En Alberta, la politisation des identités de genre crée le débat

Depuis que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, a annoncé, début février, un projet de politique sur l’identité de genre, les enjeux liés aux personnes trans ont donné lieu à de nombreux débats… et inquiétudes. Fin mars, le Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO) a organisé une conférence à Edmonton pour alerter le public sur le sujet.

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Justine Leblond

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

La politique de Danielle Smith dans ce domaine «suscite de sérieuses préoccupations au sein du CFQO», s’alarme Martin Bouchard, directeur général de l’organisme depuis 2022. En effet, interdire aux mineurs l’accès aux chirurgies de transition, à l’hormonothérapie et aux inhibiteurs de puberté, en plus d'exiger l'autorisation parentale si un enfant demande d'utiliser un nom ou un pronom différent à l’école voir même participer à des cours liés à la sexualité, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre démontre la fin dune certaine ouverture d’esprit et un pas en arrière pour l’éducation en Alberta.

«Nous le percevons comme un potentiel recul, une menace à la consolidation des acquis pour les droits des minorités et des jeunes et cela pourrait remettre en question les libertés fondamentales que nous estimons cruciales pour l’épanouissement de notre communauté», alerte Martin Bouchard.

Pour CFQO, il était important d’organiser une conférence sur le sujet, pour «élever la conscience collective et rassembler notre communauté autour de ces enjeux critiques». Le 28 mars, quatre expert.e.s étaient donc réunis au Campus Saint-Jean, à Edmonton, pour partager leur analyse ou leur témoignage sur les questions d’identités transgenres. Cette conférence est «une plateforme essentielle pour la sensibilisation et la mobilisation», de l'avis du directeur général de l'organisme.

Des influences américaines

Cette politique «s’inscrit sur une toile de fond canadienne avec des influences américaines», explique Frédéric Boily, professeur de science politique au Campus Saint-Jean, qui a livré une analyse de la stratégie politique derrière ces décisions orientées.

En plus de la montée de ces discussions aux États-Unis, notamment en Floride et en Virginie du Sud, il y a d’un côté le contexte albertain, avec «toute la question des alliances gais-hétérosexuels qui ont créé beaucoup de débats depuis une décennie, des débats qui se sont cristallisés vers 2019, quand s’est posée la question de devoir informer, ou non, les parents des enfants qui participaient à ces audiences».

Et de l’autre, le contexte canadien plus global, développe Frédéric Boily. «La question des droits des trans est arrivée à partir de 2022, avec la controverse des toilettes publiques, la participation à des compétitions sportives… avec un écho particulier au Nouveau-Brunswick, puis, par la suite, en Saskatchewan et maintenant en Alberta. Donc c’est un débat qui s’est polarisé de manière un peu plus récente.»

Une situation «toujours en mouvement»

«Ce genre de loi, ce genre de réflexion nous affecte tous, peu importe comment on s’identifie», s’insurge Emmett Lamache. Hommetransgenre, il a profité de la conférence pour raconter son vécu: marié depuis cinq ans, père de deux filles, il a dû lutter contre les stéréotypes toute sa vie. «Je suis une personne transgenre, j’ai une carrière, j’ai une maison! Mes parents étaient très inquiets, ils pensaient que je n’allais jamais être capable d’avoir toutes ces choses merveilleuses dans ma vie quand j’ai fait mon coming out», témoigne Emmett Lamache.

Il craint des représailles d’une telle politique pour sa famille. «Mes filles en subissent l’impact sans être 2SLGBTQIA+ juste parce que ça touche leurs parents. Ça aussi un impact pour ma femme, qui ne peut pas être out à son travail, qui doit prétendre que je suis un homme cisgenre parce que son bureau n’est pas accueillant pour ce genre d’identité.»

Avec cette nouvelle politique, en remettant les questions d’identités transgenres dans les débats sociétaux, Andrea MacLeod voit le risque d'un isolement des personnes non conformes à la norme établie. «On a déjà vécu un système où on n’en parle pas et on sait que ne pas en parler n’aide pas, ça fait sentir qu’on est différent, qu’on ne fait pas partie de la norme», appuie la professeure en orthophonie à l’Université de l’Alberta.

Dans la province, la place des personnes transgenres n’est pas encore affirmée comme on pourrait l’attendre d’une société du 21esiècle. «La situation des personnes 2SLGBTQIA+ est toujours en mouvement en Alberta. Bien que nous ayons réalisé des progrès notables, nous sommes confrontés à des défis persistants comme la discrimination et le manque de ressources en français», estime Martin Bouchard.

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  • Date de création 19 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 19 avril, 2024
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