (ESL) ou à s’inscrire à des cours d’anglais.»

C’est justement à ce stade qu’est rendu Redouane Dab, un pâtissier d’origine marocaine, qui travaille depuis six mois à la boulangerie-pâtisserie Black Sheep à Calgary. «Je n’ai pas appris l’anglais au Maroc, car notre deuxième langue est le français. Mais en Alberta, tu es obligé d’apprendre l’anglais pour être fonctionnel», mentionne-t-il.

Toutes sortes de façons d’apprendre

Redouane a commencé avec les cours gratuits ESL, mais il s’est vite tourné vers d’autres stratégies pour apprendre l’anglais. «Avec quarante personnes dans une classe, pour moi, c’est impossible d’apprendre. J’écoute des podcasts chaque jour pour me pratiquer et, à partir de janvier, je veux prendre un prof privé.»

La motivation pour apprendre l’anglais est d’autant plus grande pour Redouane qu’il souhaite éventuellement ouvrir sa propre pâtisserie. Pour ce faire, il devra communiquer avec «des investisseurs, des agents immobiliers, des institutions bancaires et des compagnies de distribution [anglophones]», soutient-il.

Pour ce qui est de Maxime Boudreau, l’apprentissage de l’anglais s’est fait sur le terrain, en communiquant avec ses collègues de travail. Pendant quelques mois, il évitait même de téléphoner à ses proches au Québec. «Si tu parles trop en français au début et que tu continues à vivre ta vie entourée de francophones, tu limites ton immersion. Il faut parler en anglais pour penser en anglais», justifie-t-il.

Marco Plante estime, lui aussi, qu’il arrivera à parfaire ses habiletés en anglais directement sur le marché du travail. «Je suis venu en Alberta pour apprendre l’anglais, alors si je me trouve une job dans l’[industrie] du pétrole, ça va me forcer à l’apprendre», explique le Beauceron d’origine.

L’anglais peut s’apprendre sur les bancs de classe tout comme dans la vie courante et sur le marché du travail, rappelle par ailleurs Nathalie Beauregard. Il n’y a pas de recette miracle et chaque personne apprend différemment. L’important, selon elle, c’est de pratiquer tous les jours, dès que l’occasion se présente, et de passer au-delà du stade de la gêne. «Va à l’épicerie, parle aux commis, c’est pas grave de faire des erreurs, c’est en pratiquant que le vocabulaire va venir», témoigne-t-elle.

Des métiers de transition et non de subsistance

Les clients d’Accès Emploi ont parfois besoin de travailler immédiatement, peu importe leur niveau de langue, explique Nathalie Beauregard. À l’image de Maxime Boudreau, qui était soudeur haute pression au Québec et qui est devenu plongeur à son arrivée en Alberta, certains nouveaux arrivants francophones seront inévitablement appelés à changer de domaine pendant un certain temps afin d’améliorer leur anglais.

Initialement, cela peut paraître comme un pas de recul, admet Nathalie Beauregard. Mais avec un peu d’ouverture d’esprit et du travail acharné, l’emploi de rêve ne tarde pas à se présenter. «Il faut avoir le mindset que tout ne nous est pas donné sur un plateau d’argent, mais quand on met des efforts, ça paye avec le temps», note-t-elle.

Justement, elle rappelle que l’entreprise qu’elle dirige accompagne les chercheurs d’emploi dans leur processus pour «les mener graduellement vers leur objectif long terme… vers l’emploi de leurs rêves, si tu préfères», conclut-elle.

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Depuis 2002, Accès Emploi offre gratuitement des services d’aide à la recherche d’emploi aux membres de la francophonie albertaine et les encadrent selon leurs besoins.

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  • Date de création 17 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 17 janvier, 2023
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